Lundi.
Malgré deux couches d'anticernes, les dernières traces d'une nuit entière orchestrée que par des larmes sont toujours facilement visibles sous mes yeux bouffis et rougis. Je rejoins donc la Fac cachée sous une paire de lunette noire malgré la grisaille, et ce, en bus, pour la première fois depuis des semaines. Un trajet d'un quart d'heure qui me parait interminable, avec une douleur cuisante à l'estomac d'approcher graduellement de l'endroit où je vais très probablement devoir le revoir.
Et comme si même le destin s'acharnait à vouloir me faire payer d'avoir été aussi lâche, alors que je le regrette déjà amèrement, mon regard capte des pupilles brunes dès ma descente du bus. Mon corps ralentit ses mouvements, tout comme ma respiration, incapable de dévier mon regard ailleurs que sur lui. A voir sa mine fatiguée et meurtrie, je jurerais qu'il a passé une nuit aussi mouvementée que la mienne.
C'est stupide, je suis en tort et j'en ai conscience, mais pourtant, je lui en veux.
Je lui en veux de ne pas me laisser davantage de temps, de m'avoir fait croire qu'il acceptait de le faire alors qu'il s'en plaint maintenant, de ne pas respecter le fait que l'inconnu me terrifie et que je ne me sens pas capable de l'affronter pour le moment. Même si j'en ai sincèrement envie. Je lui en veux de me poser un ultimatum, de vouloir aller trop vite et d'accentuer davantage mes angoisses alors qu'il savait parfaitement que c'était ce qui arriverait, que je fuirais parce qu'il a raison, je suis loin d'être aussi courageuse que je le prétends. Ou en tout cas, pas assez pour surpasser cette panique que l'avenir m'engendre constamment. Je lui en veux de baisser les bras, d'être lâche, lui aussi.
Il rompt finalement le contact le premier, referme sa portière de voiture d'un geste brusque, puis s'éloigne vers le bâtiment maudit dans lequel on pourra difficilement s'éviter éternellement quoi qu'on le veuille. Alors je décide de prendre mon courage à deux mains, et le rattrape avant qu'il ne disparaisse dans la foule d'étudiants.
-Est-ce qu'on peut discuter avant les cours ? lui réclamais-je timidement quand j'atteins son niveau.
Il m'ignore ouvertement sans ralentir sa course, les mains rageusement enfoncées dans les poches de son incontournable Bomber kaki.
-Tu pourrais être plus indulgent, je viens quand même de te courir après, ça n'arrive pas tous les jours, tentais-je de plaisanter.
-Dommage que tu ne l'ait pas fait quand ça en valait encore la peine, rétorque-t-il froidement en regardant droit devant lui.
J'examine brièvement son profil attrayant, pensant y trouver sa mâchoire durement tracée mais son visage est impassible.
-A quoi tu joues... ? le questionnais-je, perplexe.
-De quoi tu parles ?
-De toi, qui te la joues totalement détaché. C'est mon truc ça, me plaignais-je, déstabilisée par son comportement inhabituel. Normalement, toi, tu râles et tu serres les dents pendant que moi, je fais semblant d'être complètement neutre.
-Les choses changent. Les gens aussi.
-En vingt-quatre heures ? J'en doute. Qu'est-ce que tu manigances Leroi ?
Il maintient la porte du bâtiment qu'un type nous gardait ouverte, puis me laisse passer la première sans la moindre expression.
Je soupire exagérément en avançant dans les couloirs de la Fac, alors qu'il marche toujours à mes côtés, sans me donner de réponse.
-Bon sérieux Math, m'agaçais-je après qu'on ait traversé tout le hall sous un silence de plomb accablant. Dis-moi ce que t'as en tête, je vois très bien que tu mijotes un truc là, je te connais.
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Vengeance ou sentiments.
Roman d'amourDix ans les ont uni, un malentendu les ont séparé, trois années les ont éloigné. Quand Alizée Boisié, la reine des garces et celle qui lui a brisé le coeur, revient en ville pour étudier dans la même Fac de Médecine que la sienne, Mathieu Leroi se...