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Il était onze heures, et cela faisait déjà bien trois bonnes heures que je travaillais sur ces exercices d'espagnol sans rien comprendre. Je bloquais sur la plupart des mots inscrits sur ces foutus papiers et ça me rendait folle. Je savais très bien que je ne pouvais pas combler cinq ans d'ignorance en seulement quelques mois, c'était impossible, mais j'espérais au fond de moi. Je donnais mon maximum sans rien de concluant derrière. J'étais complètement démoralisée. Je me sentais faible et totalement nulle. J'avais l'impression que tout le monde y arrivait sauf moi, je haïssais ça. Je passais mes mains sur mon visage fatigué. J'avais mal dormi cette nuit encore. J'avais beaucoup parlé avec Castiel par message, il me faisait part de comment sa soirée avec ses parents se passait. Il n'avait pas osé aborder le sujet délicat avec eux, ne sachant pas comment s'y prendre. Il me racontait à quel point il s'ennuyait en écoutant les anecdotes de voyages de ses parents et les photos les accompagnant. Il m'avait avoué avoir coupé court à leur soirée vers vingt trois heures, prétextant être fatigué pour les faire partir et pouvoir par la suite inviter Lysandre pour se changer les idées. Une fois Lysandre arrivé, il ne m'avait plus vraiment contacté. J'étais triste de ne plus pouvoir échanger avec lui, ce moment m'avait créé une petite échappatoire au milieu des cris de l'appartement. Presque comme tous les autres soirs, ils s'engueulaient. J'avais mis le lit de Léo dans ma chambre pour qu'il ne soit seul et qu'il ait peur. Au début il pleurait un peu, étant effrayé que son père lui fasse à nouveau du mal. Je l'avais rassuré comme je pouvais, lui racontant des histoires, lui faisant des câlins ou en essayant de le faire rire. J'avais eu du mal mais j'avais fini par y arriver. Aussi, Germain venait dans ma chambre, se réfugiant lui aussi. Il avait peur que ça tourne mal. Il me racontait ses ragots une fois de plus, essayant de masquer le bruit de leurs hurlements. Il embellissait ses histoires avec des mensonges plus grotesques les uns que les autres. Mais je ne disais rien, me contentant de dodeliner de la tête. Je haïssais mon frère, mais je ne pouvais le repousser quand la peur se lisait clairement dans ses yeux. Parfois, j'avais peur de finir comme lui, brisé, mauvais, idiot et incapable. Alors je prenais note de tout ce qui m'agaçait en lui pour essayer de ne pas le reproduire. Quelquefois je me rendais compte que je lui ressemblais un peu, et ça me foutait la chair de poule. Je n'avais pas envie de lui ressembler, ni à lui ni à quelconque autre membre de ma famille. Ce serait mon plus gros échec. 

Je tapai du poing sur mon bureau, laissant un soupir de rage sortir de ma gorge. Je divaguai encore, incapable de rester concentrée sur mes cours. J'en avais marre. J'étais une incapable. Si je voulais mon bac et pouvoir partir d'ici en fin d'année prochaine je me devais de travailler et de donner tout mon possible. J'en avais assez de mon incompétence chronique. Je devais me ressaisir mais rien n'y faisait, je n'y arrivais pas. Mes angoisses refirent surface. J'allais rester ici, avec tout ce qui ruinait mon être. J'allais échouer dans ma vie et je resterai minable à jamais. Des larmes se mirent à couler, j'étais à bout. Je devais arrêter pour aujourd'hui, j'étais inefficace de toute manière.

Je me levai de mon bureau improvisé puisqu'on avait accaparé le mien et que je n'avais pas de quoi m'en racheter un, et partis m'affaler sur mon lit. J'étais déjà épuisée alors que nous n'étions pas encore à la moitié de la journée. Je soufflais, fixant ce plafond jauni par le temps. J'étais agacée et énervée contre moi. J'attrapai mon oreiller pour me l'enfoncer sur le visage et je ne pus m'empêcher de battre des pieds frénétiquement sur mon matelas, faisant peur à mon chat au passage. J'étais frustrée de ma nullité et de mon impéritie. Ne pouvais-je pas être normale une bonne fois pour toute ? Je lançai mon coussin à mes pieds dans un excès de rage. Parfois quand cette colère s'accumulait trop en moi, l'envie de me blesser me reprenait. C'était dur de la refréner. Je me persuadais de ne rien faire en me disant que mon corps était déjà assez abîmé et moche comme ça, mais parfois ça ne suffisait pas. Je succombais. Néanmoins, c'était rare, très rare. J'avais bataillé avec moi-même durant trop longtemps pour me laisser aller à cette pratique à nouveau. 

Chut [Nathaniel]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant