Chapitre 8 (Amy) : Nous

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Le soleil brillait de milliards de feux d'or aux nuances toutes plus extravagantes les unes que que les autres tandis que l'avion s'élevait lentement, à travers les nuages. Les oreilles d'Amy grondaient dans le vacarme tonitruant des moteurs  et la jeune fille devait lutter de toutes ses forces pour empêcher ses paumes crispée de recouvrir les côtés de son crâne, au grand désespoir de Shadow. Enfin, l'aigle de fer s'immobilisa dans le ciel, semblable à un papillon blanc, et le concert insupportable des machines se tut. Ils volaient, pour de vrai ! Quel spectacle magnifique ! L'un comme l'autre, c'était la première fois qu'ils quittaient Montréal, le lieu de leur rencontre et un mélange d'appréhension et d'excitation faisait battre leur cœur d'une douce mélopée. Et pour cause, l'adolescente avait beau fermer les yeux, clore ses paupières fatiguées pour abandonner le monde, une seule et unique voix tournait en boucle dans sa tête, un frisson glacé de chaleur qui inondait son âme et qui l'harcelait, lui refusant le sommeil depuis des heures :

-Est-ce qu'on est bientôt arrivés ? répéta encorne fois le symbiote, je m'ennuie !

-Pas plus qu'il y a cinq minutes, le contredit la collégienne.

-Alors on arrive quand ? insista la créature.

-Tu compte lentement jusqu'à vingt-cinq-mille et on y est !

-Combien ? 

De longues secondes de silence s'écoulèrent, Amy s'était endormie. Une faible respiration soulevait maintenant la poitrine de la petite sur laquelle ses mains reposaient en croix. Qu'il semblait bon de rêver ! Rêver, quel mystère pour l'étranger ! Lui qui ne connaissait rien, ou presque rien, il contemplait passif son visage dormir alors que dans son cœur tournaient et retournaient des centaines de questions.

-Mais j'en peux plus ! s'écria soudain l'étranger. Il voulait sortir, sauter du toit du monde et s'en voler plus haut et se saisir des ombres. 

-Je veux partir ! Emmène-moi dehors au moins !

Trop brutalement tirée de sa torpeur, Amy ouvrit les yeux, ses pupilles jaunes dilatées par la peur, elle fixait farouchement les autres passagers et ses longs doigts serraient à l'en faire se fissurer l'accoudoir du siège voisin. Alertée par le bruit, sa voisine et seule amie leva un instant ses prunelles noires de l'écran qui paraissait les hypnotiser. Alice n'était qu'un peu plus vieille qu'Amy mais la vitalité dont tout son être rayonnait emplissait chaque recoin de l'endroit où celle-ci demeurait.

-Bah alors ? l'interrogea son aînée, inquiète, t'as fait un cauchemar ?

Il fallut un temps pour permettre à Amy de recouvrer ses esprits, afin de chasser les nombreux nuages qui embrumaient on regard fatigué dans lequel de minuscules larmes de fatigue perlaient comme autant de minuscules étoiles.

-Hein ? insitait encore Shadow, dis oui !

-Non non ! s'empressa de répondre la jeune fille, hélas, aux deux demandes, Ça va Alice, je te jure ! Tu peux continuer ta série...

-Alors allons aux toilettes au moins, la supplia l'extra-terrestre, je n'en peux vraiment plus ! Même si la bête n'était humaine, l'on imaginait sans trop d'efforts les éclairs suppliants que le symbiote aurait lancé et sans doute, le mouvement de tête dédaigneux dirigé de son menton au travers du bruyant compartiment. Persister semblait inutile, l'adolescente le savait : ce monstre demeurait aussi fou qu'il tenait à la faute.Sans davantage insister, la jeune fille se leva, ses genoux tremblaient et elle dut s'y reprendre à deux fois avant de parvenir à se tenir. Ce fut donc après plusieurs essais pour le moins infructueux qu'Amy tituba enfin en direction des toilettes, tout au fond de la cabine. La jeune fille eut à peine entendu le claquement de la porte que déjà elle se retrouvait le banc dans le blanc, face au sourire carnassier de son "coloc' aux dents d'argent".

-J'arrive toujours pas à croire qu'en vrai tu ressemble à ça. souffla la collégienne, comme toujours impressionnée de sa sinistre apparence.

-Je peux t'en montrer plus... proposa le symbiote à l'œil vif.

Amy rit timidement :

-Je devrait être effrayée ?

Mais l'extra-terrestre ne répondit pas. Non, au contraire, un froid intense parcourut tous le corps de l'adolescente, une nuit polaire et visqueuse qui recouvrait sa peau, l'embrassait, la rongeait et qui s'infiltrait, encore plus profondément en elle. Amy fronçait les sourcil, elle avait mal, elle souffrait affreusement et pourtant, celle douleur lui faisait inexplicablement du bien et la rassurait, comme par une force mystérieuse. Bientôt, l'hiver de ses bras cédant place au printemps et une tiédeur normale l'envahit à nouveau, c'était fini.

-Tu peux ouvrir les yeux maintenant, lui souffla le symbiote, j'ai fini.

Lentement, presque au ralenti, tant les secondes parurent durer, la jeune fille daigna relever les paupières pour découvrir l'incroyable créature qui s'épanouissait là-bas, dans la glace, un visage de cauchemar, descendu du paradis. La jeune fille peinait à s'en croire : c'était-lui, cette chose écarlate, animal sanguinaire dont les grandes pupilles blanches fixaient le paysage avec tant d'insistance ? Et cette bouche ? Et ce teint de celui de nos veines ? La collégienne baissa la tête et le monstre du miroir en fit de même, elle contemplait désormais ce motif, cette splendide araignée travaillée et complexe qui ornait son poitrail d'ébène et de grenat.

-C'est... Toi ? murmura Amy, éberluée.

-Non. C'est nous. 


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