Chapitre 10. Mathieu

4.2K 384 35
                                    

Lundi.

J'ai longtemps espéré avoir un jour l'opportunité de lui faire payer de m'avoir brisé comme elle l'a fait, de m'avoir cruellement mit sur le dos toute la responsabilité de dix ans d'amitié partie en fumée, d'avoir réussi à m'en faire douter en me remettant en question sur mes responsabilités dans ce désastre, chaque jours, inlassablement. J'ai fantasmé plus d'une fois de lui faire regretter ça, de m'avoir fait devenir plus que l'ombre de moi-même en m'ayant infligé la douleur difficilement supportable du rejet. J'ai rêvé de cette vengeance pendant trois longues années éprouvantes. Et je l'ai eu. Je me suis vengé. D'une manière bien plus abjecte que je n'aurais jamais osé ne serait-ce qu'imaginer, ni même dont je me serais cru capable de lui faire subir.

Je devrais me sentir libéré, soulagé qu'elle éprouve enfin la même souffrance que j'ai dû affronter par sa faute, celle d'être repoussé par la personne qu'on aime. Mais le problème est justement là, elle m'aime. Dans mon idéaux de châtiment, je n'apprenais pas que mes sentiments étaient réciproques et je lui en faisait baver autrement, pas en jouant avec les siens d'une cruauté qui me révolte moi-même.

Elle est bien trop maligne pour moi et j'en ai pleinement conscience, c'est d'ailleurs pour ça que l'occasion de l'humilier en retour était trop belle pour que la rate. Trop tentante. Et qu'elle meilleure victoire que de lui faire vivre exactement la même chose que ce que j'ai vécu ? De lui faire ressentir exactement la même douleur ?

C'était probablement ma seule chance d'y parvenir alors je l'ai saisi, bêtement, dans une tentative misérable de redorer mon estime de soi qu'elle avait anéanti en me repoussant. Seulement je n'arrive pas à l'apprécier, loin de là, je peine tout juste à me regarder dans un miroir depuis. Je la dégoûte, et elle à raison, moi aussi je me répugne. Sauf que j'ai choisi la vengeance à mes sentiments, trop blessé dans mon égo, et que maintenant, je n'ai plus aucune infime chance de pouvoir l'embrasser à nouveau comme j'en crève d'envie depuis le baiser qu'elle m'a offert. Qui hante chacune foutues secondes interminables qui passent, rongé par des nouveaux regrets encore plus féroces.

-Oh, je te parle !

-Hein ? marmonnais-je en relevant la tête de mes pieds, surpris de trouver Quentin à mes côtés.

Un peu plus quand je réalise que j'ai atteint le parking de la Fac, sans avoir aucun souvenir d'avoir traversé tout le bâtiment, trop perdu dans mes réflexions tiraillés.

-Je te parle depuis dix minutes et t'en a rien à carrer, tu ne fais même pas semblant de m'écouter enfoiré. Qu'est-ce que t'as ? T'es complètement ailleurs depuis ce matin.

-Désolé, bredouillais-je en déverrouillant ma voiture à distance.

-Tu te tires ? s'étonne-t-il alors que je m'éloigne déjà.

-J'ai des trucs à faire.

C'est totalement faux, mais rester sur le campus c'est prendre le risque de la croiser, et je ne suis pas sûr d'avoir la force de la regarder en face après ce que je lui ait fait.

J'enclenche le contact de ma voiture quand ma portière passager se rouvre soudainement, sur Quentin qui s'installe le plus naturellement possible.

-Qu'est-ce que tu fais... ?

-Je m'incruste, me sourit-il avant de hausser le menton vers mon volant, m'intimant de prendre la route.

-Ouais, hmm, ce n'est pas contre toi vieux mais-

-Rien du tout, m'interrompt-il. T'as une tête de dépressif, pas question que je te laisse seul et que tu fasses une connerie.

-T'en fais un peu trop, tu ne crois pas ?

Vengeance ou sentiments.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant