Chapitre vingt-huit.

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Tsukumo est légèrement sonné par le choc de l'explosion. Mes oreilles sifflent et les siennes aussi. Il est blessé à la tête et saigne, mais il n'a rien de grave. Je suis rassuré et soupire de soulagement. Je l’aide ensuite à se relever mais il titube par manque de force. Non, à cause de la peur qui paralyse ses muscles. Et quand je tente de le prendre dans mes bras pour faciliter les choses, une lame de lance frôle ma gorge à toute vitesse pour me dissuader de bouger. Quand je regarde Tsukumo, il met ses mains aux oreilles, je réalise très vite qu'il a perdu ses appareils auditifs dans notre chute. Du regard, il vérifie par terre et les alentours, mais la fumée dégagée par l’exploitation est beaucoup trop forte pour qu’il y voie clair.

—Tien donc, le fils Aranaël en personne.

Une silhouette sombre s’avance vers moi, dans cet épais brouillard grisâtre. Je fais des gestes de bras pour dégager la vision mais la fumée persiste, altérant mon état physique.

—Vous êtes… Baron ?

Mais je devine rapidement que le chef du Conseil est de retour, plus déterminé que la fois précédente. Il n'a pas oublié l’existence de Tsukumo et de sa place étroite entre notre famille, et celle d’Elisabeth. Bordel, ce n’est vraiment pas le moment pour ça, j’ai baissé ma garde. Père avait raison, je ne fais jamais attention alors que le danger est grand.

— Où… elle est…. ? Demande Tsukumo sans s’adresser vraiment à moi.
—Tsukumo, reviens ici !

Il s’éloigne à la recherche de quelque chose, et ignore ses propres appareils au sol. Bien qu'abimés, ils sont peut-être en état de marche, mais il a la tête ailleurs, pour tout autre chose. Malheureusement, je n’ai pas le temps de m’occuper de lui, Baron est une menace, je ne peux ignorer ses agissements non plus.

— Inutile de bouger, vous êtes encerclé, prince d'Ibn Fadhan, dit-il tout en maintenant sa lance tout près de moi. Vous ne voudriez pas que ce charmant garçon soit blessé, n’est-ce pas ?
—Maudit soyez vous ! Si vous touchez à…
— Tout doux, chiot, me menace-t-il sans quitter Tsukumo des yeux. L’innocence rend les humains irrésistibles, vous ne trouvez pas ? Frère serait fier de cet enfant s'il n'avait pas été tué par votre famille.

Baron n'est pas seulement ici pour Tsukumo, non. IL se sert de lui pour assouvir sa vengeance. Je comprends mieux pourquoi il apparaît dans un tel moment. S'en prendre à moi est plus facile que d'affronter mon père. Si je n’ai pas son niveau, Ridzac m'a confié sa lance et son savoir. Je ne peux pas fuir la queue entre les jambes alors que j’ai moi-même des atouts pour m'en sortir contre lui. C’est peut-être le moment de prouver à tous que je ne suis pas un lâche, que je peux être à la hauteur de père, et protéger Tsukumo.

Mais les hommes du Conseil se mettent autour de l’épais nuage, armés, moi-même je ne parviens pas à les percevoir avec cette fumée. Cette bombe est particulière, elle alterne mes sens de loup. Baron a pensé à tout avant de venir ici, pour m’empêcher de réagir et augmenter mon temps de réaction. J'entends d'ailleurs que les gens autour continuent de prendre la fuite et d'attirer l'attention de la garde royale en hurlant dans tous les sens. Les hommes de mon père ne tardent pas à arrive pour prendre part à ce conflit.
Plus loin, j’entends les premiers affrontements, les lames qui se touchent et les armures qui bougent à chaque mouvement. Quant à Baron, il se jette sur moi pour m’attaquer et me mords violemment au cou. Sur le coup, je suis surpris et ne bouge pas pour me défendre. Il m’entraîne à terre mais rapidement, Tsukumo nous voit lutter et décide de courir vers nous en criant. Je n’ai pas besoin de le regarder pour sentir sa peur. Si mes sens sont altérés, je peux entendre les tremblements de son corps, et sa respiration saccadée. Pourtant, il n’hésite pas un instant à s'emparer de sa boule de Noël pour la jeter sur le lion.

Si ce dernier ne ressent pas la moindre douleur, il me lâche pour interagir avec l’humain. D’abord sans lui parler, il le regarde, puis il s'avance vers lui.

—Je ne vous veux aucun mal, Tsukumo. Venez avec moi, je vous prie. Et les choses se passeront bien.

Mais Tsukumo ne l’entend pas et recule, de peur.

Le voyant s’approcher de trop près, je réagis tout de suite et repousse mon adversaire grâce à la force de mes jambes, malgré ma blessure importante. Baron atterris plus loin sur ses pieds et je profite de cet instant pour rejoindre mon servant. Je titube mais ne tombe pas quand je cours vers lui, ma lance à la main. Puis je récupère sur le sol en morceau de bois provenant d'un stand pour m’en servir de bouclier. Ce n’est pas le plus adapté, mais il fera l’affaire.

— Tsukumo !

Même s'il ne m’entend pas, je cris son prénom en tendant mon bras dans sa direction. Mais l'ombre du lion surplombe nos deux corps et je me jette sur l’humain pour le protéger. Je l’entends brandir  sa lance, prêt à me tuer pour reprendre Tsukumo et venger Quartaffel. J'utilise alors mon bouclier mais il se brise aussitôt. Puis je faire tourner ma lance dans ma main et contre son coup de toutes mes forces.

Mais je flanche car je tiens Tsukumo d'un bras. Mon arme étant trop lourde, elle tombe au sol. Je réalise alors que je suis à la merci de Baron. Sans arme, un soldat ne peut se défendre et est destiné à mourir.

—A-Aranaël ! Hurle Tsukumo en pleurant, tenant contre lui la boule de Noël fissurée.

Je reçois un coup en plein visage et perds mon sang abondamment suite à cette violente blessure. Une partie droite de ma gueule est partie dans cette attaque, ne laissant plus que ma chair à l’air libre. Ma mâchoire est plus apparente car il me manque la moitié du visage. Mais face à Tsukumo et Baron, je ne peux pas me envahir faire par la douleur. Je pousse mon servant plus loin mais glisse sur mon propre sang en réalisant que mon œil droit a été touché par son attaque.

Je finis par m'effondrer sans pouvoir arrêter le lion. Et dangereusement, il se rapproche de Tsukumo, qui recule sur ses fesses pour tenter de lui échapper.

— Si vous tenez à votre prince, venez avec moi. Sinon…

Il tourne sa gueule dans ma direction et plante la lame de sa lance dans mon épaule, me clouant au sol pour de bon, et me prenant mon premier hurlement de douleur.

— Je prends la vie de votre bien aimé. Le choix vous appartient, Tsukumo.
— Gnh…

Si Tsukumo ne l’entend toujours pas, il comprend parfaitement ma position. Il lève son regard du sol pour poser ses yeux sur moi, et fait un étrange mouvement avec ses mains que je comprends parfaitement.

Il me dit je vous aime, à sa manière.

Tsukumo a fait son choix. Celui de se séparer de moi pour me sauver.

ARANAËL ET LE GARÇON AUX CHEVEUX BLANCSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant