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mark avait essayé de me persuader de ne pas y aller, mais j'étais bien décidé à aller chanter au bar ce soir. il était déjà prêt et je finissais juste de me préparer dans la salle de bain. appuyé sur la porcelaine crémeuse du lavabo, je fixais mon reflet dans le miroir.

ma chemise ouverte ne cachait plus les hématomes. une palette entière de peintures ternes s'étalaient sur mes côtes et mon torse. j'avais perdu du poids depuis mon départ de Séoul et je paraissais fragile. faible. j'ai suivi du regard le relief de mes os sous ma peau fine. mon bassin était bien trop apparent et mes veines bleu brutal se découpaient dans la pâleur squelettique de mon ventre. partout des griffures, des cicatrices, des vieilles traces de mon passé qui ne voulait pas se détacher de moi. et comme ça, en m'étudiant dans le miroir, j'en venais presque à me haïr. la lumière chaude du soleil couchant ne parvenait pas à coucher la chair de poule dansant sur mes bras maigres. malgré mes doigts accrochés au lavabo glacé comme à leur vie, mes mains tremblotaient. j'avais tellement froid et j'avais surtout peur. j'ai fermé les yeux. mes paupières ne devaient pas laisser passer mes larmes. pourtant, j'avais bien besoin de leur brûlure sur mes joues émaciées.

les jours passant, j'avais vu mon corps transmettre au monde le mal-être qui s'emparait de ma tête. j'étais heureux sur scène, je riais dans les bras de mark mais la nuit, quand j'étais persuadé qu'il dormait bien profondément au creux de ceux de morphée, j'errais.

j'étais parti de Séoul. mais souvent, j'en doutais. je continuais de ressentir le regard de des gens, celui du monde qui ne voulait pas me laisser être qui je souhaitais mais c'était celui de mon père qui était le plus lourd à porter. prostrée dans le coin du mur, son ombre observait mes insomnies, un rictus niché à la commissure de ses lèvres amères. j'angoissais, j'enrageais toujours silencieusement parce que mark était bien trop paisible, bien trop doux pour être réveillé par mes démons. je devais le préserver de mon côté sombre, de cette facette de moi que je haïssais de tout mon être. je devais le protéger comme il l'avait fait pour moi. je voulais continuer à croire que tout irait bien pour nous. je voulais continuer à me souvenir du coucher de soleil sur notre plage, de nos rires qui vibraient à travers les feuillages des arbres centenaires, de la chaleur de ses bras autour de mon corps incertain. je ne pouvais plus abandonner mais parfois, la simplicité d'une fuite au clair d'une lune sombre me semblait cruellement attirante.

- hyuck ! on va être en retard, qu'est-ce que tu f-

j'ai entrouvert mes paupières trempées, écarquillé mes lèvres rouge morsure mais c'était trop tard. mark avait déjà son regard posé sur moi. sur mon corps maigre, sur mes blessures, sur ma culpabilité écrasante. j'ai agrippé les pans de ma chemise pour les croiser sur mon torse mais il avait déjà tout vu. il s'est rapproché de moi, a écarté mes mains et le tissu. je n'ai opposé aucune résistance, ça ne servait plus à rien. j'ai juste levé mon visage vers le plafond, qui ne me jugeait pas, lui.

- j-je... tu m'avais dit que tu n'avais rien... pourquoi tu ne m'as rien dit ?
aucune réponse de la part de ma gorge, bien trop nouée pour daigner d'exister encore. j'ai fermé les yeux.
- hyuck. regarde-moi.
j'ai hoché la tête. désolé mark, je n'en suis plus capable. je suis bien trop faible pour ça.
- donghyuck ! regarde-moi ! maintenant !

il a saisi mon menton entre ses doigts et le contact de nos peaux aux chaleurs contraires m'a fait frissonné. de plaisir, je n'en étais plus sûr. je voulais juste qu'il me libère. alors, je pourrais le libérer lui de mon emprise toxique. mauvaise. maladive. je voulais qu'il soit heureux et la couleur violine des cernes sous ses yeux s'accordait malheureusement trop bien avec celle de mes mille et uns hématomes.

