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Je rentrai tranquillement chez moi. La nuit était tombée depuis quelques heures maintenant. Les étoiles brillaient forts dans le ciel malgré la pollution lumineuse ambiante. Le vent me fouettait le visage avec ses brises glaciales du mois de janvier. Je ne sentais plus le bout de mon nez ou même de mes doigts. La neige commençait à se remettre à chuter, je me mis alors à accélérer le pas voulant rentrer plus vite, avant de terminer comme un glaçon, ou bien un bonhomme de neige, au choix. J'avais toujours adoré l'hiver et sa neige. Petite j'habitais près de la mer, dans la Sud, avec sa chaleur, son soleil constant et ses touristes. Je haïssais l'été et la chaleur. La chaleur était synonyme de tourisme en masse. Sortir était lourd pour quelqu'un comme moi, quelqu'un qui ne supportait pas les foules.

Je me fis sortir de mes pensées par un homme s'approchant de moi avec un grand sourire. Je le regardai brièvement et l'esquivai. Je ne voulais pas parler à des hommes dans une rue vide en plein milieu de la nuit. Et puis même, je ne voulais pas parler aux gens tout court. Je l'entendis m'interpeller en haussant le ton de sa voix. Je me retournai, lui disant que j'étais pressée avant de reprendre ma marche. J'enfonçai mes mains dans mes poches et enfouit un peu plus mon nez dans mon écharpe. Je commençai à sérieusement avoir froid, et j'avais encore au moins 20 minutes de marche devant moi. J'accélérai encore un peu plus le pas quand j'entendis quelqu'un faire de grandes foulées derrière moi. L'homme m'attrapa le bras et me fit me retourner face à lui. Je le regardai mauvais, il prit alors la parole.


- Ce n'est pas très poli d'ignorer les gens comme tu le fais tu sais.


Je rêvai où il voulait me sermonner. Je ne faisais que suivre mon instinct et fuir un danger potentiel.


- Je suis pressée, laissez moi s'il vous plaît. disais-je en essayant de dégager mon bras de son emprise.

- À la base je ne voulais que te demander une clope mais en y regardant de plus près t'es plutôt mignonne ! s'exclama-t-il en m'observant comme un vulgaire bout de viande. Ça te dirait de venir boire un verre avec moi ma jolie ?


Je bousculai son bras d'un coup sec pour qu'il me lâche. Je n'aimais pas sa manière de me parler. Je commençai à sentir la haine et la peur se mélanger en moi, créant un sentiment de rage pur. Je voulais lui répondre de me laisser. Mais impossible. Ma gorge se nouait péniblement et les larmes roulaient aux coins de mes yeux. Un miaulement de panique sortit de ma bouche et je partie en courant. Je serrai mes poings le plus fort possible, blessant mes paumes avec mes ongles. Comme si contracter mes muscles allait aider à calmer ma colère. J'entendis l'homme crier une injure envers moi au loin, je l'ignorai et continuai mon chemin.

Je finissais ma cigarette, assise devant mon immeuble. Je grelottai et sautillai pour tenter de me réchauffer. Je n'avais pas envie de rentrer, il était environ minuit et je savais pertinemment que mon beau-père ne dormait pas. Je savais pertinemment qu'il allait me hurler dessus pour être rentré si tard, me traitant de traînée. J'avais l'habitude de ses paroles, elle ne m'atteignait presque plus mais voir ma mère, celle avec qui j'avais toujours tout partagé auparavant rester muette face à cette haine gratuite me brisait le cœur. Elle avait été une bonne mère durant mon enfance. Elle avait toujours été spéciale mais elle n'était trop pas méchante. Malheureusement, elle l'avait rencontré lui. Il n'avait pas l'air mauvais de prime abord. Il ne m'inspirait pas forcément confiance mais je laissais ma mère gérer sa vie comme elle l'entendait, je n'avais que onze ans après tout, ce n'était pas à moins de me méfier de qui rentrait dans le foyer familial, mais plutôt elle. Avec du recul maintenant, je pouvais affirmer que j'avais tort et que j'aurai dû me méfier dès le début.

Je soupirai et allai jeter mon mégot de cigarette dans une poubelle, prenant soin de l'éteindre avant. Je poussai la porte du bâtiment et m'engouffrai dans les escaliers. Je les montai deux par deux sans grande hâte. Je sentais une boule de stress se former au fond de mon abdomen. Une fois arrivée au quatrième étage, je sortis mes clefs et ouvris la porte. Je tentai de faire le moins de bruit possible, espérant ne pas me faire remarquer. Je refermai la porte délicatement et actionnai le loquet. Je longeai le plus discrètement et le plus rapidement possible le petit couloir pour m'enfermer dans ma chambre. Mais je le vis sortir du salon. Il me toisait du regard, me surplombant de sa hauteur. J'étais effrayée de lui. Je baissai les yeux et baragouinai des excuses à peine audibles, espérant que cela lui suffirait pour ce soir. Je voulais m'enfuir le plus loin possible de lui. Je sentais la tension augmenter au fur et à mesure des secondes. Je savais qu'il allait crier et réveiller tout le monde. Le silence était infernal et d'une longueur étouffante.


- T'as vu l'heure ? Ta mère se faisait un sang d'encre !


Je ne pus retenir mon soupir. J'étais exaspérée. Il ne pouvait pas me laisser tranquille pour une fois ? Rien qu'une fois ? Je voulais juste leur échapper. Ne le comprenait-il toujours pas ? Je sentis ses mains agripper mes épaules et me secouer, me demandant une réponse des plus rapides.


- Tu faisais ta pute dehors c'est ça ? me demanda-t-il. RÉPOND QUAND JE TE PARLE !


Mes muscles se crispèrent, mon organisme entier hurlait au danger. J'étais tétanisée et la seule chose que je pouvais faire était de garder mes yeux rivés sur le sol et d'enfoncer mes ongles dans les paumes de mes mains. Cette sensation de douleur me rassurait presque. J'étais maître de ma douleur, et non lui.

Il se mit à hurler face à mon absence de réponse. Il me poussait contre le mur en continuant de me fixer. Je sentais son regard lourd de rage sur moi. Je me sentais écrasée par ce regard, comme un animal sans défense.


- Je suis désolée... réussi-je à articuler.

- C'est tout ce que tu trouves à dire putain !? T'es qu'une connasse !

- Tout comme toi. murmurai-je pour moi-même.

- PARDON ? VAS-Y RÉPÈTE SI T'AS DES COUILLES ! JE VAIS TE DÉMOLIR !


Je ne pensais pas qu'il entendrait, je ne pensais pas qu'il entendrait. Je me faufilai derrière lui en vitesse et couru jusqu'à ma chambre en espérant lui échapper. Je claquai ma porte, la fermai à clef et me jetai derrière elle. Je voulais la bloquer à tout prix, j'avais beaucoup trop peur qu'il entre. Je l'entendis hurler et frapper contre ma porte. Il essayait de l'ouvrir, en vain. Il donnait des coups de pied et hurlait à en perdre haleine.

J'étais recroquevillée en boule derrière ma porte. Je serrais mes genoux contre ma poitrine le plus fort possible. Les larmes coulaient d'elles-mêmes sur mes joues. J'étais emplie d'une telle tristesse, et d'une telle haine. Je me haïssais plus que quiconque sur cette planète.

Il finissait par se calmer. Je l'entendais parler avec ma mère dans la pièce d'à côté. Ils n'étaient pas réellement discrets, je pouvais entendre les horreurs sortir de leurs bouches. J'entendais toutes ces obscénités être prononcées sans remords. Comme si je n'étais pas là, comme si je n'existais pas. J'aurais voulu sortir et leur hurler dessus à quel point ils avaient tort sur moi, à quel point je pouvais être quelqu'un de normal, comme tous les autres. À quel point je les haïssais de me traiter ainsi, sans savoir, sans comprendre, sans voir. Je voulais leur hurler ma haine à la gueule, comme eux le faisaient si bien. Mais cette boule dans ma gorge et cette crainte m'en empêchait.

Je relevai la tête de mes jambes et fixai ma chambre, les yeux vitreux. Je ne savais pas l'heure qu'il était, je ne savais pas combien de temps ses cris avaient duré, ni quand est-ce qu'il avait arrêté, ni depuis combien de temps. Tout ce que je savais été que la fatigue m'écrasait de tout sa lourdeur et que le ciel commençait à prendre des couleurs plus claires.

Chut [Nathaniel]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant