1

985 42 30
                                    




J'étais perdue dans mes pensées devant la grille du lycée, j'attendais patiemment qu'elle ouvre, cigarette à la main. J'étais bien trop en avance, et très fatiguée. Je n'avais pas dormi de la nuit. Je n'avais pas envie d'aller en cours, je n'avais pas envie de voir tous ces gens, je n'avais pas envie d'écouter les professeurs raconter leur cours, je voulais seulement dormir et rattraper cette nuit blanche. Ce matin, après m'être rendue compte que le jour se levait petit à petit j'étais partie prendre une douche fraîche pour me redonner un coup de fouet, en vain. J'avais ingurgité deux cafés avant de me brosser les dents, eux non plus n'ont pas eu grand effet. Mais au moins, j'ai eu la chance de ne pas voir mon beau-père avant de partir pour le lycée, seul mon petit frère, Léo, était levé. Je lui avais donné son petit-déjeuné, changé, et habillé avant de le remettre dans sa chambre pour qu'il joue le temps que quelqu'un se réveille. C'était un enfant assez calme avec moi, il était plein d'énergie et de joie de vivre. Avec ses parents c'était tout autre. Quoi qu'il fasse, ils l'engueulaient. Ils le laissaient toute la journée dans son lit ou alors assis dans sa chaise haute pour ne pas avoir à le surveiller. Et le peu de fois où ils le laissaient vagabonder et jouer dans l'appartement, ça les énervait. Il faisait trop de bruit, ils devaient le surveiller, ils devaient ranger ses jouets. C'était trop pour eux, alors ils lui criaient dessus. Comme si ça allait tout fixer. Et le pauvre gosse se mettait à crier lui aussi, et parfois à pleurer. Il voulait juste vivre sa vie de petit enfant et pouvoir jouer. Très souvent ils venaient me voir après ce genre de scène quand j'étais dans ma chambre. Ça les énervait énormément, mais au moins Léo se calmait. Je me retrouvais à jouer avec lui jusqu'à l'heure de manger bien souvent. L'attitude de ma mère et de mon beau-père envers leur enfant me faisait peur, j'espérais vraiment qu'ils finissent par se rendre compte de ce qu'ils font. J'espérais qu'ils n'allaient pas le briser autant qu'ils l'ont fait avec moi. J'espérais que Léo irait bien.

Les grilles du lycée s'ouvrirent enfin, et une petite foule d'élèves commençaient à rentrer dans les bâtiments pour rejoindre leur salle de classe. J'écrasai ma clope sous ma semelle et allai jeter le mégot dans une poubelle avant d'entrer dans l'établissement. Je me traînai dans les couloirs, n'ayant aucune motivation pour continuer cette journée qui ne venait que de débuter. Elle allait être longue, très longue.

Je râlai intérieurement tout en montant les escaliers pour me rendre à ma salle de classe quand je senti une main se poser sur mon épaule. Je sursautai et me retournai vivement, cherchant du regard qui cela pouvait bien être. Je vis une jeune fille, blonde polaire, me sourire vivement.


- Salut, désolée de t'avoir fait peur, c'était pas mon intention ! s'exclama-t-elle, ponctué d'un petit rire. Mais tu as faits tomber ceci en marchant !


Elle me tendit un petit chat en laine qui normalement pendait sur mon sac à dos. Je la remerciai d'un petit merci, assez timide avant d'enfouir la petite peluche dans ma poche et de repartir en direction de ma salle. La sonnerie indiquant le début des cours se mit à retentir dans tout le lycée. Je pressai le pas, craignant d'être en retard à force de traîner des pieds. Je montai encore un étage et couru à moitié en voyant mon professeur faire rentrer les élèves dans la salle. Il me fit les gros yeux, comme pour me prévenir de ne pas recommencer. Je l'ignorai royalement et parti m'asseoir à ma place habituelle.

Il était midi trente, j'étais assise dans la cantine, un plateau rempli de nourriture face à moi. Je mourrai de faim. Mais je n'avais aucune envie de manger. Voir tous ces gens parler, rire et passer de bons moments entre eux me rendait malade de tristesse et de jalousie. Je n'avais pas vraiment réussi à me faire d'amis. Je me sentais assez seule, assise là à ma table à fixer mon repas. Pourtant plusieurs personnes depuis la rentrée avaient déjà essayé de venir me parler et essayé d'un peu plus me connaître pour surement être ami plus tard. Mais j'étais incapable de parler, je répondais par des oui ou non, je ne les regardais pas vraiment, ne leur souriais presque jamais, répondant seulement à moitié à leur questions. Je ne riais que très peu à leurs blagues. Ça avait dû les décourager je suppose. Voir quelqu'un d'aussi fermer devant vous ne doit pas donner envie de continuer une conversation. Et de toute manière je n'en valais pas forcément la peine. J'ai toujours été quelqu'un d'extrêmement timide et de renfermer sur moi-même mais je réussissais à avoir quelques amis, très peu, mais ça me suffisait. Malheureusement après ma déscolarisation en quatrième, j'ai perdu le peu d'amis que j'avais. Je ne leur avais jamais expliqué la raison de ce retrait si soudain, mais après tout il ne m'avait jamais demandé. En seulement quelques mois ils m'avaient déjà oublié, me laissant seule, sans aucune vie sociale. Je ne sortais plus de chez moi, vivant dans ce climat toxique environnant qui grandissait chaque jour un peu plus. Et je supposais que mon problème à être sociale venait de là. En tout cas je ne pouvais nier que cela avait envenimé les choses.

Je sentais la tristesse s'emparer complètement de moi. J'avais envie de pleurer en repensant à ces quatre années de solitude. Et entendre toute cette joie partager entre des amis ne m'aidait pas. Je ne pouvais m'empêcher de gratter de vielles cicatrices présentes sur mes bras. C'était devenu un réflexe, pour me concentrer sur autres choses que sur ces pensées un peu trop lourdes.

Je vis quelqu'un poser un plateau face à moi. Je n'osai pas relever la tête pour savoir qui c'était, trop honteuse de mon état. Je voulais fuir.


- Bonjour Elise.


C'était une voix douce et calme. Je pouvais presque entendre un sourire dans ses mots. Je relevai alors la tête et vis Nathaniel dans son éternelle chemise blanche.


- Salut Nathaniel.

- Comment tu vas ? T'as pas l'air d'avoir très faim toi dis-moi. constata-t-il en fixant mon plateau encore intacte.


Je ne fis qu'opiner de la tête en guise de réponse. J'aurais voulu répondre de vive voix et lui retourner la question. Il avait l'air vraiment gentil. Mais les mots se coinçaient encore et toujours dans ma gorge, comme si mes cordes vocales avaient été coupé. Je le voyais attendre quelque chose de moi, sans trop savoir quoi. Je le fixai droit dans les yeux, comme pour lui demander pourquoi il venait me parler si soudainement, sans raison apparente. Je l'entendis soupirer avant de prendre la parole.


- Vendredi dernier on avait un devoir de math à rendre, et comme tu n'étais pas là je dois me charger de le récupérer pour le rendre au prof ce soir à la fin des cours. Est-ce que tu l'aurais ?


Je me mis à angoisser en réalisant que je ne l'avais pas fait. Je n'étais pas une très bonne élève, et encore moins une élève assidue, mais je rendais toujours mes devoirs. Un huit restait toujours mieux qu'un zéro. Je baissai les yeux avant de lâcher un bête "j'ai oublié". Il ne dit rien et se mit à manger son plat. Je n'osais pas bouger et surtout, je n'osais pas lui parler.


- Tu devrais manger, il te faut des forces pour continuer la journée.


Je ne dis rien et me contentai de gratter légèrement ma peau. Je voulais qu'il parte. Il avait l'air sympa mais je voulais qu'il parte, je n'avais pas envie d'avoir quelqu'un face à moi qui me parlait sans que je sois capable de lui répondre. Je voulais qu'il se casse de suite et qu'il me laisse en paix. Il m'énervait à rester là, comme s'il attendait quelque chose de moi. Je m'énervais à réagir comme je le faisais.


- Elise, te fait pas mal comme ça. dit-il, avec un brin d'inquiétude dans la voix.


Je sursautai de surprise à l'entente de ses paroles. Je ne m'étais pas rendu compte que je grattais mes mains avec frénésie. J'avais honte de moi, de me montrer si vulnérable. Il devait sûrement penser que j'angoissais ou paniquais à cause du devoir que je n'avais pas fait. Alors que non, je me sentais mal à cause de sa présence, je me sentais mal à cause de ma peur, je me sentais mal à cause de mon incapacité à exister dans la vie des autres et dans la société. J'étais épuisée d'être prisonnière de moi-même. Je me levai de la table, pris mon plateau et partie. Je détestai être moi.

Les cours venaient de se terminer. Je ne savais pas comment j'avais survécu à cette journée. Les cours étaient intéressants mais avec la fatigue et le brouhaha des élèves je n'ai pas vraiment suivi grand chose. Je rêvai de rentrer dormir mais je savais qu'à cette heure-ci ma mère et mon beau-père, allaient sûrement faire un vacarme monstre et que je ne pourrai aucunement me reposer. Je décidai donc de me diriger vers le métro pour aller dans un parc que j'appréciais. J'espérais trouver un coin tranquille où je pourrais fumer un joint et me détendre un peu. Et pourquoi pas, malgré le froid, piquer un petit somme si il n'y avait pas grand monde.

J'étais arrivé à la station de métro, elle était noire de monde. Après tout j'étais venue à l'heure de pointe. En attendant qu'une rame arrive, j'observais autour de moi, ne sachant pas vraiment quoi faire. C'est alors que je vis une petite tête blonde avec sa chemise significative, tout grelottant. Il parlait avec d'autres personnes. Il mourrait de froid dans cette tenue, pourquoi n'avait-il qu'une chemise sur le dos en plein hiver ? Je le voyais baisser la tête suite aux éclats de rire de ses acolytes, si je puis dire. Un grand brun lui donna une tape dans le dos. Même sans prêter une grande attention à ce groupe de lycéens, on pourrait voir que cette tape n'était pas vraiment amicale. Ils avaient plutôt l'air de se moquer de lui, ou de l'intimider. Je regardai la scène de loin, sans vraiment savoir si je devais faire quelque chose ou non.

Chut [Nathaniel]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant