Chapitre 19 : On disait qu'on était mort

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J'ai toujours aimé être en voiture. Bien qu'une fois devenu adulte, conduire ne se hissera jamais parmi mes grandes passions, j'aimerai toujours être assis à regarder le paysage défiler. J'adore cette sensation reposante et presque onirique de se déplacer sans changer de place.


Ce matin, pourtant, alors que mon père conduit, la magie n'opère pas, et malgré mes efforts, ma boule au ventre ne se dilue pas dans la contemplation du paysage. Pourtant mon père a choisi cette voiture spécialement pour me plaire. C'est la première fois qu'il me laisse monter dans la Cadillac.


C'est une voiture qu'il utilise habituellement pour son travail, pour se rendre chez les clients, dans ce monde de l'industrie où les apparences sont si importantes. En réalité, dans l'intimité, mon père est un homme simple, l'automobile que nous utilisons en famille est une vieille Ford, bien plus modeste.

Toujours, je conserverai cette double image de mon père, à la fois rigidifié dans son costume impeccable, portant chapeau et moustache soignée face aux autres, et à l'inverse, décontracté à la maison, vêtu d'une simple chemise aux manches relevées, tête nue et les cheveux souvent décoiffés.

Alors que Danica a hérité de la chevelure presque noire de jais, épaisse et raide de ma mère, pour ma part, j'aurai toute ma vie les mêmes cheveux que mon père, châtains, fins, filasses, légèrement bouclés et qui commenceront à grisonner avant trente-cinq ans.


Aujourd'hui, je sais qu'il a pris la belle Cadillac crème uniquement pour me faire plaisir.
 Parce qu'aujourd'hui, nous nous voyons pour la dernière fois.

Frappé par la solennité de ce moment, assis à l'arrière sur la banquette de cuir impeccable, je me tiens droit, avec gravité, m'efforçant de ne pas toucher le siège avant, pour ne pas risquer de salir.


À côté de moi, Dani est figée dans un silence anxieux. Elle voudrait pleurer mais n'ose pas. Je lui prends la main, et lui souris pour tenter de la réconforter. Sa petite main est tiède dans la mienne.

Mon père est silencieux depuis que nous avons quitté la maison, et je ne doute pas qu'il en sera de même durant tout le trajet.

Il n'a jamais été un grand bavard. Je l'ai le plus souvent vu taiseux, laconique, répondant par monosyllabes à ma mère, ou se contentant de faire oui ou non de la tête. Et ce qu'il exprime encore moins que tout le reste, ce sont ses sentiments.
Je ne l'ai jamais vu verbaliser la moindre affection pour moi, encore moins me témoigner des gestes d'amour, comme me prendre dans ses bras, me tenir la main, m'embrasser.

Mais je sais qu'il m'aime, bien qu'il ne sache pas comment le dire.

Je l'ai énormément déçu, je le sais, je ne suis pas le fils qu'il attendait. Mais il tient à moi, à sa manière. J'aurais voulu qu'il puisse être fier de moi, même rien qu'une seule fois. Il ne l'aurait pas dit, mais je l'aurais senti.

Par la fenêtre, je vois défiler des arbres, des champs, des maisons. Dani s'est endormie la tête sur mes genoux. Nous entrons dans une ville que je ne connais pas, que nous traversons. À la sortie de la ville, mon père tourne alors à gauche sur une petite route, au bout de laquelle se trouve un grand bâtiment.
C'est dans la cour de ce dernier que la Cadillac finit par s'arrêter.

L'étoile qui commence et termine la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant