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Hors du temps


Isilde et Salomé essayaient de monter le plus haut possible dans l'arbre. On était chez nos grands-parents, et cet été-ci, on avait aménagé une petite cabane derrière les buissons, au pied de ce magnolia que l'on pouvait voir depuis la chambre que l'on partageait. Nonna nous avait aidé à déplacer un vieux banc en bois et une vielle table qu'elle avait recouverte de mosaïque des années auparavant, dans ce petit espace que l'on s'était approprié. J'avais étalé des dalles que j'avais trouvé dans le garage pour nous faire un petit chemin et j'avais étendu un drap entre plusieurs branches pour nous faire un endroit rien qu'à nous. Salomé était allée jusqu'à mi hauteur avant de s'asseoir, ayant trop peur d'aller plus haut à la vue des branches qui s'affinaient. Mais Isilde, elle, continuait à monter. Toujours plus haut. Jusqu'à atteindre la cime de l'arbre. Elle était si heureuse et si fière d'elle d'y être arrivé. Je rêvais d'être comme elle, d'avoir son audace et son courage. De n'avoir peur de rien et de toujours repousser ses limites. J'avais envie moi aussi, de grimper jusqu'en haut. Je voulais moi aussi, être plus grande qu'un arbre. Mais cette peur omniprésente d'une mère surprotectrice m'écrasait, me mettait plus bas que terre. J'étais plus minuscule qu'une fourmi, et elle, plus haute qu'un arbre. Je la jalousais.

Elle redescendit fière de son exploit, sautillant de partout. Je l'enviais. Je voulais être aussi heureuse qu'elle moi aussi. Je voulais être libre de toutes ces peurs pour une fois. Et elles deux, m'y poussaient, constamment. Elles aussi voulaient me voir libre de l'emprise de ma mère. Mais je ne pouvais pas, j'en étais incapable. Alors je changeais de sujet, leur disant qu'on avait qu'à se créer une meilleure cabane maintenant que j'avais pu récupérer d'autres draps inutilisés. Et c'est ce qu'on fit. On avait construit notre plus belle cabane. On la remplissait avec nos rires et notre joie. On avait étalé des coussins un peu partout pour être plus confortablement allongé ou assise. On se racontait tout et n'importe quoi, s'inventant des histoires, s'imaginant nos vies plus tard.


- Moi je sauverais des animaux et j'aurais une ferme ! On mangera plus de pauvres animaux et on les sauvera de la méchanceté de ceux qui les tuent ! s'insurgea Isilde.

- Je pourrais jamais me passer de saucisson et de lardons, c'est trop boon ! s'exclama Salomé en riant. Moi plus tard je serais journaliste et dessinatrice ! Et j'aiderais même à résoudre des crimes avec mes articles !

- T'es trop bête pour ça tu le sais bien. grimaça Isilde. Et toi Elise ? Tu voudrais faire quoi plus tard ?

- Je veux aider les gens, les sauver. Peut-être pompier ou médecin ! Ou alors travailler dans le secret d'état et faire espion ! Ou faire pianiste ! riais-je. Mais ma mère voudra jamais, c'est dangereux et ça fait trop garçon.

- Oh Elise ! T'es vraiment rabat-joie ! On s'en fiche de ta maman. Faudra faire un truc que tu aimes toi, pas elle. C'est pas elle qui contrôlera ta vie quand on sera grande ! Nous on sera toujours là pour te pousser les fesses malgré ta mère, donc fais gaffe à toi ! me lança Salomé. On sera cousine pour toujours on pourra toujours tout se dire. Et si un jour tu as besoin de nous, on sera là en force contre les méchants qui te causeront du tord. Pas vrai Isilde ?

- Ouais ! Qui que ce soit on les boxera comme des pro !


Isi' se releva vivement pour mimer un boxeur en plein combat avant d'éclater de rire. Elles me remontaient le morale en moins de temps qu'il ne le fallait pour le dire. Je les rejoignis dans leur fou-rire, me tenant les côtes. À chaque fois que l'on réussissait à se calmer, un simple regard nous suffisait pour repartir de plus bel. On en pouvait plus, et on s'étouffait à moitié dans nos éclats de rires. Je réussissais à me calmer à force de respirer le plus calmement possible. Mon ventre était douloureux tellement nous les avions contractés sous notre amusement. Je m'étalais sur les coussins, voulant détendre mes muscles endoloris quand Nonna passa la tête par l'ouverture de notre cabane.


- Je vous ais fait des fraises à la chantilly pour le goûter ! Vous venez les manger ? Faut se dépêcher sinon votre grand-père va tout vous piquer. chuchota-t-elle en nous adressant un clin d'œil.


Isilde sautillait de joie et laissait échapper un cri de joie à l'entente de cette bonne nouvelle. Elle fut la première à courir vers la terrasse de la cuisine pour aller manger, et je bondissais sur mes pieds pour la suivre de près. J'entendais Nonna rire en compagnie de Salomé derrière nous. On s'assit à la table de la terrasse en fureur, fixant ce délicieux goûter qui nous faisait de l'œil. Le soleil nous chauffait la peau. Nonna et Salomé arrivèrent à leur tour et s'assirent face à nous. On prit toutes les trois un bol de fruit sucré avant de les engloutir comme de vrais ogres, sous le regard bienveillant de notre grand-mère. On était heureuse et notre ventre était comblé de ce merveilleux mets. On se décidait alors d'aller jouer dans la piscine après ça, voulant se rafraîchir.











Nous étions toutes les trois devant la baie vitrée du salon pour regarder la télé le temps de sécher au soleil. Notre grand-père refusait catégoriquement que l'on rentre avec une seule goutte d'eau sur nous. Alors on restait planté là, jusqu'à ce que chaque once de liquide s'évapore de la surface de notre corps. Je n'étais pas vraiment attentive à ce qu'il se passait à la télé, une série inintéressante s'y déroulait. Mais mes cousines, elles, étaient captivées par toutes ces images. Je n'avais éprouvé un grand intérêt à la télé, je préférais passer du temps avec mes amies ou à jouer dans ma chambre. J'étais partie m'asseoir sur la marche de la terrasse derrière nous quand je vis ma mère arriver. Elle avait du mal à marcher sur les pierres avec ses hauts talons. Lorsqu'elle était à ma hauteur elle me dit qu'on allait rentrer et que je devais aller me changer. Et je l'écoutai, même si je voulais rester ici pour le repas. Je partis me changer dans la chambre avant de la rejoindre dans la cour devant la maison. J'avais dis au revoir à tout le monde avant de la rejoindre. Je montai nonchalamment sur son scooter et on partit loin de la maison de chez mes grands-parents, laissant ma joie et mon bonheur derrière nous pour rejoindre une atmosphère morose et déprimante chez moi. Mon chez moi était l'endroit qui me faisait sentir le moins chez moi que j'ai pu connaître et je détestais ma maman pour ne rien y faire, pour ne rien changer à tout ça. Moi aussi, je voulais un joli chez moi, moi aussi je voulais de la joie, moi aussi je voulais pourvoir être aussi grande qu'un arbre, mais j'étais une fourmi. Et j'avais peur de devenir une poussière.

Chut [Nathaniel]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant