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J'étais complètement amorphe, j'étais dépourvue de toutes réactivités émotionnelles et physiques actuellement. Je regrettais d'avoir avalé tous ces médicaments maintenant que j'étais obligée de courir en rond sur un stade en plein soleil. J'étais à bout de souffle au bout de quelques foulées déjà et je ne rêvais que d'une chose, arrêter de courir. Je détestais devoir emboîter le rythme des autres sous la contrainte d'un professeur qui ne comprenait pas qu'on pouvait courir très lentement, tout en donnant notre maximum. Tout le monde n'était pas endurant, tout le monde n'était pas rapide, et encore moins sportif. Je ne supportais pas de courir avec mes articulations qui équivalaient à du papier mâché. Après chaque séance je pouvais être sûre d'avoir des douleurs aux genoux durant plusieurs jours. Je détestais aimer courir, sauf quand on m'y contraignait. Et je me haïssais d'être complètement défoncée à un court d'eps. Les pensées fusaient dans mon esprit, et je ne pouvais m'empêcher de penser à ce matin même.

Après la réaction de ma mère face aux aveux de mes angoisses, elle avait éclaté en sanglots répétant en boucle que c'était de sa faute, qu'elle était une mauvaise mère. Je lui en voulais terriblement d'avoir réagis de la sorte. Pour une fois je voulais juste un peu de réconfort et d'amour. Pour une fois, je me mettais presque entièrement à nue, dévoilant ma vulnérabilité face au monde qui m'entoure, en attente de recevoir l'amour d'un mère qui me manquait tant. Je me trouvais extrêmement idiote d'avoir cru qu'elle aurait pu me réconforter, me rassurer, qu'elle aurait pu m'enlacer d'une étreinte chaleureuse et maternelle. Je me détestais d'avoir cru qu'elle me donnerait de sa tendresse ce matin. La mère que j'aimais et que je chérissais enfant s'était comme volatilisée, et les dernières lueurs d'elle que je pouvais percevoir au fond de son être avait définitivement disparu ce soir là. Le soir où elle m'avait retiré de la surveillance des médecins. Le soir où je m'étais rendue aux urgences, suppliant de l'aide pour aller mieux, suppliant de l'aide pour ne pas en finir. Elle avait décrété que je mentais, que les diagnostiques médicaux mentaient, qu'elle seule, connaissait la vérité sur mon état psychologique. Elle m'avait traité de désespérée en quête d'attention, que j'étais folle, que je montais tout ça dans ma tête dans l'espoir d'être vue et entendue. Pour elle je ne recherchais rien d'autre que de la pitié. Je l'avais supplié elle aussi de me laisser me faire aider. Je l'implorais de me laisser à l'hôpital, je lui disais que je voulais guérir. Je lui disais que je voulais arrêter de recouvrir mon corps d'immondes coupures à chaque fois que j'étais touché par le désespoir ou la haine. Je lui avais avoué que j'étais venue chercher de l'aide dans l'espoir de ne pas mettre fin à mes jours. Et elle m'avait avertie, d'un ton glacial et effrayant, que si je restais dans cette chambre d'hôpital, je serais morte à ses yeux. Elle m'avait craché dans ce téléphone d'hôpital que je n'avais qu'à continuer de m'ouvrir la peau jusqu'à ce que j'en meurs. J'avais fondu en larmes suite à ses mots, et toute volonté de me battre contre mes problèmes s'était envolée de mon corps. J'avais fait tout ce qu'elle voulait, j'étais sortie, j'étais retournée en cours, j'avais arrêté de me blesser. Je n'avais plus aucune force en moi pour lutter contre quoique ce soit. Je lui avais obéis au doigt et à l'œil, me laissant m'enfoncer dans les limbes de mon esprit et dans cet enfer familial qu'elle avait aidé à construire.

Le professeur d'eps souffla dans son sifflet pour que tout le monde se regroupe près des plots qu'il avait disposé au sol, me sortant complètement de mes pensées. Il voulait que l'on s'entraîne au sprint en faisant des courses les uns contre les autres. On devait se mettre par équipe de trois, deux concurrents et un arbitre, puis tourner. Je m'asseyais un peu en retrait du reste de la classe, attendant que les groupes se forment pour aller avec celui qui voudrait bien de moi. J'avais les yeux rivés sur le sol, espérant au fond de moi que l'on oublie mon existence pour le reste du cours quand j'attendis le prof crier mon nom. Je sursautai et me crispai avant de me lever pour me diriger vers lui.


Chut [Nathaniel]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant