Chapitre 1

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- Leen dépêches-toi ! hurla mon père en passant sa tête par la fenêtre de la voiture.

- J'arrive ! répondis-je.

Mon père n'étant pas du tout patient, je m'empressai donc de lacer mes chaussures le plus rapidement possible et d'attraper mon sac. Je claquai la porte de ma chambre et dévalai une dernière fois les escaliers. J'entrai dans le véhicule puis attachai ma ceinture avant de mettre mes lunettes de soleil sur ma tête.

- Le camion va arriver avant nous, je t'avais dit de te préparer rapidement. Ils vont devoir nous attendre, me réprimanda mon père.

- Ça va ils sont partis il y a à peine cinq minutes, me défendis-je.

Mon père démarra le moteur, les sourcils froncés. Je voyais bien que je venais de le mettre en colère mais je n'y prêtais pas attention. Je continuais de regarder s'éloigner par la fenêtre ce qui était désormais notre ancienne maison. Mon père avait décidé il y a quelques mois de déménager sans même m'en parler. Je me suis dit que c'était lié au départ de ma mère mais je n'osais pas le lui demander. Il y avait certains sujets qu'il valait mieux ne pas aborder. Celui-ci en faisait partie. Il m'avait vaguement expliqué que c'était à cause de son alcoolisme et qu'il avait peur pour moi, j'acquiesçais sans vraiment y croire. En tout cas c'était trop tard. Je devais quitter mes amis et ma ville pour une nouvelle vie. Mon père m'avait trouvé un lycée pas trop loin de notre future maison.

Le trajet fut particulièrement long et silencieux. En quatre heures de route, il n'avait pas dit un seul mot. J'avais mis mes écouteurs, la musique à fond et regardais le paysage défiler derrière la vitre. Il faisait beau temps pas l'ombre d'un nuage dans le ciel clair.

- Ça y est, on est arrivé, me dit-il avec enthousiasme.

Une grande maison en pierre se dressait devant nous. Du lierre grimpait où bon lui semble le long des murs effrités allant même jusqu'au toit. J'avais horreur des maisons en pierre - ça commençait bien. Le bon côté des choses était que nous n'étions pas perdu au milieu de la forêt et proche du Lac Lothing à Lowstoft. Je continuai de fixer l'immense bâtisse qui me donnait une impression familière quand mon père m'interpela.

- Viens m'aider à sortir les valises !

- Tu es sûr qu'on n'est jamais venu ici ?

- Certain. Allez viens, le camion de déménagement ne va pas tarder, une chance qu'on soit arrivé avant !

Je l'aidai à porter nos affaires et les emmenai à l'intérieur. La porte en bois s'ouvrit dans un grincement horrible donnant une vue dégagée sur le hall. Il y avait déjà quelques meubles assez récents recouverts de poussière. Après avoir fini d'aider mon père, je décidai de visiter les lieux. La maison était sombre alors je pris l'initiative d'ouvrir les volets. La lumière illumina un immense séjour contigu à la cuisine. Il n'y restait qu'une table avec quatre chaises en bois rongés par le temps. Je continuai mon expédition après avoir jeté un coup d'œil à la cuisine et à la salle de bain. Je montai à l'étage en empruntant l'escalier qui grinçait sous mon poids. Un long couloir plongé dans l'obscurité me fit face où s'en suivi des portes closes répartis des deux côtés. J'ouvris la première sur ma droite et découvris une pièce dont les murs étaient peints en rose, me faisant penser à une chambre de petite fille. La deuxième adjacente était plus petite mais identique. Une atmosphère étrange me comprima les poumons ce qui me fit sortir précipitamment, essoufflée. Le temps que ma respiration se régule, je vis qu'une porte s'était entrouverte. Je la poussai légèrement et aperçu de vétustes escaliers qui menaient probablement au grenier. J'hésitai à monter lorsque j'entendis la voix rauque de mon père m'appeler.

- Leen, les déménageurs sont là !

- Oui !

Je me hâtai de dévaler les escaliers tout en essayant de garder mon équilibre. Un jeune homme brun d'environ mon âge, le teint basané, se présenta dans l'encadrement de la porte, chargé de plusieurs cartons. Je lui proposai mon aide, en espérant que mes jambes ne cèdent pas sous le poids de ces derniers.

- Attends je vais en prendre un !

Il me regarda d'un air amusé, comme s'il doutait de ma force. Je pris ce regard comme un défi et m'emparai d'une des caisses.

- Non pas celui-là, il est trop... eu-t-il à peine le temps de prononcer avant que je m'étale de tout mon long, dans un énorme fracas.

Gênée, je lui adressai un bref regard d'excuse.

- C'était de la vaisselle, m'explique-t-il en se retenant de rire.

Honteuse, je n'osai croiser son regard d'un marron clair qui me dévisageait. Mes joues s'empourprèrent avant d'avoir eu le temps de tourner la tête. Il me tendit sa main que j'acceptai et dit :

- Je m'appelle Paul !

- Aileen, répondis-je, en me relevant, ne t'inquiète pas je dirai à mon père que c'est de ma faute.

Il se contenta de me sourire faisant apparaître de belles dents blanches correctement alignées. Il m'aida à nettoyer puis se remit au travail. Vers 18 heures, le camion était déjà parti laissant tout un tas de meubles et de cartons empilés dans le hall. Ce soir-là on dîna tôt, épuisé par le déménagement. Cela faisait plusieurs minutes que je jouais avec ma fourchette sans rien avaler.

- Tu ne manges pas ? me demanda mon père.

- J'ai pas faim.

Il continua de me fixer et semblait chercher quelque chose à dire pour combler le silence qui s'était imposé.

- Tu as commencé à t'installer ?

- Non pas encore, je le ferai demain.

- Tu as raison, ce soir moi aussi je vais me coucher tôt, cette journée m'a épuisé. Et puis dans deux jours c'est la rentrée !

Je le regardai méchamment et ça le fit rire.

- Merci de me le rappeler, dis-je d'un ton ironique.

A peine 5 minutes plus tard, je me levai et débarrassai mes affaires avant de lui adresser un bref « bonne nuit ». J'avais installé un matelas dans la chambre la plus petite le temps que mon père monte mon lit. Je me glissai sous les draps froids et les remontai jusqu'à mon cou. Je fermai mes paupières et juste avant que je ne sombre dans le sommeil j'eus une dernière pensée pour le garçon aux cartons.


Trop tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant