Chapitre 5 : Protection


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C'est une belle après-midi d'été, sans le moindre nuage. Il fait probablement une température étouffante dehors, mais ici, l'air climatisé nous offre une atmosphère constante, été comme hiver. De toute façon, la fenêtre à côté de laquelle je suis assis ne s'ouvre pas. Elle n'a pas de poignée.


Je viens chaque après-midi, immuablement, m'asseoir dans ce fauteuil, au bout de ce couloir. Il est très confortable, et le soleil me baigne de sa douce chaleur de 14h30 jusqu'à 18h45, à quelques minutes près suivant les saisons.
 C'est un endroit idéal pour lire. Ici, c'est calme. Les autres patients préfèrent la salle commune, où rugit leur détestable télévision, et où s'agitent les amateurs de jeux de société et de babyfoot. Comme je fais partie des résidents qui ont l'autorisation d'évoluer de façon semi-libre dans le service, je préfère aller lire ici, dans mon endroit de prédilection.

Depuis quelques mois, c'est d'ailleurs moi qui prends soin de l'unique plante verte à côté de la fenêtre, lui donnant de l'eau et veillant à ôter les feuilles mortes. Je ne pense pas que qui que ce soit l'ait remarqué.

Personne ne fait attention à moi. Jamais.

Je suis pour l'heure plongé dans Les Contemplations, de Victor Hugo, que je relis avec plaisir pour la trentième fois, au moins.
 On ne se lasse pas des bonnes choses, et la bibliothèque de l'hôpital a eu la gentillesse de commander l'œuvre intégrale de Hugo à ma demande. 
Les gens ici sont pour la plupart charmants. Tout le monde se soucie de mon bien-être, je dois l'admettre.


Le poème que je suis en train de lire me fait sourire tendrement, en même temps qu'il me broie le cœur, tant il me fait penser à ma petite Danica.

Mon bras pressait ta taille frêle

Et souple comme le roseau ;

Ton sein palpitait comme l'aile

D'un jeune oiseau.

Longtemps muets, nous contemplâmes

Le ciel où s'éteignait le jour.

Que se passait-il dans nos âmes ?

Amour ! Amour !

Comme un ange qui se dévoile,

Tu me regardais, dans ma nuit,

Avec ton beau regard d'étoile,

Qui m'éblouit.

Alors que je tourne la page, des voix au détour du couloir me font relever la tête.

Habituellement, je suis trop immergé dans ma lecture pour me laisser distraire par les conversations extérieures, mais le ton de celle-ci m'interpelle. Un ton nerveux, pressant. Une urgence, une inquiétude.


Il s'agit du directeur de l'établissement en personne, qui marche à pas rapides, accompagné par l'infirmière en chef.

« Et qu'est-ce qu'on va faire, si la livraison n'arrive pas ? demande cette dernière, visiblement irritée.

- Je n'en sais rien, répond l'autre sèchement.

- Et bien il faudrait le savoir, et vite. J'en suis à trois crises aujourd'hui rien que dans le bloc B. »

Il m'arrive de plus en plus souvent d'entendre des conversations qui ne me sont pas destinées. 
Le personnel médical a cessé depuis bien longtemps de se méfier de moi. L'équipe s'est renouvelée depuis mon arrivée ici – travailler dans un hôpital psychiatrique de haute sécurité est un métier usant, les employés changent fréquemment. Plus personne ne semble se souvenir de la raison de mon internement. Pas même moi, à vrai dire.

Je ne déteste pas vivre ici. C'est calme, on ne me demande rien. Je suis protégé de l'effervescence et du stress du monde extérieur. J'ai mes repères ici, ma petite routine. 
Les gens me considèrent comme un homme inoffensif, discret et doux, qui passe ses journées à lire, et fait en sorte de ne déplaire à personne. 
Ce que je suis effectivement.

L'étoile qui commence et termine la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant