Les premiers flocons d'hiver tombent sur Ibn Fadhan. La ville est aux couleurs de Noël, ainsi que tout le palais. Ma mère tient à ses bonnes traditions humaines. Chaque année, nous le fêtons ensemble. Et cette année, comme à chaque fois, maman avait invité Ridzac et Loïck pour l'occasion.
Loïck, Tsukumo et Lisbeth aident ma mère avec le repas de Noël. Ils s'investissent tous dans cette tâche. Et c'est d'ailleurs l'occasion pour moi de souffler après tant de rebondissements ces derniers temps. Mais j'ai un mauvais pressentiment en regardant cette neige si blanche et pure. Comme si un drame allait se produire.
Peut-être que la part animale en moi qui tente de m'avertir. Seulement, je ne peux en parler à mes proches, de peur de les inquiéter. Tsukumo commence à peine à s'ouvrir à moi pour que je ne brise tout. Mon père est déjà bien occupé à tenter de renouer un dialogue avec le Conseil. Mon père agit seul, ne préférant pas nous y mêler. Il préfère porter ce fardeau seul au lieu de le partager avec nous, ses enfants, et son compagnon.
-S-Soyez prudent, Aranaël...
Tsukumo est bienveillant et m'accompagne jusqu'à la double porte d'entrée. Il m'aide à mettre mon manteau et à nouer mon écharpe autour du cou.
-Wouah !
Évidemment, mes petits frères et sœurs nous observent contre notre insu, et remarquent mon rapprochement avec Tsukumo. Bien que nous avons encore des efforts à faire, on se tient plus naturellement par la main à chaque fois qu'il m'accompagne devant l'entrée. Décidément, il leur en fallait peu pour les mettre en émoi.
- Eh ! allez aider maman au lieu de nous épier, petits louveteaux.
Si ma remarque est avant tout une plaisanterie, ils s'en vont en prenant très à cœur les préparatifs. Nous nous retrouvons seuls avec Tsukumo.
-Excuse les, ils sont encore un peu jeunes pour comprendre que leur attitude est déplacée.
-N-N-Non, ce n-n'est rien !
-Tsukumo...Je ris tendrement en caressant ses cheveux blancs.
-Je n'en ai pour pas longtemps. Je te promets de revenir très vite.
Puis je m'approche de lui en tenant son visage en coupe. Et je m'approche de son visage pour baiser son front. Pour Tsukumo, je préfère prendre mon temps. Nous ne sommes pas ensemble, mais nous sommes incapables de nous éloigner. Je sais qu'il a envie de m'accompagner, mais je préfère le savoir au chaud, à l'intérieur du palais à attendre mon retour.
Finalement, je m'absente du palais pour aller dans la capitale et chercher un présent pour Tsukumo. En réalité, je suis encore perturbé par le lien de sang qui nous unit, lui et moi. Cependant, dans un sens, je me sens plus proche de lui, il m'appelle enfin par mon prénom et ma mère n'arrête pas de jouer la dessus pour me mettre dans une situation d'embarras. Je visite le marcher de Noël de la capitale, me mêlant à la foule. L'hiver, le royaume d'Ibn est lumineux, grâce aux lumières de Noël. Mais je sais ce que je compte offrir à Tsukumo pour cette fête. Je m'arrête devant la vitrine d'une boutique pour enfant. Non pas que je vois mon jeune servant comme tel, mais il n'avait pas eu la chance d'avoir une enfance heureuse. Même s'il avait grandi à mes côtés, Tsukumo s'était interdit d'être heureux.
Tout ce temps, il a cru ne pas mériter la joie et le bonheur. Par respect pour moi, il s'est longtemps mis sur le côté pour ne pas me voler ma famille. Pourtant, il avait toujours eu une place importante à l'intérieur, dans chacun de nos cœurs. Alors, il s'est forgé une solide carapace que même moi, je n'arrive pas à briser. Elle est fissurée, mais pas au point de céder à la pression.
Je ne demande rien à Tsukumo. Sauf une chose. Qu'il soit plus égoïste avec moi, qu'il me fasse un caprice comme le font les plus petits.
Je pousse la porte de la boutique pour acheter une magnifique peluche à Tsukumo. Il s'agit d'un magnifique ourson blanc. Je ne sais pas si ça lui fera plaisir, mais je veux découvrir l'enfant qui se cache en lui. Tsukumo ne peut pas continuer à rester aussi distant et introverti. Ou alors, il ne pourra être heureux.
En quittant la boutique, je laisse la porte se refermer derrière moi. La neige tombe toujours sur le royaume, alors je m'arrête un instant, en restant sur place. Je lève la tête vers le ciel gris pour regarder la chute de flocons. Cette couleur pâle et blanchâtre me rappelle les cheveux de Tsukumo, mais aussi son caractère et son regard froid. Je me perds dans mes pensées les plus profondes en regardant le royaume se recouvrir petit à petit. Le froid se lève, un vent glacial souffle sur mon pelage, entre mes poils. Et une bousculade sur mon épaule de la part d'une passante me ramène au moment présent.
Je laisse derrière moi les pas de mon passage quand je décide de prendre le chemin du palais.
***
En rentrant, il y a une bonne ambiance, en plus d'une agréable odeur de nourriture. Ma mère ainsi que le reste de la famille participent aux préparatifs de Noël. Ensemble, ils ont mis des guirlandes sur les murs, et des décorations diverses dans chaque pièce. Après avoir allumé les bougies, ils montent le sapin. Si chaque branche à sa propre boule, il manque l'étoile sur le sommet. Et quand mes petits frères et sœurs tentent de la mettre, je la leur prend des mains avec gentillesse.
-Attendez un peu.
Étant encore des enfants, je viens me mettre à leur hauteur en posant un genou au sol.
Et Tsukumo qui a l'habitude de veiller sur eux pour aider les parents, se trouve derrière eux. Et nos regards se croisent.
-J'ai une idée, proposé-je en souriant à l'humain.
Depuis peu, je le trouve plus détendu et souriant. Tsukumo commence même à s'investir plus sérieusement dans la vie de notre famille. Il aide les parents en veillant sur les plus jeunes. Mais sans oublier de me servir. Enfin, ce n'est pas exactement ça en fait. Il reste seulement à mes cotés et c'est tout ce dont j'ai besoin. Je suis égoïste et je profite de sa gentillesse.
Tsukumo est naïf et je n'ai aucun mal à le tourmenter ainsi. Mais je veux qu'il en fasse de même avec moi. Je veux le voir en colère quand il exige une chose de ma part.
-Et si c'était Tsukumo qui mettait cette étoile, hein ?
Enchantés par cette idée, les petits sautent partout en se frottant contre les jambes de l'humain. À l'unanimité, tous souhaitent que ce soit lui qui l'a mette sur le sapin. Alors je me lève et la remet personnellement à Tsukumo qui regarde le sapin. C'est la première fois qu'il participe à Noël avec nous, Tsukumo est embarrassé car il n'est pas habitué à tant de bonheur. Autour de nous, il n'y a que les cris euphoriques des plus jeunes, la voix douce de ma mère qui prépare activement le repas avec les aînés, Ridzac et Loïck. Et nous, à l'intérieur de cet incroyable bonheur.
-Mais c'est b-bien trop haut pour que j-j'y arrive seul !
-Prend sur cette chaise.Je venais de prendre une chaise de la cuisine pour la mettre devant le sapin. J'aide Tsukumo à monter dessus et garde mes mains autour de ses hanches pour ne pas le lâcher et qu'il se fasse mal en tombant.
Être famille, c'est se soutenir mutuellement. C'est notre premier pas vers la complicité. Rassuré, il tourne son regard sur le sapin et pour la première fois, je le vois sourire avec sincérité quand il met l'étoile sur la place qui lui revient de droit.
Ensemble, nous regardons le premier pas de Tsukumo vers le bonheur.
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ARANAËL ET LE GARÇON AUX CHEVEUX BLANCS
WerewolfBien des années viennent de s'écouler sur le royaume d'Ibn Fadhan. Estella et Daeron coulent des jours heureux et leurs enfants grandissent. Aranaël rencontre Tsukumo, un jeune garçon aux cheveux blancs et au visage sans expressions quand il n'est...