Chapitre trente-cinq.

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En arrivant sur place avec Tsukumo, les hommes de mon père nous retiennent. Ils nous défendent d'entrer dans la salle du trône. Il y a énormément de mouvement près de la pièce. Quelque chose de terrible vient de se passer en notre absence. Recouvert d'une légère pellicule de neige, je cesse de m'appuyer sur Tsukumo et tiens debout par mes propres moyens. Puis je prends le garçon par le poignet pour forcer le passage. S'ils me demandent de ne pas y aller, tous arrêtent de me retenir, incapable de me repousser. J'avance alors dans le hall, en tirant Tsukumo dans ma direction. Puis je grimpe les escaliers avec lui alors qu'il me regarde sans mots. Mais lui aussi, n'ignore pas le comportement de ces hommes.

—Ridzac, Loïck ? Que faites-vous ici ?

Je tombe sur le couple qui semble dévasté par le chagrin. Si la bête blanche arrive à masquer ses émotions, son regard ne m'échappe pas. Et les larmes de Loïck n'ont plus. Très vite, je comprends qu'il est arrivé quelque à mes parents... enfin, à mon père.

— Je suis désolé, fiston, s'excuse Ridzac en posant une main sur mon épaule. Terriblement désolé.
—De quoi... tu... bègué-je avant de me mettre en colère. Dîtes moi ce qui se passe ici, hein !?

J'attrape Ridzac par le col de sa blouse et ce dernier ne réagit même pas face à mon attitude pourtant très déplacée. Si j'ai tout le respect du monde pour lui, je déteste quand il me cache des choses. Il est un peu comme mon second père, avec Loïck.

—Si tu rentres dans cette salle, alors tu devras endosser un rôle pour lequel tu n'as pas été... préparé, admet Ridzac dans parvenir à me regarder. Mais tu as la possibilité de ne pas entrer à l'intérieur, et de rester celui que tu es, aujourd'hui.

Je ne comprends pas les paroles de la bête, juste que quelque chose est différent. Comme si j'avais le choix de faire basculer mon destin, ou de vivre dans l'ignorance la plus totale. Mais je n'ai pas à réfléchir trop longtemps pour savoir ce qu'il me reste à faire. Je déplace le couple et lâche le poignet de Tsukumo pour qu'il prenne à son tour sa propre décision, sans que j'aie la moindre influence sur lui. J'entre ensuite dans la salle du trône et m'arrête en écarquillant mes yeux or.

—Père !?

Je cours précipitamment vers lui quand je le découvre agenouillé en face du cercueil de maman, à lui tenir une main. Étrangement, je ne l'ai jamais trouvé plus majestueux qu'en cet instant. Son profit est parfait, ainsi que sa position. La lumière de cette fin de journée fait briller son magnifique pelage sombre, et lui offre d'uniques reflets orangés. Mais je m'arrête quand je me rapproche de lui, réalisant qu'il était mort à son tour.

Ridzac et Loïck le suivent de derrière, accompagnant Tsukumo qui ne peut s'empêcher de pleurer en s'avançant vers moi. Si cette vision de mes parents m'arrache aussi des larmes, ils dégagent quelque chose de... d'extrêmement puissant en cet instant. Oui, ils sont magnifiques. Que ce soit le corps de ma mère éteint, ou celui de mon père. Malgré tout, je vois bien qu'ils s'aimaient du plus profond de leur cœur.

Ridzac m'apprend alors que mon père est mort de chagrin, acceptant volontairement que son âme rejoigne celle de sa moitié pour le reste de l'éternité.

Liés par le destin, mourir ensemble était inévitable pour deux âmes sœurs. Et intérieurement, j'avais compris que c'était ce que cherchait mon père. Que sans ma mère, son existence n'avait plus de sens.

Des lueurs lumineuses émanent de mon père, et éclairent son corps d'une magnifique couleur ambre.

— Tout repose sur toi, Aranaël.
—R-Ridzac ?

Ridzac avance plus loin dans la pièce pour récupérer notre couronne royale.

—J-Je ne suis pas... prêt à endosser un tel rôle, Ridzac. Je...

Pour me répondre, il s'approche de moi pour se mettre en face, et plonge son regard dans le mien.

—Tes parents ont sacrifié leur propre existence pour laisser d'Ibn Fadhan paix et sérénité. Afin que leur sacrifice n'est pas servi à rien, il est de ta responsabilité d'accepter cette couronne.

Sur le coup, je recule et heurte Loïck qui ne bouge pas. Je m'excuse silencieusement avant de regarder la bête blanche une fois de plus.

—Pourquoi moi ?

Désespérément, je regardais le loup blanc afin de chercher une réponse.

—Parce qu'Estel et Elisabeth ont donné leur vie. Ton père a placé ses espoirs en toi. Tu es son digne fils, ne l'oublie jamais. Cette couronne est le sacrifice de ton père mais également celui de ta mère et de sa sœur, ne détruit pas tout, Aranaël. Honore leur mémoire jusqu'à la fin de ta vie en devenant roi. En devenant une brave bête pour qu'Ibn Fadhan ne connaisse plus de tragédie.

Bien sûr que les paroles de Ridzac me vont droit au cœur. Il est le mieux placé pour transmettre la volonté de mon père à travers ce discours. Toute ma vie, j'ai jalousé ce loup noir, mais avec du recul, je ne savais simplement pas dire à mon propre père que je l'aimais. Aujourd'hui, mon plus grand regret était de ne jamais pu le lui avoir dit avant. Tout ce que je peux faire en cet instant, c'est regarder son corps, agenouillé devant celui de sa Destinée qu'il vient de rejoindre.

—J'ai promis à tes parents de veiller sur toi, Aranaël. Tu n'es pas seul dans cette épreuve. N'oublie jamais que le cœur de cet enfant est connecté au tien.
—Le cœur de...

J'ouvre mes yeux en grand soudainement.

Et dans cette réflexion pleine de doute et d'hésitation, je réalise que j'ai la chance d'avoir Tsukumo à mes cotés.

Ensemble, nous pourrons peut-être poursuivre le rêve de nos parents, tout en se battant pour les nôtres.

ARANAËL ET LE GARÇON AUX CHEVEUX BLANCSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant