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J'avais arrêté de compter le nombres de jours, de semaines et même sûrement de mois depuis la soirée où je ne fréquentais plus Nathaniel. Ma réaction était disproportionnée, c'était évident. Mais savoir qu'il connaissait quelque chose d'aussi privé que ça alors que je le cachais depuis des années, me mettait dans une rage folle. Je lui en voulais sans aucun doute. Je lui en voulais de savoir alors qu'il n'avait jamais forcément voulu apprendre à la base. Les premiers jours je ne venais plus en cours, prétextant avoir attrapé un gros coup de froid. Je restais toute la journée dans mon lit, déprimant et pleurant sans bonnes raisons, juste à cause de toutes ses pensées qui heurtaient mon esprit. Jusqu'à ce que ma mère me force à aller chez un médecin. Il avait bien vite compris que je n'avais pas juste un gros rhume où quelque chose dans le genre. Je pense qu'il avait vu que je déprimais simplement. Il avait essayé de me faire parler, me posant des questions qui avaient pour seule réponse un silence de roi. Je me souviens du regard sévère de ma mère et de Vynce sur moi, comme si ils me menaçaient de ne rien dire. Mais qu'aurais-je bien pu dire ? Je n'avais rien à dire. Peut-être, peut-être que si je n'avais pas peur de me retrouver seule, peut-être que si j'avais des amis autour de moi, peut-être que si mon cerveau fonctionnait de manière raisonné, j'aurais avoué ce qu'il se passait dans l'enceinte de notre maison, peut-être que j'aurais finalement accepté de me protéger moi, et pas ma famille. C'était un fait : si j'avouais, ma famille exploserait, je détruirais sûrement mes grands-parents pour qui la famille est la chose la plus importante qu'il existe, je détruirais l'enfance de mon petit frère et je détruirais leurs vies à eux. Alors je me suis tût, me disant qu'après tout, en plus de tout cela, je le méritais sûrement aussi, cette haine, cette bête noire.

Il avait fait sortir ma mère et son compagnon de son bureau, et avait attendu une bonne quinzaine de minutes dans le silence, me regardant d'un air doux et compatissant. Je lui avais enfin adressé la parole, lui disant que "j'avais juste attrapé froid". Et il n'y croyait pas. Il m'avait donc parlé de l'hôpital, que c'était écrit dans mon dossier médical. Il me disait que l'hôpital avait noté le refus de soin de la part de ma mère malgré mes demandes répétées de rester. Il me disait que si je lui parlais, et si j'éprouvais toujours le besoin d'être encadré par des soignants pour aller mieux, il m'y aiderait. Et je devais bien avouer que cette idée était alléchante, pouvoir échapper à ma réalité, essayer de guérir et être enfin en paix sans arracher ma famille, c'était plus qu'attirant. Mais cette boule au fond de ma gorge était là, me coinçant chaque mot qui pourrait avoir un impact. Je bouillonnais de rage, j'étais épuisée de combattre mon propre esprit à chaque souffle. J'avais juste à dire que ça n'allait pas, j'avais juste à dire que j'avais besoin d'aide. Mais les seuls mots qui sortaient était des stupides "ça va mieux". J'avais envie d'écraser mon crâne contre le mur près de moi pour me punir de mon idiotie. Il s'était contenté de souffler un "d'accord" avant de me faire ressortir avec un certificat médical pour mes jours manqués et une lettre de sa part pour aller voir un de ses collègues psychologues. Il m'avait donné ça en me disant que j'avais le droit de le cacher à ma mère et Vynce, que j'avais le droit d'aller voir un psychologue sans leur approbation, et que son collègue comprendrait. Alors je leur ai caché. J'avais enfoui la lettre dans ma veste avant de sortir les rejoindre dans la salle d'attente.

J'avais vu ce psychologue quatre fois, sans que personne ne le sache. Et je n'avais quasiment pas parlé durant ces rendez-vous, et lui non plus. Il se contentait d'attendre que je lui parle, il voulait que la discussion vienne de moi, non de lui. Cette méthode me procurait beaucoup trop de stress, j'avais du mal, et le peu dont j'avais parlé était mon inquiétude de ne jamais réussir à avoir mon bac. Et aujourd'hui, mon cinquième rendez-vous avait lieu. J'étais face à lui, assise dans ce siège bleu délavé, et il attendait encore. Il attendait que je lui parle depuis presque quinze minutes.


Chut [Nathaniel]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant