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- donghyuck, le programme d'aujourd'hui, s'il te plaît.
- de 9 heures à 11 heures 30, réunion avec la direction de Seoul Tramways. de 11 heures 45 à 13 heures, conférence de presse sur les nouvelles réformes. à 13 heures 10, ...

les yeux rivés sur notre éternel agenda rouge sang, je récitais machinalement les rendez-vous de la journée. écrits sur le papier ligné, les mots étaient tous différents mais à mes yeux, ils soupiraient tous la même chose.
« ennui. ennui. ennui. ennui. »

je sentais son regard glisser sur moi comme un laser. assis dans son grand fauteuil de cuir, les coudes posés sur son bureau en bois noble, ses doigts croisés au millimètre, il était la parfaite caricature de cet homme, patron de l'une des entreprises les plus florissantes du pays : blindé aux as, manipulateur et prêt à tout pour gagner la partie. il était riche, puissant, célèbre. dans son répertoire téléphonique, les numéros de certaines têtes du gouvernement côtoyaient ceux de maîtres chanteurs ou de voleurs de prime. sans foi ni loi, j'avais pris l'habitude de l'observer sourire à ceux qu'il abattra quelques jours plus tard. égoïste, menteur, tricheur : il était tout ce que je condamnais en mon fort intérieur.

en fait, je haïssais profondément cet homme que la vie m'avait désigné comme père.

arrivant à la fin du programme de sa journée, je me suis tu et j'ai accepté son sourire moqueur sans relever. je ne voulais pas me rebeller ou faire preuve d'insolence : j'avais beau être son fils, je savais de quoi il était capable pour sauver son affaire ou sa réputation. il n'avait jamais eu de scrupules à me corriger.

son regard glacial transperçait le mien et j'ai essayé de réprimer une vague de frissons. quand il faisait ça, j'avais l'impression qu'il fouillait dans mes pensées les plus secrètes, les plus profondes et j'avais du mal à le supporter. ses yeux aussi pénétrants que déstabilisants le définissaient bien : bien trop difficile à lire, sans aucune chaleur ou empathie, capable de retourner la veste de n'importe qui, surtout la sienne. et quand il lisait dans mes yeux, j'espérais autant que je redoutais qu'il se rende enfin compte de ce que je pensais de lui.

enfin, ce que je pensais de lui à présent. parce que dans mes souvenirs, il n'avait pas toujours été comme ça.  je nous regardais encore jouer au ballon et criant et riant, quand j'étais petit. maman n'était déjà plus là, elle est partie quand je n'étais encore qu'un bébé. dans mon enfance, mon père avait été à la hauteur de mes plus hautes espérances et infiniment plus. jusqu'à que grand-père meurt.

on lui parlait très peu et on le voyait encore moins. je savais juste que si mon père et moi vivions convenablement, c'était grâce à lui. à l'époque, je pensais simplement qu'il était roi ou quelque chose comme ça. c'était comme ça que les amis de mon père l'appelaient. en fait, j'ai appris bien plus tard que "roi des chemins de fer" n'était qu'un surnom un peu ironique.

grand-père était directeur de la compagnie ferroviaire numéro une en Asie, Lee Railways. il avait hérité l'entreprise de son père, qui lui-même l'avait hérité du sien. c'est comme ça que mon père est devenu PDG. c'est aussi comme ça que tout s'est effondré entre nous.

j'avais sept ans à l'époque. j'avais l'habitude de le voir à la sortie de l'école, de demander son aide pour mes devoirs, de jouer au football avec lui, de manger face à lui. du jour au lendemain, je ne l'ai plus vu. il avait embauché une nourrice qui ne savait pas jouer au foot, qui ne connaissait pas mon histoire préférée, qui avait un parfum trop fort et qui me faisait tousser. les peu de fois où il rentrait le soir, il montait de suite s'enfermer dans son bureau toujours fermé à clé. j'entendais sa grosse voix tonner à travers la porte quand il était au téléphone et peu à peu, j'ai commencé à avoir peur. peur de lui. avant, il était gentil et doux avec moi, mais il a commencé à utiliser cette voix trop sérieuse et intimidante avec moi. il grondait, tapait du poing sur la table, me fusillait du regard. c'est aussi à ce moment-là qu'il a fouillé ma tête pour les premières fois.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant