Les DesAstreux - Tome 1 : La Lame Sacrée

Chapitre 22

De toutes les émotions qu'il avait été donné à l'Homme de connaître, la culpabilité était bien l'une des plus éprouvantes. Elle terrorisait l'humanité depuis son avènement et qu'importe le sexe ou le rang social nul n'était exempt de ce fléau malfaisant. Chacun le redoutait à sa manière, au point que certains en venaient à voir en la mort l'unique échappatoire possible à ce sentiment destructeur. Mais il y avait de quoi les comprendre. La culpabilité s'imposait dans votre vie tel un tyran au sadisme ravageur. D'autant plus qu'aucune forteresse n'aurait pu vous en protéger, car c'était de l'intérieur qu'elle vous assiégeait. Petit à petit, elle gagnait du terrain, annexant vos pensées avant de piller votre moral. Puis rapidement, elle atteignait votre cœur qu'elle réduisait à l'état d'esclave, contraint de ployer sous le poids de vos propres imputabilités. Au fond, le mieux restait peut-être de ne pas connaître cette émotion...

Hélas pour Jyhann, il était déjà trop tard pour fuir ces sentiments. Les tourments de la culpabilité l'avaient assailli dès son départ de la Terre des Piliers. Et même si le trajet jusqu'à la Lame Sacrée n'avait pas duré longtemps, c'était bien assez pour que son cœur cède aux assauts du dictateur psychoaffectif. Le voyage s'était déroulé dans un silence presque aussi pesant que les émotions qui suppliciaient l'organe vital s'efforçant de battre dans sa poitrine. Ainsi ces quelques minutes de fiacre en compagnie de Moniléca et Nail lui avaient paru une éternité. Tout semblait s'être renversé dans l'esprit de Jyhann ne laissant de place qu'à cette petite voix dans sa tête qui l'incriminait, encore et encore. Car oui, dans le fond, tout était de sa faute. Volontairement ou non, elle avait pactisé avec l'ennemie et abandonné ses équipiers. C'était donc le moral au plus bas que Jyhann pénétra dans ses appartements.

La porte s'ouvrit sur un séjour chaleureux aux murs de pierres. Une bougie, simplement posée sur la table au centre de la pièce, éclairait sans difficulté l'espace de vie. Et de la cire fraîchement fondue, s'échappait une délicate fragrance de pin mentholé qui plongeait la salle dans une ambiance boisée. L'atmosphère y était apaisante. Tout semblait pensé pour en dévoiler le moins possible, tout en restant suffisamment meublé pour y vivre. Si bien qu'outre la table et la bougie, seuls une bibliothèque et deux fauteuils avaient été autorisés à séjourner dans la pièce aux allures minimaliste. Néanmoins, Jyhann ne s'y attarda que le temps de la traverser pour se rendre dans sa chambre ; où elle avait bien l'intention de verser quelques larmes.

- Tu rentres bien tard, toi. Alors cette première mission, raconte, c'était comment ?

Accaparée par le chagrin, la jeune fille n'avait pas remarqué sa colocataire dans le coin du salon. Probablement dans l'attente de son retour, la Justicière s'était confortablement installée dans un fauteuil près de la bibliothèque. Et étant donné l'heure à laquelle Jyhann rentrait, sa camarade devait l'attendre depuis un bon moment. Cette dernière avait tant hâte d'entendre les récits de son amie que l'excitation brillait dans ses yeux. Malheureusement pour elle, ceux de l'orpheline exprimaient une toute autre émotion.

- Je... Je suis désolée Scepa, je suis extrêmement fatiguée. Les missions, la vie des Justiciers, tout ça... Tu connais ! Ça te va si on en parle demain ?

La jeune fille avait tenté un sourire maladroit afin de ne pas éveiller les soupçons, mais elle s'était retournée bien trop vite pour passer inaperçue. Sa camarade était une Justicière, elle ne manquerait pas de remarquer sa manœuvre d'échappement. À présent, la meilleure solution pour Jyhann restait encore de fuir avant que Scepa ne l'interroge davantage. Toutefois, la main de la jeune fille agrippait déjà la poignée de la porte menant à la chambre lorsque sa colocataire l'interpella à nouveau.

- Attends, avant d'aller te coucher. Tu as reçu une lettre je crois, il n'y a pas d'expéditeur mais ton nom est écrit sur le papier. Je l'ai trouvée sur la table après ton départ ce matin.