Chapitre 9 (Kate) : Le corbeau

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Une baguette de pain blanc sous le bras, Kate respirait avec délice les mille parfums de la ville des couleurs, elle écoutait tous les bruits, contemplait chaque maison, chaque vendeur à son étal comme si elle les voyait pour la toute première fois. Les saveurs se mélangeaient dans sa bouche, fondaient telle la neige au bord des toits et embaumait ses papilles des discrets murmures des cigales. Ah ! Qu'elle aimait Marseille en ce premier jour de vacance, quand les vendeurs dans les rues qui clamait à la chance ! Q'elle s'y sentait bien, un matin de printemps, lorsque seuls l'appelaient la paresse et les chants ! Le ciel bleu pleuvait sur ses épaules des éclats de soleil et de minuscules gouttes de sueur perlaient dans les petits plis que formait ça et là son front rougi. Et les mâchoires de la jeune fille s'activaient. Une, deux, doucement, elle avalait et recommençait. Une, deux. Il ne devait rester plus de dix mètres entre son corps maigrelet et la pierre rose de sa maison, son seul et unique havre de paix. Soudain, l'adolescente vit une véritable tornade se déchaîner autour d'elle, une nuée étrange de toutes tailles et de toutes les couleurs qui palabraient joyeusement en une langue des plus étranges. Ils ne prêtaient attention à rien les sacripants ! Bien au contraire, la pauvre Kate dût bien lutter de toutes ses forces pour ne se faire emporter par la molle puissance d'une fillette en bermuda. La graisse emplissait chaque recoin de son vêtement qui paraissait presque au bord de déchirure. Au dessus de ses grosses joues, trônaient fièrement deux petits yeux porcins desquels semblaient découler, malgré sa pesante chair et son aspect pataud, une vitalité et une intelligence exceptionnelle. Comme quoi ne faut-il jamais se fier aux apparences, pensa la jeune fille à sa vue. Derrière elle, tous se précipitaient en un vaste troupeau sauvage et indiscipliné, les étudiants se bousculaient, pareils à des moutons comme pour se frayer un passage à travers la foule, et arriver en premier au graal de leur vie. Tous, sauf une. L'ombre passait, à l'écart de la masse, elle marchait lentement, presque sans faire de bruits à la suite du cortège. Sa tête  recouverte d'une capuche paraissait dodeliner légèrement, au rythme d'une invisible musique. La silhouette ne disait rien, mais elle semblait tout voir et tout entendre tant et si bien que qui conque croisait l'or de son regard s'en détournait immédiatement, brusquement attiré par un bijoux ou un poisson. Elle demeurait bien seule, l'inconnue aux ailes de nuits, personne ne la regardait, mais elle regardait tout le monde. L'univers était bien injuste... Soudain, Kate fut inexplicablement prise d'une immense compassion pour cet être isolé, ce corbeau solitaire, au milieu des blanches colombes. Vite, la jeune fille se faufila parmi la troupe, toujours jacassante et jamais attentive, son cœur envoyait à ses tympans des vagues de fureur qui semblaient lui souffler la voix de la raison. Une seule parole, quand elle la tira par la manche, trois mots qui voulaient rire, avant la fin des temps, voilà ce qui lui fallut, à Kate, pour sceller son destin et sans doute, le sien aussi.

-On se comprend. chuchota la jeune femme, ses prunelles irisées plongées dans les siennes. Oui, elle avait compris. En effet le "corbeau" ne tarda à lui répondre, d'un souffle grave et éraillé :

-On se comprend.

Avant de s'en aller, happée par un monde de joies, mais aussi de Tristesse. L'adolescente la vit s'éloigner, rester dans son esprit comme pour s'y imprimer, pour laisser une empreinte qui ne s'effacerait jamais.

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