Chapitre XIX : La course de ma vie

9 1 0
                                    

Aujourd'hui, je dispute la course, l'ultime, celle de ma vie. Les jambes chancelantes, le regard terrorisé par toute celle foule acclamant les autres concurrents, le cœur bondissant dans ma poitrine, je m'avance sur la ligne de départ. Je reconnais quelques voix, qui me hurlent de réussir, la pression monte, je vais les décevoir. Les autres coureurs sont préparés, endurants, dopés, moi, je n'ai jamais fait un seul footing, je n'ai l'habitude que de courir après mon bus le matin et le soir. Je vais certainement me faire battre à pleines coutures.

Le coup de sifflet retentit. Un éclair transperce le ciel. Tout le monde s'élance.

Si je perd, je meurs. Je suis tentée de ne pas me fatiguer, d'abandonner directement, de marcher, laisser les autres passer devant. Cela fait bien longtemps que je ne vois plus d'intérêt à vivre, je souffre trop pour continuer, je souhaiterais enfin atteindre la paix, loin de ce monde rempli d'une immense cruauté. Mais j'aperçois parmi tout ces visages gais, celui d'une amie qui me sourit. Quelques mètres plus tard, alors que je suis loin derrière les autres, je vois celui de mon meilleur ami, puis au fil du trajet, j'en distingue plus, toujours plus, mes amis, ma famille, ils sont tous là, ils m'encouragent, me supportent...

Je n'ai pas le choix, je ne veux pas que leur joie se transforme en peine. Je rassemble mes forces, j'accélère. Leur enthousiasme, leur soutien, c'est ce qui fera la différence. Au loin, les silhouettes de mes ennemis réapparaissent, deviennent de plus en plus détaillées, plus grandes, plus proches. L'orage laisse doucement place à un splendide soleil qui illumine le ciel de ses vastes rayons dorés, malheureusement cachés par moment par des tâches grises difformes qui parcourent les cieux.

"Tu peux le faire, je le sais, tu es forte!" vociféra une voix masculine, elle m'était familière, un panneau sur lequel était écrit "Allez ma femme !!!" dans les mains, j'ai vu l'homme que j'aime, il m'a fait l'effet d'un dopage, d'un accélérateur, j'ai trouvé cette rage de vaincre, ce sentiment qui me ferait vivre encore longtemps. Plus de nuages à l'horizon, juste une immense mer couleur azur qui trône au dessus de nos vies insignifiantes d'humains.

Je dépasse l'Angoisse, je lui fait un signe d'au revoir au passage, à mon tour de la narguer, je suis en position de supériorité désormais. Elle trébuche, je ne me retourne pas, je savoure juste ma première victoire intérieurement, mais je ne perds pas le Nord, je garde le cap, je continue d'aller plus vite, mes pieds frappent violemment le sol, Phobie Scolaire me voilà.

L'un des concurrents les plus coriaces, j'arrive à sa hauteur, elle me pousse puissamment, je chute, mon crâne heurte la terre, le visage plein de boue, je suis sonnée, et quand je tente de me relever, je vois qu'elle a doublé tout le monde, elle est en tête.  Des gouttes de pluie se fracassent sur mes joues, sur mes cheveux. Mais je me souviens de toutes ces voix, celles de mes proches, une jambe après l'autre, je me remet debout, je recommence à courir sans rien lâcher.

J'ai mal, je suis égratignée, le sang glisse le long de ma peau diaphane, le rouge écarlate contraste avec le blanc porcelaine, comme mon euphorie le jour contraste avec ma terreur la nuit.

Je donne tout pour rattraper Phobie Scolaire, la Mort, le Cancer. Je m'accroche à la Vie, on court main dans la main, et le Futur est à nos côtés, les cheveux au vent on sent la victoire se rapprocher.

On y est. A quelques centimètres des premiers. Je voudrais sauter sur le Cancer, le frapper, le griffer, mais je risque d'être disqualifiée. Maman même si tu n'es pas là, je sais que tu te bats à l'hôpital aujourd'hui, et c'est pour toi que je vais gagner, je vais crier ton prénom en passant la ligne d'arrivée.  On contourne ce coureur répugnant, le moins rapide des trois, je me retourne, mon majeur se dresse soudainement, un sourire dessiné sur mon portrait, son expression à lui, tourne au désespoir. Il est encore trop tôt pour s'approprier la première place, il reste encore deux personnes à dépasser.

Je lève les yeux, je vois un ciel gris, presque noir. Le vent, glacial, rejoint la danse, il souffle contre nous, rendant ainsi la course plus compliquée, mais ce n'est clairement pas suffisant pour me décourager, maman je te l'ai promis, je t'ai promis de gagner. Au loin je distingue la fin, je dois me dépêcher, il ne me reste que quelques mètres pour pouvoir soulever la coupe.

Dernière ligne droite. On s'avance, la Vie, le Futur, et moi même. Phobie Scolaire se jette sur le Futur, elle pose ses mains sur sa gorge et je la vois presser, appuyer avec toute la rage du monde, il ne s'est pas relevé, et lâchement je l'ai laissé, j'ai continué d'avancer. J'ai serré fort la main de mon dernier compagnon de route, j'avais si peur de le perdre aussi. La Mort s'est retournée, j'ai vu son visage sombre, inhumain, terrifiant. Elle a sortit sa faux et la planté dans le coeur de la Vie, ses muscles ont lâché instantanément, elle s'est écroulée. J'ai tenté de la porter, mais je rallantissait trop, avant de lâcher son dernier soupir, elle m'a murmuré de tout donner, et de la laisser pour gagner.

Je réalise la plus grande accélération de ma vie, j'ai rassemblé toutes mes forces, la Mort, vêtue de sa longue robe noire comme les ténèbres la nuit quand la Lune se lève, se trouvait désormais dans mon dos, dix mètres à tenir encore. Alors que j'allais réussir j'ai sentit une lame s'enfoncer dans mes jambes. J'avais les deux genoux à terre mais c'était pas pour sucer. La douleur devient insoutenable, les larmes coulent au rythme des éclairs qui dessinent des zébrures au dessus de ma tête. J'entends des rires cyniques, je rampe, ils se rapprochent : la Mort, Phobie Scolaire, le Cancer et même l'Angoisse,  ils reprennent tous ensemble la tête de la course, au passage l'Angoisse écrase ma main gauche. Ils franchissent la ligne d'arrivée, putain j'y étais presque, je suis désolée maman, j'ai encore échoué. Je l'atteins à mon tour, toujours le corps contre la terre boueuse, j'arrive aux pieds du Cancer qui déchire une photo de ma mère et laisse les morceaux s'envoler dans une violente bourrasque. Je m'en veux tellement de ne pas être à la hauteur maman, mais je ne suis pas morte, je suis encore là, pour toi je vais me relever, et à tout les autres qui m'ont aidée, je vous jure qu'un jour je me dresserai à nouveau sur mes deux pieds, je pourrai enfin vous enlacer. Il n'est pas question d'abandonner, pas maintenant, je vais vous prouver que rien ni personne ne peut m'arrêter.

L'air Humide Qui Caressait Mon Dos Cette Nuit LàOù les histoires vivent. Découvrez maintenant