Chapitre 15

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Je l'embrassais encore devant la porte, m'important peu de savoir si Edward nous surveillait de l'intérieur. Du bout des lèvres contre les siennes, je le remerciais pour cette soirée, de ce qu'il m'avait fait vivre, découvrir, d'être lui. Il souriait, les yeux encore brillants, les yeux humides et les cheveux défaits. Comment Dieu le Père pouvait-il avoir crée si belle créature entre mes bras ?

Léger, je remontais chez Nona, mes chaussures à la main, les pieds dans le sable. Ma chemise était mal reboutonnée, mon pantalon me tombait bas sur les hanches de ma ceinture que j'avais à peine refermée ; j'étais tout ce que la discrétion n'est pas.

Et pourtant, comme la veille, l'obscurité et son absence semblait avoir un pouvoir destructeur sur moi. Je perdis mon sourire au fur et à mesure où je regagnais la réalité. Que cette soirée avait été incroyablement belle, comme je m'étais oublié, moi petit gamin de Paris. Mon esprit lui appartenait, mon corps lui appartenait, cette soirée tout entière nous avait appartenue, mais notre histoire, elle, n'appartenait qu'à l'été.

La main sur la poignée de la porte d'entrée, je revoyais la journée comme un souvenir. Ma bonne humeur n'avait disparue, mais semblait avalée par les ombres de la nuit et d'une douloureuse réfléxion.

Nona ne dormait pas, comme je m'y attendais. Assise à la table de la cuisine, elle lisait. Je reconnu le livre, vieux sans être abimé, Les Fiancés, de Manzoni. Elle releva la tête, avisa la mienne en haussant un sourcil.

« Et si je ne suis jamais avocat Nona ? »

Elle fut surprise, mais redevint rapidement sérieuse. Elle ferma le livre, le poussa devant elle et me désigna la chaise devant elle. Je ne savais pas pourquoi j'avais dit cela si soudainement, pourquoi ce fut cette peur-là plus qu'une autre qui avait pris les devants. J'avais envie de dormir, de me rouler en boule dans le lit pour ne plus penser et laisser à nouveau le jour venir, avec sa joie et sa certitude d'avenir.

« Pourquoi tu ne le serais pas ? Tu ne le veux plus ?

- Si ! Mais tu sais pourquoi.

- Pourquoi ? Parce que tu es un jeune homme sérieux, studieux, intelligent, charismatique et pragmatique ?

- Parce que je suis pédé ! »

Ses yeux se plissèrent pour me fusiller avec véhémence. Mais je n'arrivais pas à me défaire de ce poids sur mes épaules qui m'appesantissait, me tirait vers le sol.

« Non. Jamais ce mot ! Tu es homosexuel. La belle affaire. Qu'est-ce que ça change ?

- Pour toi Nona. Mais tu as l'esprit ouvert. »

Elle soupira, longuement, pinça son nez en fermant les yeux. Puis soudain les rouvrit, l'air décidé.

« Je suis veuve. Je n'ai jamais connu d'autres hommes que ton grand-père. Je suis fille unique d'une petite famille d'Italie.

- Quoi ? Mais non, tu as un frère, tu...

- Ecoute moi bien, Nino. Ta vie, t'appartient. Et ce que les autres en savent, cela t'appartient aussi. J'ai l'esprit ouvert, certes, mais ce que toi tu ouvres aux autres, cela ne regarde que toi. Je connais ton père, pour cause, je sais ce qu'il pense. Si tu tiens tant à William, oui, tu dois en parler à ton père. Non, cela ne sera pas chose aisée, non, cela ne sera pas accepté et réglé en un claquement de doigt. Mais tu es son fils, son fils unique d'autant plus, il t'aime, et il ne t'empêchera pas de faire ce que tu veux de ta vie. Autrement, de tout ceux que tu croiseras dans ta vie, rien ! ne t'oblige à leur dire. Tu n'es pas obligé de mentir, mais simplement ne rien dire. Les gens penseront bien ce qu'ils veulent, ils ne pourront rien contre toi. Les gens pensent que je n'ai pas de frère, que je n'ai jamais eu d'autres hommes, mais moi je n'ai jamais rien dit.

- Alors tu penses que je pourrais être avocat ? Dans le cabinet de Père ? »

Elle sourit, son visage se barrant de petites rides qui la rendaient si belles.

« Tu pourras être avocat mon cœur. Et si ça ne marche pas, tu n'auras qu'à faire un numéro de cabaret, avec des meneuses de revue aux seins nus. »

Alors j'éclatais de rire dans la petite cuisine, les bras ballants, la tête rejetée en arrière. Que je l'aimais Nona, dans son sérieux toujours dérisoire.

« Ta soirée n'était-elle pas bonne pour que tu ais des pensées si sombres ?

- Si, au contraire. Trop belle pour être vraie peut-être. Nona, tu crois que je devrais écrire à Père ? Pour lui dire ?

- Non, pas lui dire. Mais lui demander de venir, ou lui dire que tu dois lui parler, peut-être. Tu sais Nino, tu penses peut-être que tu es encore un enfant, et que tes parents ne te prennent pas encore au sérieux, qu'ils sont encore beaucoup sur ton dos. Mais ce n'est pas par manque de confiance, au contraire. C'est parce qu'ils comptent sur toi, que tu es important à leurs yeux. Si tu veux que ton père te voit comme un homme, et t'écoute comme un homme, sois en un. Sois fier, assume-toi, sois sûr de ce tu es, et de ce que tu veux. Sois ton propre avocat, Nino. »

Nous bûmes un thé, dans la véranda, regardant la mer si noire dans la nuit que nous ne pouvions la distinguer. La Villa Blanche était éteinte, les peurs de mon âme aussi, pour un temps. Puis j'embrassais Nona sur sa joue, la laissant devant sa chambre, puis je montais dans la mienne.

Un brin ragaillardit par la mise au point avec ma grand-mère, j'attrapais une feuille de papier et de quoi écrire. Je jetai un œil au fond de mes bagages, sur mes cours en soupirant, et me promis de réviser, vraiment, pour mettre toutes mes chances de mon côté. Comme Nona me l'avait dit, je devais être un homme, et assumer mes choix.

Cesoir-là, couché en travers de mon lit, j'écrivis à mon père. Une lettreparfaitement fantasque, que je n'enverrais jamais, où je lui disais tout. Toutce que j'étais, tout ce que nous étions, et tout ce que je ne voulais plusêtre. Epuisé, je m'endormir, laissant choir la lettre sous mon lit.     

Sea, Sex and Sun [ AUTO-EDITE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant