Chapitre 14. Mathieu

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Samedi.

-Dix-neuf heures, ce n'est pas dix-neuf heures onze Mathieu, m'assène sèchement ma mère, alors que je passe tout juste la porte d'entrée de la maison de mon enfance.

-Désolé, il y avait du monde sur la route.

Elle rouspète entre ses lèvres, qu'elle posent tendrement sur ma joue tout de même, puis disparait rapidement dans la cuisine d'un pas agacé.

-Ok... Papa ? appelais-je, tel un appel au secours.

Je traverse la maison encore dépourvue de ses invités, calme, plongée dans une douce odeur qui promet un festin digne de ce nom.

-Tiens, mon fils ! me sourit mon père quand j'atteins le salon, où il semble s'acharner sur son poste de musique préhistorique. Tu tombes bien, tu vas pouvoir m'aider à faire marcher cet engin. Une heure que j'essaie de lancer un CD, il n'y a rien à faire. Je suis à deux doigts de le faire voler contre le mur.

Je pouffe en l'étreignant brièvement, avant de simplement appuyer sur le bon bouton qui lance un air de saxophone.

-Du Jazz ? Sérieusement papa ?

-Vois ça avec ta mère, c'est elle qui a insisté. Soi-disant que ça donne une ambiance conviviale, me chuchote-t-il en roulant ses pupilles identiques aux miennes. Alors, tu-

La sonnette l'interrompt, raidissant mon corps dans la seconde.

-Et voilà, ils sont déjà là et tout n'est pas prêt ! râle ma mère en martelant le parquet de ses talons hauts quand elle part ouvrir.

C'est partit mon vieux, inspire, expire.

-Mais regardez qui voilà ! s'exclame-t-elle gaiement en ouvrant la porte, ayant ravalé sa mauvaise humeur plus vite que je me suis arrêté de respirer. Ma chérie, ce que t'es belle... Je suis tellement contente de te revoir, viens dans mes bras.

Alors que papa lève les yeux au ciel en relâchant un soupir rieur face à maman qui en fait des caisses, je tente encore de retrouver un semblant de souffle. J'entrevois brièvement la silhouette d'Alizée quand elle l'enlace dans l'entrée, affublée d'une robe bordeaux qui va probablement hanter mes fantasmes pour les dix prochaines années. Puis ses pupilles dorées se redressent sur moi sans que je n'arrive à analyser ce qui s'y cache, trop submergé par cet échange silencieux.

C'est inhumain d'être aussi belle, ça ne devrait même pas être légal pour des raisons vitales évidentes chez l'homme.

-Alizée ! s'enquille mon père en allant à son tour la serrer dans ses bras, l'ayant toujours autant adorée que ma mère. T'es ravissante. Une vraie jeune femme, regardez-moi ça !

Il la fait tourner sur elle-même et je me délecte complètement du spectacle sans réussir à me déraciner du sol, épris par un enchantement maléfique.

-Mathieu, vient saluer Véronique et André quand même, m'ordonne gentiment ma mère derrière un sourire moins sympa.

A reculons, je m'avance jusqu'à eux en masquant toute la nervosité que m'inflige leur fille, puis les embrasses dans des accolades affectueuses.

-Ça faisait longtemps qu'on ne t'avais pas vu mon grand, me reproche le père d'Alizée, que j'ai toujours considéré comme un père de subsistions mais que j'ai un peu délaissé depuis un long moment.

Après le départ douloureux d'Alizée, je venais fréquemment passer les week-ends ici pour ne pas me morfondre tout seul dans la chambre étudiante que j'occupais au début de mes études, et il m'arrivait tout aussi souvent de passer du temps avec André et mon père. Mais chaque moments en sa compagnie me rappelait continuellement que j'avais perdu sa fille, ma meilleure amie, celle que j'aimais toujours et n'arrivais pas à oublier, ce qui affaiblissait mon moral déjà au plus bas alors j'ai tout bonnement pris mes distances au fil du temps. Utilisant l'excuse des pauvres quarante minutes de route qui me séparent de ma ville natale, et mes études qui me prennent trop de temps.

Vengeance ou sentiments.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant