Rêver, c'est fuir ; le rêve est un refuge, une perspective de fuite.
Pierre Reverdy, Le gant de crin
~ 12 avril 2020 ~
- Qu'est-ce qui m'empêche de te tuer ? je crache amère.
- Le fait que je sois ton père.
- La ferme !
J'avance ma flèche pour qu'elle touche sa gorge, un filet de sang coule le long de son cou.
- Vas-y tues-moi, je ne suis pas certain que ton frère apprécie, me pousse Semyon.
- Ça ni comptez pas trop, intervient Sevastian.
Sevastian le pointe avec son revolver, Semyon reste un peu choqué, comme s'il ne s'attendait pas à ce que Sevastian se révolte comme ça.
- Voyons Sevastian.
Il avance d'un pas vers Sevastian. Thomas, Kimmy et Vicky avancent d'un pas, leurs armes pointées vers l'avant.
- Je suis plutôt fier de mes enfants.
Dans un mouvement uniforme Sevastian et moi levons nos armes en même temps. Un sourire sans émotion se dessine sur le visage inexpressif de mon père. Ces deux mots font resurgir un sentiment de dégoût dans tout mon corps. Mes mains deviennent moites, la corde glisse. Je vais tuer ce monstre qui a détruit ma vie.
- Vas-y tires, tu n'oseras jamais.
Mes mains glissent de plus en plus, mes muscles commencent à trembler. Ma flèche lui coupe le bord de la gorge, son sang forme un petit ruisseau pourpre.
- C'est dommage que ta mère t'ait élevé tu aurais fait une soldate prodigieuse.
Je lâche ma flèche de plus en plus. Le ruisseau devient plus épais et le sang plus noir. L'arc tremble entièrement, je n'ose pas tirer.
Je baisse mon arc, une détonation retentit derrière moi. Semyon s'effondre en arrière l'épaule en sang, je me retourne et je vois Sevastian baisser son arme.
Nous descendons du train, je ne sais pas où nous sommes. Les voitures des russes sont comme abandonnées sur le bord des rails. Nous volons une des voitures, je me retourne vers le train rempli de voyageurs qui sont faibles et qui n'ont aucun moyen de défense.
Sevastian démarre la voiture qui dérape sur les graviers, il s'éloigne du train dans un nuage de poussière. Le train se transforme rapidement en un long serpent de métal qui brille au soleil.
La poussière finit par totalement cacher le train, qui disparaît dans tous les cas, de ma vue.
Le visage de Semyon me hante, je n'ai pas réussi à le tuer, Sevastian n'a pas hésité une seule seconde, il lui a tiré dessus sans crainte. Je ne serais jamais aussi forte et courageuse que lui.
Je me colle contre la vitre et je ferme les yeux, je me laisse ballotter contre la vitre. Je ne parviendrai pas à dormir avec la hantise que me provoque Semyon. Ma tête cogne contre la vitre, je la surélève pour détailler le paysage. Tout est vert, la route est terreuse et poussiéreuse, et quelques touffes d'herbes poussent au milieu de la route, elle monte sur une colline en serpentant autour. Le ciel est bleu limpide, tout ressemble à un paysage de conte de fées, sauf que nous sommes perdus dans la campagne.
Un groupe de moineaux s'envole dans le ciel et s'étend, se reconstruit, il ressemble à un nuage noir qui se tord et se reforme. Il disparaît derrière une colline.
Je tourne la tête pour observer tout le monde, Thomas dort la tête posée contre la vitre, il semble paisible dans toutes les circonstances, Kimmy a les yeux gonflés, elle s'est endormie sur l'épaule de Thomas, Vicky est à l'avant et elle reste impénétrable et stoïque, je ne sais pas si elle a déjà ressenti des émotions, Sevastian lui aussi est changé dans ses gestes depuis que nous avons revu Semyon, son regard est perdu dans le vide. Il est totalement bouleversé même s'il a des allures de soldat effarouché. Il arrête la voiture et pose sa tête contre le volant en cuir, il marmonne quelque chose de Vicky, elle tourne la tête et le dévisage. Ils permutent de place et la voiture redémarre comme si elle ne s'était pas arrêtée.
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Récit de Guerre. Descente aux Enfers
RomanceVie de rêve. Famille aimante. Amis en or. Explosions. Guerre. Mort. Souffrance. On m'a arraché ma vie pour la transformer en une guerre perpétuelle. Qui aurait voulu ça ? Même pour éviter à la monotonie ? Personne. Pourtant c'est ce qu'il m'est arri...