Chapitre 19 - 2/2

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Vous reprendrez bien un peu de sang... non ? Le Meurtrier Sanguinaire aurait dit oui, lui...

Bonne Lecture !

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[Fin du Chapitre 19 - 1/2]
Le liquide de vie ruisselait encore le long du mur, dévalant avec lenteur la distance qui le séparait du trottoir. Seul un psychopathe était capable de laisser une scène de crime dans un état pareil, et aucune enquête n'était nécessaire pour découvrir le coupable.

- Le Meurtrier Sanguinaire...
***

À la réaction de ses partenaires, Moniléca comprit qu'elle avait prononcé ces mots à haute voix. Le matin même, elle avait lu dans le journal qu'une victime de plus était venue se greffer à la longue liste de l'assassin. Le corps avait été retrouvé dans un état si mauvais que l'identification n'avait pu se faire. Et à en juger par la scène de crime, il ne devait rester qu'un tas de chair ensanglantée de ce qui avait jadis été, un homme ou une femme. Mais comment avaient-ils pu passer par là quelques minutes auparavant, sans sentir l'odeur ferreuse qui saturait l'atmosphère ? Les effluves remontaient dans les narines et Moniléca dû retenir un haut-le-coeur pour ne pas régurgiter son petit-déjeuner comme Nail venait de le faire. Ils avaient beau être des Justiciers, de tels infamies restaient assez rares. Pourtant la réaction de Jyhann fut bien moins marquée par le dégoût que celle de Moniléca. La jeune fille contemplait le sang avec plus d'aversion dans son regard que d'écoeurement. Se pouvait-il que cette scène ne soit pas sa première ?

En cet instant, une rage profonde semblait habiter l'aspirante, toutefois une seconde émotion paraissait flotter au fond de ses iris. Déconcertée, Moniléca ne put s'empêcher de se demander si c'était bien de la fascination qu'elle lisait dans ses yeux. Mais ce ne pouvait être cela, seul un psychopathe se délecterait d'une telle démonstration de cruauté. Et Jyhann n'en était pas une, n'est-ce pas ? La jeune fille devait simplement avoir un compte à régler avec le Meurtrier Sanguinaire. Après tout, le tueur avait fait tant de victime qu'il n'était pas rare que des jeunes intègrent la Lame Sacrée en quête de vengeance. Mais tout de même, ce n'était pas une scène pour une jeune fille, Moniléca devait trouver un prétexte pour la sortir de cet endroit. La Justicière se força à analyser la scène de crime une seconde fois, repoussant le dégoût provoqué par la vision du liquide rougeâtre. Finalement, ses efforts furent récompensés lorsqu'elle aperçut des traces de pas dans une mare de sang. Trois empreintes distinctes pour être précis. D'ailleurs elles semblaient encore fraiches !

- Hey bande de fragiles ! Regardez un peu par là au lieu de pleurnicher.

En réalité, Moniléca devait être au moins aussi bouleversée que ses deux collègues, mais elle avait choisi ses mots à dessein. Pour les surprendre et les ramener à la réalité au plus vite, il lui fallait employer des mots crus, voire insultants ; et puis il fallait bien admettre qu'elle aimait provoquer les gens ! Ce n'est que lorsqu'ils tournèrent la tête dans la direction qu'indiquait son doigt, qu'elle comprit qu'elle avait réussi à leur faire oublier le Meurtrier Sanguinaire. Elle se félicita intérieurement avant de reprendre le commandement des opérations.

- Les empreintes sont encore fraiches, mais elles ne le resteront pas longtemps si on perd notre temps à contempler le paysage ! Allons chasser de la sorcière !

La traque reprit de plus bel. Le plan de Jyhann avait porté ses fruits, car Nail réussit rapidement à retrouver la trace des fugitifs grâce au Souffle. Un espion devait les avoir informés de la course du fiacre. Ils se sentaient en sécurité et ne prenaient plus la peine de dissimuler leur présence. D'autant plus que le sang dans lequel ils avaient marché laissait sur le sol les preuves indélébiles de leur passage. Ils enchainaient erreurs sur erreurs et leur confiance causerait leur perte ! Le père serait jugé pour tentative de fuite et obstruction à la justice, la mère serait pendue pour les mêmes raisons, mais elle n'aurait pas le luxe d'être jugée. Après tout elle n'était qu'une femme. Et pour la petite, il n'en serait probablement pas autrement. Elle serait soumise aux Righans et leurs pierres d'Affinités, et que le résultat soit positif ou non, elle serait pendue elle aussi ; juste pour éviter de relâcher une orpheline dans la nature et donner du crédit aux détracteurs de l'Ordre religieux.

Moniléca se surprit une fois de plus à penser à Jyhann. Comme la plupart des aspirants, elle devait rêver de justice et d'actes héroïques , mais comment réagirait-elle lorsqu'elle découvrirait que la justice qu'elle sert n'avait rien de juste ? Quelle serait sa réaction une fois que les ténèbres de l'acceptation auraient englouti ses rêves d'avenir glorieux ? La droiture et l'équité étaient des vertus dont la Rexirivie n'avait jamais été pourvue et le titre de Justicier était la pire des insultes que la Lame Sacrée ait inventée. Mais ils n'étaient pas non plus les méchants de l'histoire, simplement les moins mauvais. Moniléca n'avait pas été habitée par des pensées si sombres depuis qu'elle avait compris ce que représentait réellement l'Ordre religieux. Elle aussi avait connu la douleur de la désillusion et l'aigreur de l'insatisfaction. Était-ce réellement la vie à laquelle Jyhann aspirait ?

- Moni, on a un problème.

L'inquiétude était visible sur le visage du second Justicier.

- Qu'est-ce qu'il y a Nail ?

- Nous ne sommes plus seuls...

Des applaudissements retentirent dans l'air prenant Moniléca de court. Un rire strident suivis avant de laisser place à des paroles.

- Je dois bien avouer que votre performance m'attriste.

La voix était celle d'une femme, et si ses intonations témoignaient d'une certaine déception, il ne faisait aucun doute que ce sentiment n'était que pure comédie. Les sons résonnaient de partout mais ne semblaient provenir de nulle part ; comme si le vent lui-même portait les syllabes jusqu'aux oreilles des Justiciers. Instinctivement, ils se placèrent en position défensive, l'un protégeant les arrières de l'autre. Il était à présent évident qu'ils avaient affaire à une sorcière maîtrisant les secrets de la Brume. Et face à un affinitaire capable de se rendre invisible et de dissimuler ses déplacements, il était difficile de prévoir d'où viendrait la première offensive.

La voix reprit de plus belle.

- Il est de connaissance populaire que les Justiciers ne sont pas très... disons "compétents". Mais je m'attendais tout de même à mieux de la part d'un spirite et de la grande Moniléca. Cela fait déjà une dizaine de minutes que je vous suis, et pas un capable de me repérer.

Ils ne pouvaient la voir, mais le ton de l'inconnue laissait transparaître le sourire qui devait fendre son visage en ce moment précis. Elle se moquait d'eux et les rabaissait ouvertement, si elle n'était pas cachée derrière son voile brumaire, Moniléca l'aurait déjà assommée à coup de poing. S'il y avait bien une chose que la Justicière détestait plus que l'autorité, c'était bien l'humiliation.

- Sale lâche ! Tu nous insultes mais tu n'as même pas le courage de le faire à visage découvert.

La Justicière n'eut pour réponse que le rire de la sorcière. Elle se jouait d'eux et se réjouissait de la colère de Moniléca. Mais pour soulager cette dernière, c'est Jyhann qui reprit la parole.

- Qui es-tu ?

- Qui je suis ?

Une silhouette perça les ténèbres et le visage de la femme se révéla, un sourire de satisfaction sur les lèvres.

- Je suis : la Liberté...

Les DesAstreux - Tome 1 : La Lame SacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant