ー vii

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il était aux alentours de sept heures du matin quand nous nous sommes mis en marche. mark m'avait raconté qu'il y a quelques mois de ça, il avait acheté un vieux van. il l'utilisait les rares fois où il allait se balader mais il m'avait confié qu'il l'avait surtout acheté dans l'éventualité où il s'en irait de par le monde. son sourire fier m'a réchauffé le cœur aussi bien que le soleil levant sur ma peau.

il l'avait garé dans un garage qui appartenait à un de ses amis, à quelques rues du bar. nos pas pressés et enjoués tapaient contre le trottoir déjà foulés par d'autres que nous, aussi pressés mais bien moins enjoués. je pense que dans tout séoul, personne n'aurait pu être plus heureux que nous à cet instant. parce que l'odeur du vent et de la circulation avait cet air puissant de liberté qui nous enivrait. nos sourires étaient gravés sur nos lèvres et nos doigts crispés autour des sacs de mark. il y avait dedans de quoi tenir jusqu'au bout du monde. c'était important pour nous parce que c'était là que nous souhaitions aller tous les deux.

enfin, il a pointé du doigt un grand hangar et nous avons accéléré un peu plus. nous avons traversé la route déserte en courant avant de nous arrêter devant l'immense volet métallique. il était descendu et il semblait que personne ne se trouvait à l'intérieur. alors, mark m'a fait signe et il s'est engagé dans une ruelle adjacente, assez ressemblante à celle du bar. on a marché en silence jusqu'à une porte blanche où il a toqué. aucune réponse. alors il a recommencé, sans interruption jusqu'à qu'elle s'ouvre brusquement et que mark manque de frapper le nouvel arrivant.

c'était un homme plus vieux, peut-être du même âge que henry. grand, massif, avec une barbe de trois jours et un visage fatigué, il paraissait énervé et ses sourcils broussailleux et froncés m'ont paru menaçants. mais aussitôt qu'il eut reconnu le canadien, ses yeux ont souri autant que ses lèvres. il l'a pris dans ses bras en lui tapotant dans le dos et en riant de bon cœur.

- mark ! ça faisait longtemps, tiens ! tu sais, j'ai pensé pas mal de fois à le revendre, ton tas de ferraille ! qu'est-ce que tu fais ici de si bonne heure ? tu veux rentrer ? somi est en train de déjeuner, elle sera contente de te voir ! je vais l'app-
- jinyoung hyung !

l'homme s'interrompit et fixa mark en fronçant de nouveau les sourcils.
- on a pas trop le temps de discuter, même si j'aurais beaucoup aimé. il faut qu'on parte et ça serait super si on pourrait pas trop tarder, tu vois ?

il est resté silencieux quelques secondes avan de hocher la tête. il s'est retourné, a attrapé quelque chose avant de sortir complètement et de fermer la porte, clés à la main. il nous a fait signe de le suivre et nous avons parcouru la ruelle dans l'autre sens, vers la route où le soleil était de plus en plus haut dans le ciel. il avançait beaucoup plus vite que nous et nous devions presque trottiner pour rester à sa hauteur.

enfin, nous sommes arrivés au volet métallique et il a commencé à déverrouiller la douzaine de verrous qui la fermait. à quelques pas derrière lui, j'ai jeté un regard un peu timide à mark qui m'a pris la main.
- c'est un ami de henry, m'a-t-il murmuré, et les amis de henry sont mes amis. on dirait pas comme ça mais il est très gentil, très affectueux. il vit avec sa fille depuis que sa femme est partie. c'est un homme génial. très protecteur et un peu méfiant mais un homme génial.

j'ai acquiescé alors que mark tournait de nouveau son regard vers son hyung. j'adorais la façon dont il me racontait ses amis, ceux qui avaient intégré et rythmé sa vie. il en parlait comme s'il les connaissait depuis l'an zéro et ses mots traduisaient l'affection et l'admiration qu'il leur portait. c'était touchant : mark était touchant dans sa façon d'aimer et de remercier.

plongé dans mes pensées, j'ai violemment sursauté quand jinyoung a poussé le volet métallique. le bruit épouvantable de fer grinçant avait sûrement dû réveiller la moitié de la capitale et la partie de moi qui avait toujours été contrainte de se faire silencieux souffrait et chuchotait de toutes ses forces à ce volet de faire taire cette effroyable cacophonie. et puis je me suis forcé à me rappeler que maintenant, j'étais libre et que je pouvais faire autant de bruit que je le voulais. mais j'aurais quand même tout donné pour arrêter ce volet. bien que je sois sur le point de m'en aller, il me sembla qu'il me fallait un peu plus que des grandes décisions pour changer tout ce que mon père et l'entreprise avait fait de moi. j'avais la frustrante impression que la liberté me tendait les bras sans que je puisse pleinement m'y jeter, comme si tout ce que je fuyais aujourd'hui continuait de me retenir. j'ai détesté cette impression et je me suis promis de m'en débarrasser le plus vite possible. j'ai tenté de feindre que le bruit de métal assourdissant ne me dérangeait pas, en tentant tant bien que mal de le faire croire aussi à mon for intérieur. 

enfin, le volet métallique fut complètement ouvert et jinyoung nous a fait un nouveau signe de la main. nous sommes entrés dans le hangar, et bien que ma silhouette était légèrement intimidée, je n'ai pas pu m'empêcher d'ouvrir de grands yeux ronds en découvrant l'endroit : des dizaines de voitures et petites camionnettes étaient garées, parfois avec le capot ouvert, et entourées de pièces en métal. une odeur étouffante d'essence chaude et de graisse de moteur flottait dans l'air. il y faisait très noir et jinyoung et mark devaient parfaitement connaître l'endroit parce qu'ils marchaient sans prudence ni appréhension. j'ai saisi la main du canadien, dont le sourire a rayonné dans l'obscurité du garage et je me suis senti tout de suite rassuré. avec l'empreinte chaude de sa paume contre la mienne, je me suis surpris à avancer moins maladroitement. c'est fou ce qu'il me faisait devenir en un toucher ou un sourire.

on s'est arrêtés devant un van. et quel van ! il était l'archétype même de ces vans de surfeur dans les films rétro que j'avais tant regardés : jaune et blanc, avec quelques autocollants sur les vitres et un style hippie inimitable. l'insouciance et la liberté étaient dessinées à la peinture soleil et il me sembla qu'un seul doigt posé sur sa carrosserie me transporterait au-dessus des dunes, face à l'océan.

- il te plaît ?
la voix douce de mark a résonné dans le hangar. ses mots teintés de timidité se sont envolés aussi haut que les rêves d'aventure qu'il avait fait naître.
- il est parfait.

il a serré ses doigts autour des miens et la peinture jaune du van a soudainement fait pâle figure près de son large sourire. il s'est approché du véhicule en me tirant par la main. il a posé son sac à terre et a glissé ses doigts dans la poche arrière de son pantalon pour en sortir les clés qu'il a fièrement agité devant mon visage. il les a fait tourner dans la serrure et a ouvert la porte comme s'il agissant des portes du paradis. en tout cas, c'était son paradis... et peut-être même du nôtre à présent ?

il m'a rapidement fait visiter. ici, la cabine du conducteur. là, la petite table et sa banquette. par ici, la minuscule douche et au fond, le lit. on a glissé ses sacs dans les placards en nous hissant sur la pointe de nos pieds avant de redescendre, plus euphoriques que jamais. mark a serré jinyoung dans ses bras et ils se sont murmurés quelques paroles que je n'ai pas entendues. alors qu'ils s'écartaient l'un de l'autre, le plus âgé s'est aussi tourné vers moi et m'a tendu les bras de la même façon qu'avec mark, vers qui j'ai tourné la tête. avec un hochement de tête et un sourire, il m'a persuadé et je me suis doucement approché de l'homme, qui m'a tapoté le dos.

- je sais pas qui tu es, m'a-t-il chuchoté à l'oreille, ni qu'est-ce que tu cherches mais tu as l'air d'un type gentil. fais pas de mal à mark, protège-le, c'est un gamin super.
alors qu'on s'écartait aussi, j'ai hoché la tête en souriant. faisant de même, il m'a tapoté l'épaule et je suis vite retourné auprès de mark. alors qu'on s'apprêtait tout juste à rentrer dans le van, jinyoung nous a interpellé.

- eh les mômes ? faites pas trop de bêtises. et faites gaffe à vous.

nous sommes finalement sortis du hangar en faisait un dernier signe de la main à jinyoung, qui nous observait partir, adossé au mur près de l'ouverture béante. le soleil continuait de grandir dans le ciel, la ville continuait de se réveiller et nous nous apprêtions à tout recommencer. nous allions réaliser notre rêve, ensemble sans que rien ni personne ne puisse nous arrêter dans notre fuite vers le vent liberté.

puis je me suis rappelé que la seule chose que j'avais avec moi était un paquet de mouchoirs. visiblement, il fallait encore qu'on me retienne.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant