Chapitre 12

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Nona sans aucun doute avait toujours été en avance sur son temps ; elle avait été veuve quand l'on pensait qu'une femme ne pouvait se débrouiller seule, elle avait traversé deux Guerres mondiales, elle avait élevé son fils seuls, elle avait conduit et géré son argent seule, sans homme autour d'elle. Du haut de son mètre cinquante-cinq, elle avait mené sa vie seule, comme elle l'entendait.

Ce fut ce à quoi je pensais ce matin-là, dans la cuisine, adossé à l'évier. Ma tasse à la main, je la portais à ma bouche en dardant mon regard sur ma grand-mère. Je ne connaissais qu'elle. Ma mère était orpheline, élevée par une vieille tante morte alors que je devais n'avoir que quelques mois. Nona était mon ancre, le centre de mon monde, et mon repère le plus précieux. Et encore aujourd'hui, Nona écartait toutes les règles de société d'un revers de main. Je l'admirai, et je me dis soudain qu'elle était la femme de ma vie, celle que je trouverai éternellement belle, que j'admirerai toujours, pour qui elle était, pour tout ce qu'elle avait osé faire, ce qu'elle avait osé défier, et qui elle avait osé défier.

Je posais ma tasse désormais vide dans l'évier et passais dans le dos de Nona. Elle était penchée sur la table, un large carré de coton blanc étalé devant elle. Elle y pinçait des épingles minuscules qui fronçait le tissu. Je posais mes bras sur ses épaules pour l'attirer contre mon torse. J'embrassais ses cheveux fins.

« Je viens de réaliser quelque chose.

- Qué, bambino ?

- Tu es la femme de ma vie, Nona. »

Elle rit, un son léger et cristallin dans sa gorge. Elle tourna ses grands yeux brillants vers moi.

« Tu oublis ta mère.

- J'aime maman. Mais toi, j'ai tellement d'admiration pour toi, qui tu es, qui tu as été. C'est toi la femme de ma vie, il n'y en aura pas d'autres.

- Alors tu le sais maintenant ? Tu en es sûr ?»

Elle serra ma main dans la sienne, toujours fraiche, toujours douce.

« Qu'il n'y aura pas de femme dans ma vie, à part toi ? »

Elle acquiesça.

« Oui. »

Elle posa un délicat et court baisser sur le dos de ma main.

« Tu as reçu une lettre de ton copain. »

Je haussai un sourcil, elle désignait un tas de lettres posées sur le guéridon de l'entrée. Je savais qu'il s'agissait de Marc, et il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il m'écrive. Je venais tous les étés ici, et depuis le temps que nous étions amis, il devait même connaître l'adresse par cœur.

J'ouvris l'enveloppe dans la véranda, regardant la mer loin sur la plage. Le courrier était court, écrit de son écriture terrible. La missive était pressante ; il partait dans la campagne Suisse avec celle qu'il devait désormais appeler « sa fiancée ». Je ne pus m'empêcher de rire.

Marc était alors ce que nous n'aurions put appeler à l'époque un élément perturbateur. Et pourtant, il était celui qui faisait rire la classe, celui qui n'était jamais sérieux dans sa vie trop sérieuse où il évoluait seul, ses parents toujours absents. Depuis Alice, il avait sans aucun doute muri, arrêté de séduire toutes les filles qu'il croisait, de son regard goguenard et sûr de lui. Je savais qu'au fond de lui, cette façade était faite pour se rassurer, pour entendre de la bouche de toutes ses filles comme elles le trouvaient beau et comme elles tenaient à lui. Mais ses parents n'avaient pas le temps pour ces enfantillages, m'écrivait-il.

Marc avait un an de plus que moi, il avait mis un an de plus à obtenir son certificat de fin d'étude. D'ici le début du mois de septembre, il aurait dix-sept ans, j'en aurai seize la semaine qui arrivait. Et ainsi ses parents, satisfaits du couple qu'il formait avec Alice Delamotte, avaient déjà organisé le mariage et il partait rencontrer sa famille la plus éloignée. Je pouvais sentir la panique dans sa lettre, l'incertitude, soudain, il remettait tout en doute.

Je soupirais. Tout depuis quelques jours semblait se remettre en doute, tout ce que je pensais pourtant sûr, presque inscrit dans le marbre. J'empruntais du papier et une plume à Nona, m'installais à côté d'elle à la table de la cuisine, elle travaillait consciencieusement à son ouvrage.

« Que vas-tu lui dire ? murmura-t-elle. »

Les lèvres pincées, les yeux qui fixaient le tissu comme si ce fut à lui qu'elle parlait.

« Je l'ignore encore. Répondre uniquement à ce qui le concerne, j'imagine. Je ne peux pas vraiment parler de moi.

- Est-il étroit d'esprit ? »

Je réfléchis à la question. Non, définitivement non, Marc était la personne à l'esprit le plus ouvert à toutes sortes de choses que je connaissais. Mais tout ce que je vivais actuellement allait plus loin qu'une simple ouverture d'esprit. On parlait d'autre chose, d'accepter une différence qui était punissable par la loi. Ce que nous disait Père Martin était quelque chose, mais les punitions n'étaient pas tangibles, elles représentaient un futur hypothétique dans lequel nous croyions à peine de toute notre adolescence flamboyante. La loi, la prison, les peines de mort, était quelque chose de beaucoup plus impactant à nos oreilles.

En aucun cas, je ne pourrai lui demander d'accepter sans rien dire, en claquant des doigts. Pour lui-même, tout cela était dangereux. Couvrir ou encourager la sodomie était aussi répréhensible que de la pratiquer.

Alors je lui ai répondu, sans vraiment trop réfléchir. Je répondais à ce que lui-même m'avait dit, me désolai pour lui, ne pu m'empêcher de lui dire que pourtant cela m'amusait d'une certaine façon, de l'imaginer dans cette situation. Lui qui prenait toujours à contre-pied, détestait les règles de la société mondaine de son rang.

Je ne dis rien sur moi, rien sur les jumeaux, rien de ces vacances. Peut-être se poserait-il des questions sur mon silence. Mais je refusais de m'en poser personnellement à ce moment-là. Je terminai la lettre en lui disant qu'il avait raison, qu'à partir de ce jour rien ne serait plus pareil. Cette phrase sans aucun doute avait plus de sens pour moi que pour lui, et aucunement le même sens pour lui que pour moi.

Je mis le tout sous enveloppe, écrivit l'adresse qu'il m'avait fournit afin de lui faire parvenir le courrier en Suisse, et le portai directement à la poste. 

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Salut !

J'aime ces "interludes" avec Nona, un peu comme des parenthèses où Angelo réfléchit à sa propre situation. 

La suite arrive bientôt :)

Sea, Sex and Sun [ AUTO-EDITE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant