Chapitre 1 - 1/2

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Comme prévu, chapitre un peu long, je le coupe en deux pour vous permettre de faire une pause. Je vous proposerai un petit glossaire à la fin de mes parties pour expliquer les mots compliqués ou issus d'autres univers.
Merci d'avance pour vos retours.

Bonne Lecture !
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Les corps se mêlèrent et s'entrechoquèrent pour se lover dans des mouvements frénétiques et impatients. Les membres dévêtus se mouvaient dans une chorégraphie spontanée, dont seules les quelques respirations des moins tenaces venaient troubler le silence. Le soleil, à son zénith, prenait part au réchauffement de l'atmosphère que le contact des peaux dénudées avait entrepris ; et les quelques effluves de parfum bon marché subsistant dans l'air, venaient ajouter leur contribution à l'ambiance viciée par des relents de transpiration et de crasse.

Une heure s'était déjà écoulée depuis que Jyhann naviguait à travers la foule d'individus massée devant les portes de Jihälwa, la capitale du pays. Sans le moindre scrupule, les plus trapus bousculaient les moins robustes. Certains opportunistes - ou désespérés, tout dépend du point de vue - se laissaient même aller à la fourberie, dépossédant les moins pauvres de leurs biens ; comme si au fond, ils n'étaient pas tous de pauvres gens dépourvus d'argent. Ce spectacle n'était pas digne d'une ville de cette envergure, mais cela ne semblait plus étonner la jeune fille. Si la bourgeoisie tournait la tête face à la misère du monde, pour un rat des rues comme Jyhann, ces scènes devenaient vite monnaie courante.

Le pire étant qu'à Jihälwa, les nobles ne prenaient même plus la peine de feindre une quelconque compassion envers les classes inférieures. En réalité, tout semblait avoir été mis en place pour que les fortunés n'aient pas à côtoyer les abjections de leur propre société. C'était à se demander s'ils n'avaient ne serait-ce que conscience de leur existence. Toujours était-il que les personnes "aisées" comme ils se plaisaient à s'appeler, avaient encore une fois fait le nécessaire pour éviter les miséreux. Le sentier qu'ils empruntaient pour rejoindre la capitale pouvait bien accueillir le double de leur nombre tandis que les pauvres, eux, se marchaient dessus. On aurait pu croire qu'une ville dotée d'une telle notoriété aurait su combler les inégalités, pourtant force était de constater que l'injustice était un fléau qui n'exemptait aucune société.

Jihälwa n'était à son commencement qu'une simple cité réputée pour la beauté de son architecture. Ce ne fut que lors de la Seconde Grande Invasion shu'rouase(1) que les fortifications de la ville étaient devenues le symbole d'une Citadelle forte et imprenable. Les immenses remparts bordant ses frontières l'avaient protégée de bien des assaillants et avaient fini par inspirer crainte et respect aux nations voisines. Aujourd'hui, tout le monde en parlait comme d'un fort imposant, aux défenses redoutables. Ainsi, même les impitoyables combattants venus de la contrée nordique de Shu'rou(2) avaient failli face à ce qu'ils appelaient "Sölume Din", littéralement : la Forteresse de la Mort. Jadis, le père de Jyhann lui avait raconté l'histoire de cette guerre qui avait tant bouleversé le royaume. Mais aujourd'hui, il ne lui restait malheureusement que de vagues souvenirs du récit.

Les Légendes étaient un ensemble de textes rédigés en ancien rexivien. Ils retraçaient les faits marquants qui avaient contribué à la notoriété du pays. Les shu'rouas y étaient souvent décrits comme des barbares sanguinaires dépourvus de conscience et d'émotions. La jeune fille s'était toujours demandée si, de leur côté, les habitants de Shu'rou ne pensaient pas la même chose à leur égard ; mais elle se serait bien gardée de le leur demander. En seulement deux siècles, les shu'rouas avaient tout de même essayé de les envahir à trois reprises. Et si son père disait vrai, la deuxième fois avait bien failli être la bonne. Un véritable bain de sang disait-il. Les deux camps avaient essuyé de grandes pertes, mais Shu'rou avait l'avantage du nombre. Galvanisée par l'effet de surprise, l'armée shu'rouase avait annexé la moitié du pays et la seconde n'aurait guère tenu plus longtemps sans l'intervention du DesAstreu Rexir. Les murailles de Jihälwa furent les seules à ne pas céder et l'ennemi fut repoussé. La guerre avait duré près de quinze ans.

Jyhann n'avait jamais réellement compris ce qu'était un DesAstreu, mais ce Rexir devait être particulièrement puissant pour sauver un pays à lui seul. Il était d'ailleurs reconnu de tous comme le héros de la Seconde Grande Invasion et on avait rebaptisé le pays Rexirivie en son honneur. Jihälwa en était devenue la capitale et chacun gardait en tête l'image de la forteresse protégeant de ses remparts la nation et ses habitants. La légende de la Citadelle insaisissable était née. Avec le temps, la ville avait su évoluer pour faire face à de longues années de paix. Aujourd'hui, elle avait étendu ses frontières et s'était reconvertie en une mégapole forte de son commerce et de sa richesse culturelle. Des touristes du monde entier faisaient le déplacement jusqu'en Rexirivie pour apprécier les paysages de sa capitale et dépenser des mois de salaires dans ses immenses galeries marchandes.

La pression exercée sur la jeune fille diminua lorsqu'elle franchit les portes de la ville. Les rues se désengorgeaient tandis que les passants s'éparpillaient dans les larges allées de la capitale. Le pays n'avait pas connu d'assaillants depuis déjà une vingtaine d'année mais Jihälwa avait conservé ses murailles ; en gage de dissuasion sûrement. Ou était-ce par nostalgie ? Rien ne semblait avoir changé non plus depuis la dernière visite de Jyhann à la Citadelle. Elle n'était encore qu'une enfant, mais dans ses souvenirs déjà des fleurs décoraient les fenêtres des maisons, et les vendeurs des échoppes inventaient des paroles ridicules pour attirer les passants vers leur boutique. Et dans ses souvenirs déjà, l'insolente opulence de la vie jihälwoise toisait la misère des sans abris faisant la manche, à même le sol...

À l'époque, seuls les Justiciers de la Lame Sacrée semblaient témoigner de l'intérêt pour les moins fortunés. En Rexirivie, le pays était gouverné par deux puissances distinctes. Il y avait d'une part le roi qui prenait les décisions commerciales et militaires. De l'autre, l'Ordre Religieux commandait les aspects culturels et cultuels de la société. Tout de blanc vêtus, les Justiciers faisaient régner la Loi et perdurer l'Ordre Divin dans la Citadelle. Entièrement dévoués à Dieu, la Lame Sacrée était la branche armée de l'Ordre Religieux. Ses membres avaient quitté la maison du Seigneur afin de s'adonner à des entraînements guerriers et par la suite, pouvoir faire respecter au peuple les commandements divins. Plus appréciés que les soldats du roi, ils étaient réputés pour leur impartialité. Ils protégeaient les gens aisés mais faisaient également l'aumône aux miséreux. Et c'était d'ailleurs pour les voir que Jyhann avait fait le déplacement.

La jeune fille progressait sur les routes pavées, en direction de la grande place. Les gens avaient déjà repris leurs bousculades, espérant trouver la meilleure place pour apercevoir Cyntheude, le maître d'armes le plus renommé de la Lame Sacrée. La jeune fille se figea, comme invisible à leurs yeux. Au demeurant, qui aurait prêté attention à une jeune pucelle tout juste bonne à attiser les fantasmes d'un jeunot sans expérience ? Pis encore, le jour du rituel de Vahily... Jyhann profita de la situation et la tourna à son avantage en se faufilant jusqu'aux premiers rangs. Le rituel de révélation, ou rituel de Vahily comme on l'appelait, était sur le point de commencer.

- Comme chaque année que Dieu nous donne la chance de vivre, nous nous retrouvons en ce jour sacré pour célébrer le rituel de Vahily. Rituel qui marquera l'intronisation des nouvelles recrues au sein de la Lame Sacrée ! Les étudiants que vous verrez aujourd'hui sont venus à bout de leur premier cycle d'étude et ont donc mérité le droit d'être confrontés aux pierres d'Affinité.

L'excitation monta en Jyhann, alors que le maître d'armes poursuivait son discours. Les textes divins rapportaient que certains pouvoirs, nommés Affinités, sommeillaient en certaines personnes. Seulement, ces facultés n'étaient accessibles à leur détenteur qu'une fois révélée par des roches bien spéciales. Le rituel de Vahily était donc l'occasion d'entrer en contact avec les pierres d'Affinité et de savoir si Dieu nous avait fait grâce de ses talents. La jeune fille considérait les membres de la Lame Sacrée comme les héros des temps modernes. Sa foi en la religion et la justice n'était justifiée que par les actes de bravoures des Justiciers. Pour la première fois, elle assisterait à la révélation des Affinités et pour rien au monde elle n'aurait raté un événement aussi important. Peut-être qu'un jour elle aussi, porterait l'uniforme de la Lame Sacrée...


Glossaire :
(1) shu'rouas(e) : habitants de la contrée nordique de Shu'rou
(2) Shu'rou : Contrée située au nord de la Rexirivie. Les shu'rouas ont longtemps été considérés comme des barbares à cause leur traditions faisant souvent appel à du sang humain.

Les DesAstreux - Tome 1 : La Lame SacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant