Contrairement à ce que l'on pouvait s'imaginer, la vie d'un enfant en Rexirivie était loin d'être de tout repos. Considérés comme l'avenir du royaume, on attendait d'eux qu'ils connaissent la religion et l'histoire de leur pays afin d'en faire de bons citoyens. Ainsi, chaque famille voyait l'instruction des enfants comme un investissement, au même titre que le placement des richesses ou l'acquisition de nouvelles terres. Et comme l'accès à l'éducation avait un coût, un fils instruit était souvent gage d'une grande fortune. De ce fait, vers leur onzième anniversaire, les filles étaient séparées des garçons afin que ces derniers puissent se concentrer sur leurs études. Et dès cet âge, on leur apprenait la politique et les arts martiaux en vue d'une carrière de dirigeant ou de fier soldat.
Pour Anthelme cependant, le choix n'avait pas été aussi simple. Le jeune homme s'était très vite rendu compte que quelque chose n'allait pas chez lui et son altérité allait bien plus loin que ses quelques lacunes en géopolitique. Que pouvait-il bien faire de sa vie ? Enfant déjà, il aimait contempler le monde qui l'entourait à travers ces yeux émerveillés qui le caractérisaient encore aujourd'hui. Il avait observé la mentalité des rexiviens et leurs coutumes, cherchant désespérément comment un enfant comme lui pourrait apporter sa contribution à une société homophobe. Il n'avait pas sa place dans ce pays, pourtant c'était le sien, celui qui l'avait vu naître et qui le rejetait aujourd'hui.
Pour la plupart à l'époque, ils ne voyaient en Anthelme qu'un garçon innocent à qui l'avenir sourirait. Ils étaient loin de se douter que ce même avenir terrifiait l'enfant qu'il était. Le futur pour lui était synonyme de responsabilités et de décisions à prendre. Mais à cette époque au moins il restait seul maître de sa destinée. Aujourd'hui, sa vie avait pris une tournure totalement différente. En assassinant les parents d'Anthelme, le Meurtrier Sanguinaire lui avait ravi toute perspective d'avenir, ne lui en laissant qu'une seule : la vengeance. Bien qu'il ne le montrait pas autant que Jyhann, lui aussi était habité par cette rage et ce sentiment d'injustice. Et c'était sûrement cette soif commune de représailles qui les liait aujourd'hui. Le tueur en série avait ouvert une brèche dans leurs vies, et les deux compagnons s'y étaient engouffrés corps et âmes.
Depuis les évènements du Tournoi des Justiciers et la scène de crime dont avait été témoin son amie, Anthelme et elle avaient décidé de se retrouver sur leur temps libre afin de mener l'enquête. Ils n'en étaient qu'à leur deuxième semaine d'investigation, pourtant leurs sources commençaient déjà à se tarir. Trouver des informations pertinentes sur le Meurtrier Sanguinaire était bien plus difficile qu'il n'y paraissait. Bien qu'il fasse régulièrement parler de lui, chaque article se ressemblait avec une monotonie redoutable. Tous relataient encore et encore un énième homicide dans des conditions dantesques, mais aucun n'avançait l'ombre d'une piste. On ignorait tout du Meurtrier Sanguinaire, si ce n'était ce qu'il acceptait de nous dévoiler. Et le constater était affligeant, à plus forte raison si les autorités du pays en étaient arrivées à la même conclusion.
Malgré le peu de résultats apportés par leurs efforts initiaux, Anthelme et Jyhann refusaient de perdre espoir aussi vite. Tous ces crimes ne pouvaient demeurer impunis. Mais plutôt que de persévérer sur une voie infructueuse, ils avaient décidé de changer d'approche. Jusqu'à maintenant, ils tiraient leurs informations des archives de la Lame Sacrée, décomposant une à une les différentes théories imaginées par l'Ordre religieux. Mais l'exercice s'était révélé fastidieux et surtout peu productif. C'est pourquoi, aujourd'hui, les deux compagnons se retrouvaient en ville, en direction de la bibliothèque de Jihälwa. Là-bas au moins, ils pourraient se concentrer sur les indices laissés par le Meurtrier Sanguinaire sans être influencés par les rapports d'enquêtes des Justiciers.
Les rues de la capitale étaient presque désertes à cette heure de la matinée. Il y avait bien quelques badauds qui flânaient dans les allées des beaux-quartiers, mais pour la plupart des jihälwois, leur journée de travail ne faisait que commencer. C'était là un des avantages à faire partie de la Lame Sacrée. Afin d'assurer au quotidien le bon respect de l'ordre divin, un système de roulement avait été mis en place pour que le congé hebdomadaire de chaque Justicier ne tombe pas le même jour. Ainsi, Anthelme et Jyhann pouvaient se déplacer librement dans la Citadelle, en pleine semaine, pendant que leurs collègues étaient de garde. Ils évitaient donc l'affluence des passants et bénéficiaient au passage de toute la discrétion nécessaire pour réaliser leur enquête.
Parcourant les divers quartiers de la capitale, les deux apprentis détectives s'étaient dirigés vers l'est, pénétrant dans la Vieille Ville. Ce surnom faisait référence aux différents secteurs qui divisaient Jihälwa en trois portions distinctes. Au nord s'étendait la ville nouvelle. C'était la partie la plus récente, elle était la conséquence directe du grand essor qu'avait connu la Citadelle ces dernières années. Particulièrement fréquentée par les touristes, on y trouvait les beaux-quartiers et ses multiples magasins, ainsi que des tavernes et de nombreuses auberges pour accueillir les visiteurs. L'activité se déroulant essentiellement dans cette partie de la ville, une bonne partie des richesses y était produite. Tandis qu'au sud, au contraire, l'argent venait souvent à manquer. La Terre des Piliers était la portion la plus pauvre de la capitale. Une grande partie de la population jihälwoise y était massée. Et même s'ils profitaient de la proximité des quartiers nords pour travailler dans les commerces alentour, ces emplois ne suffisaient que rarement à leur faire quitter la misère du sud de la Citadelle.
Cependant, malgré l'écart societal notable entre le nord et le sud de Jihälwa, le contraste demeurait toujours moindre qu'à l'est. La Vieille Ville était la partie la plus ancienne de la capitale, elle était une porte ouverte sur le passé, telle une emprunte fossilisée de la ville à ses débuts. Le temps semblait s'y être arrêté à l'ère des Légendes. Les larges boulevards pavés des quartiers nord étaient ici d'étroits chemins en terre battue dont les bords étaient recouverts d'une herbe grasse et épaisse. Par ailleurs, la construction y avait été interdite par le précédent roi, Hagold l'Érudit, dans un souci de conservation du patrimoine historique et culturel de la ville. De ce fait, seuls les descendants des puissantes familles déjà installées sur ces terres à l'époque habitaient encore dans la Vieille Ville aujourd'hui.
Anthelme arpentait les rues chaotiques en compagnie de Jyhann lorsque la bibliothèque apparut sous leurs yeux. Le bâtiment était une merveille architecturale. Sa façade avant était composée de pierres polies qui atténuaient l'arrogance des arabesques métalliques qu'on y avait accolées. Le résultat donnait un style entre deux âges à l'édifice. Sobre et pompeux à la fois, la bâtisse était en réalité l'ancien manoir d'une famille jihälwoise décimée durant la Seconde Grande Invasion shu'rouase. Longtemps laissée à l'abandon, la demeure avait finalement connu une seconde jeunesse lors du grand plan de rénovation culturel mis en place sous le commandement du roi Hagold. L'établissement servait aujourd'hui de bibliothèque, profitant de ses deux étages pour présenter une multitude d'ouvrages au public...
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Les DesAstreux - Tome 1 : La Lame Sacrée
FantasyDésormais fille des rues, Jyhann ne doit sa santé qu'à ses capacités à voler et manipuler. Dans les quartiers sud, on appelle cela _le jeu de la survie_, mais il y a longtemps que vivre ne fait plus partie de ses priorités. Brisées par le meurtre de...