Chapitre 13

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Attendre dix-huit heures fut fastidieux. Je tournai, un lion en cage, distrait par tout, ennuyé par un rien. J’aidais Nona à ranger, je ramassais les vêtements dans ma chambre, que je m’étais bien trop approprié ces derniers jours. Je l’aidais même à faire quelques courses, descendant plus bas au village pour chercher du pain, du café et des œufs. Mais tout était fade, parce que je n’avais ni William, ni même Edward à côté de moi. Les habitants me saluaient, je répondais distraitement.

Puis je retrouvais le canapé de velours, la fraîcheur et l’ombre du salon. Etendu sur le dos, les bras en croix, j’attendais.
« Ne veux-tu pas aller à la plage ? suggéra Nona. »
Je secouais la tête, boudeur, battant des pieds sur l’accoudoir. L’après-midi ne semblait jamais vouloir finir, belle et lumineuse. Me sachant insupportable, je coupais court à la discussion en me retournant, fermant les yeux. Mon ventre me remontait dans la gorge, je ne savais plus si j’exultais ou si j’appréhendais de le revoir.

Et enfin l’après-midi touchait à sa fin. Mes mains tremblaient, je n’arrivais même pas à refermer ma chemise correctement. Une bile acide me remontait dans la gorge, me brûlait jusque sur la langue.
Moi qui avais été si impatient, je descendais désormais vers la plage presqu’à reculons. Mais je n’eus pas le temps d’atteindre la plage qu’une main glissa sur ma hanche d’un geste tendre. Je me retournais vers le visage qui réchauffa instantanément mon cœur. Il souriait, son visage angélique et calme.
Il soupira, sans même encore un mot, embrassa mes lèvres chastement. Le silence de la plage, le roulis de la mer, l’air qui se rafraichissait mais le sable encore chaud autour de nous, tout était parfait.
Il prit ma main dans la sienne, chaude et réconfortante pour nous faire descendre en contrebas, vers la plage. Il sautillait presque pour me tirer plus vite, plus loin. Nous nous éloignâmes de la Villa et ses fenêtres éclairées, marchant d’abord le long de l’eau, puis nous asseoir contre les lourdes pierres plates qui serpentaient entre les dunes.
« Pourquoi vous êtes là ? »
Il rit, haussa les sourcils. Il se pencha un peu plus, le visage vers le ciel qui s’assombrissait.
« Nous sommes en vacances !
- Non. Pourquoi ces vacances ? «
Alors il ne rit plus, baissa à nouveau la tête. Je m’en voulu d’avoir briser sa bonne humeur aussi soudainement.
« Eddy t’en a parlé.
- Non. Il m’a dit de te poser la question. C’est tout. »
Il hocha la tête, inspirant en de petits souffles.
« Ce n’est pas grand-chose. Je t’ai parlé d’Harry, ce garçon de l’internat. Il n’y a pas eu grand-chose entre nous, quelques baisers et caresses volées. Mais le voir partir, me fit mal. La colère de mes parents, leur rejet et ce qu’ils me firent subir, me fit mal. Je sais… »
Il inspira profondément, et j’eus terriblement peur de le voir pleurer.
« Je sais que j’ai fais du mal autour de moi, du mal à Eddy. Enormément de mal. Nous étions dans le même lycée. Il savait ce que l’on disait de moi. J’ai attiré l’attention, une mauvaise attention. Il y avait une horrible ambiance à la maison. Nous ne faisions plus rien, nous n’étions plus une famille, nous n’étions plus rien. Je n’étais pas bien Angelo, j’étais malheureux. Malheureux d’être moi, de voir que tout le monde me pensait malade. Et puis l’été dernier, tout est devenu trop. Alors que je venais aux portes ouvertes de la faculté de médecine, j’ai réalisé que tous les garçons présents, tous ceux qui étaient là, savaient. J’ai été mis à part, jugé, insulté. Ces garçons m’ont dit des choses horribles. Juste une journée, et j’étais un pariât, j’étais considéré comme une traînée, un déficient mental, un être abject. Je pouvais comprendre la déception de mes parents, mais le fait que des inconnus jugent… Je ne l’ai pas supporté. »
Sa voix se brisa aussi soudainement que brusquement. Je l’attrapai avec brusquerie, le tournant vers moi ; mes doigts fermement agrippés à ses épaules, je le secouais.
« Qu’est-ce que tu as fait ?! »
Dans la magnifique lumière du coucher de soleil, les rayons orangés sur sa peau pâle. Ses grands yeux océans débordant de larmes que je recueillis de mes pouces tandis que mes mains remontèrent sur sa mâchoire plus tendrement.
« Mère prend des comprimés qu’elle range dans un petit coffre de bois, dans le deuxième tiroir de sa commode. Père range ses bouteilles de whisky dans son bureau, les clefs sont dans le pot à crayons. J’ai bu la bouteille et avalé la moitié des comprimés. »
Il ne pleurait plus, mais était secoué de petits hoquets qui le faisaient trembler entre mes bras.
« Je ne le supportais pas Angelo. Et mes parents n’ont pas réagi, persuadé que ce n’était là qu’une pathologie supplémentaire de la maladie. Rien de plus. »
J’embrassais sa joue, son nez ; ses paupières trempées de larmes.
« Je suis désolé.
- Pourquoi ? Tu n’es pas eux. Eddy m’a aidé, il redonné le sourire. C’est grâce à lu que nous sommes là.
- Je comprends mieux. Lui, toi, vous, ici. »
Ses mains griffèrent mon dos presque tant il me serrait si fort contre lui. Toute sa personnalité brillante et exubérante qui s’effritait dès que l’on grattait un peu. Il n’était qu’une grande tristesse de garçon mal aimé, couvert de paillettes.
Il se blottit au fond de mes bras, sa respiration de plus en plus apaisée, la lumière déclinant de plus en plus vers l’horizon, une tendre obscurité qui nous enveloppait. J’embrassais son front ; les mains fourrageant dans ses cheveux. Il plia la tête en arrière pour profiter de mes caresses.
« Je lui ai fait tellement de mal, Angelo. C’es pour cela que je m’en suis le plus voulu. Lui avoir fait du mal. Il a cru me perdre, son jumeau, sa moitié... Je ne recommencerai plus, jamais. »
J’embrassai ses cheveux, il plongea ses doigts dans les miens, qui recommençaient à boucler. J’effleurai ses lèvres, très doucement, pour lui laisser le temps de se reculer, s’il ne voulait pas, si ce ‘n’était pas le moment.  Mais évidemment, il ne le fit pas. Il m’embrassa, avec une tendresse qui m’avait tant manqué. Ce petit feu crépita dans mon ventre, cette chaleur flamboyante. Il glissa un peu entre mes cuisses pour se serrer fort contre moi.
Sa langue était chaude en venant chercher la mienne pour nous mener toujours plus près de ce précipice où nous avancions chaque fois un peu plus.
« Plus jamais tu ne voudras mourir, c’est sûr ?
- Pas ainsi, pas pour ça. »
- Il m’embrassa à nouveau, avec moins de fièvre.
« Je ne pourrai pas perdre tout ce que j’ai aujourd’hui. Je ne pourrai pas. »
Je souris, le cœur gros d’amour pour lui, d’une certaine lourdeur, de savoir qu’il avait tant traversé, là où tout avait toujours été facile pour moi. Tout changerait-il maintenant qu’il était là ?
J’espérai que non, que nous serions plus forts que cela, lui avec moi, moi avec lui.

Sea, Sex and Sun [ AUTO-EDITE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant