Chapitre VII :Carapace morcelée

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Évidemment, tout ce mal n'avait pas suffit, la vie m'a offert plus, quelle généreuse entité. Je fais certainement parti de ses favorites pour qu'elle désire tant me donner ces cadeaux incroyables. Cette fois le niveau était encore plus élevé. Elle voulait plus d'offrandes, plus de pleurs, plus de sang.

Certains soirs cet été là, je me sentais horriblement fatiguée, plus épuisée que d'autres jours. Il pouvait être vingt heures, je n'en pouvais plus, et alors, j'allais me coucher, rejoindre les bras de Morphée. Cette sensation étrange m'envahissait, l'impression d'être déconnectée de la réalité, j'entendais, je voyais, mais à aucun moment je ne comprenais. Mon corps n'était plus qu'une âme errante, vidée d'énergie, dont les mouvements étaient lents et nonchalants. Ces mêmes soirs là, je la sentais, une vague présence à mes côtés, juste à ma gauche, dans mon dos. Elle sortait ses griffes, les faisait glisser de mes épaules rondes à mes hanches en chuchotant ces mots incompréhensibles. Ma peau frissonnait, mes poils se hérissaient, mais de peur, de terreur, de stupeur. J'étais comme paralysée, impossible de bouger, de la faire fuir, et puis, j'étais si fatiguée, si anormalement fatiguée, alors mes yeux se fermaient, je ne pouvais lutter.

En fait non, cela ne s'est pas réellement déroulé ainsi. Cette ombre mystérieuse a eu tant d'occasions de recommencer, tellement que je ne suis pas capable de les compter. Les mois ont suivit, j'avais encore une part d'innocence, j'étais toujours dans l'ignorance, ma mémoire ayant bloqué ces images. Et un jour tout a commencé.

Une nuit, effrayante, angoissante, mon cœur qui bat fort, qui s'autodétruit dans ma poitrine.

Dans un cauchemar, j'ai vu l'une de ces scènes nocturnes. J'avais honte, honte de pouvoir m'imaginer ça. Mais non, non, j'étais encore trop aveuglée, ce n'était pas mon imagination, non, non pas du tout. Les rêves s'enchaînent, se suivent, se ressemblent, deviennent de plus en plus précis, jusqu'à paraître réels.

Mon esprit hanté criait au secours, et ce, même la journée. Tableau blanc face à moi, voix du professeur qui raisonne dans la salle, mon cœur qui bondit, mes poumons qui brûlent par manque d'oxygène, ma tête qui tourne, mon corps qui abandonne le combat. Je m'enfuis en courant, cherchant l'air frais à l'extérieur du bâtiment.

C'est à force de vivre ça, de voir ces images si vraies, d'écouter de ce que me disait mon être intérieur, que j'ai compris. J'ai compris que non, je ne créait pas ces rêves absurdes, non ce n'était pas le fruit de mon imagination. Putain non.

Dégoût. Immonde. Écœurement.

J'ai couru aux toilettes, j'ai vomis. J'étais bouleversée. J'ai pleuré toutes les larmes que je pouvais. On m'avait pris tout ce qu'il me restait, le peu d'intimité, de dignité que j'avais. J'avais besoin de me laver, encore, toujours, éternellement. Des heures sous la douche, la facture qui augmente, et mon obsession incessante. J'avais beau rester sous l'eau, je ne me sentais jamais moins sale, moins repoussante. C'était comme si un énorme panneau lumineux trônait au dessus de ma tête pour indiquer que je n'étais plus rien, cette impression que tout le monde le savait.

Tout s'est éclairé dans ma tête. Je n'avais jamais vraiment supporté les médicaments, ni leurs effets secondaires. J'étais plutôt faible, peu résistante. La moindre ingestion m'épuisait, m'emportait ailleurs. Lui, il en prenait quotidiennement. Des calmants, pour l'hypertension. Des calmants, c'était ça. Il préparait tout nos plats, nos assiettes, nos verres , remplis. Bizarrement quand je ne buvais pas, tout allait pour le mieux.

J'aurais pu porter plainte, retourner à cet endroit que j'ai, durant mon enfance, tant côtoyé. Mais je n'ai rien fait, j'ai préféré le laisser gagner. J'ai accepté ma défaite, il avait une longueur d'avance, et moi aucune vraie preuve. J'ai soupiré. J'étais brisée, mais je n'en ai jamais parlé.

Oui. J'ai été attouchée, mais non, je n'ai jamais rien dévoilé.

"Bienvenue dans le monde réel" m'a murmuré la vie cette nuit là, pendant mon sommeil.

L'air Humide Qui Caressait Mon Dos Cette Nuit LàOù les histoires vivent. Découvrez maintenant