- je suis désolé mark. je suis pas bon pour toi. je suis nul nul nul nul n-
sa paume brûlante a coupé le flot continu de mes lèvres. les mots violents voulaient encore hurler mais la peau douce et rassurante de mark les combattaient et ils devenaient inoffensifs, presque invisibles entre ses doigts. mes larmes coulaient doucement sur mes joues puis roulaient lentement sur sa peau, traçant des tranchées au dos de sa main. il kidnappait mes doutes, il volait mes complexes, il brisait mes peurs encore et encore, sans cesse et sans lasse.

il a doucement rapproché son visage. nos nez se frôlaient. sa respiration se mêlait à la mienne, cette faible brise qui passait entre les barreaux de sa main. son regard galaxie fouillait mes yeux trempés, trouvait mes insécurités et les transformait en vol de papillons dans mon ventre. bientôt, mes larmes se sont tues mais mark ne me lâchait plus. sa paume a quitté mes lèvres à bout de souffle et a rejoint ma joue. ses mains couvraient mes joues et son étreinte pure caressait mon cœur cassé.
- hyuck, mon rayon de soleil. ne pense plus jamais à ça. ne dis plus jamais que tu es nul, que tu ne vaux rien ou moins que moi. parce que si tu pars, il reste quoi de moi ? j'ai besoin de toi. ne me laisse pas. reste beau, doux et heureux comme tu sais si bien le faire. je préfère voir tes yeux briller grâce au bonheur plutôt qu'à cause des larmes. laisse-moi prendre soin de toi, tu le mérites.

j'ai abdiqué et laissé mon front se reposer sur son épaule forte. il chuchotait « mon rayon de soleil » au creux de mon oreille.
je n'avais même plus envie de pleurer. seulement de sourire. et peut-être aussi d'embrasser ses lèvres infusées à la douceur. mais pour l'instant, sa peau chaude sous son teeshirt parfumé suffisait. je ne m'aimerais peut-être jamais comme il le souhaiterait, mais je pouvais bien l'aimer lui. et lui pouvait bien m'aimer à ma place. oui, je préférais cette idée-là. parce qu'après tout, si lui m'aimait, je ne pouvais pas être plus heureux.

enfin, nous avons pris le chemin vers le bar. sa main fermement agrippée à la mienne me montrait à quel point ma situation l'inquiétait et je culpabilisais horriblement. nous avions beaucoup à penser et je ne voulais sûrement pas devenir un poids en plus. alors, quand nous sommes arrivés au bar, juste avant qu'il pousse la porte métallique, je l'ai retenu.
- tu sais mark, tout ce que tu fais pour moi compte beaucoup. énormément même. mais je refuse de devenir un énième sujet d'angoisse pour toi. je vais faire des efforts, je te promets. je te parlerai de ce qui ne va pas et j'essaierai de ne plus pleurer. je vais être aussi heureux que je devrais l'être, juré. tant que tu es là, rien ne peux m'arriver. alors merci d'être là.

j'ai hésité quelques milli-secondes avant d'enrouler mes bras autour de son torse. je l'ai serré contre moi aussi intensément que je le pouvais et étrangement, je souhaitais de tout mon cœur qu'il remarque les battements frénétiques de ma poitrine contre la sienne.
- je... je t'aime beaucoup, tu sais.

sa main s'est promenée dans mes cheveux avant qu'elle vienne cueillir mon menton une nouvelle fois. ses paupières à moitié fermées, son léger sourire en coin, sa peau brûlante : rien n'était plus beau dans le monde que lui.
- moi aussi je t'aime hyuck. fort.
mon coeur s'est affolé dans mes côtes mais avant que je ne songe même à ouvrir la bouche, ses joues fleuries de pivoines se sont écartées des miennes.
- allons-y, on va être en retard.
j'ai hoché la tête, sans cacher mon sourire.

ce soir avait été un franc succès. comme depuis déjà quelques soirs, la salle était pleine à craquer. le public applaudissait de toutes ses forces et je savourais la sensation d'être éclairé par les étoiles de leur flash de téléphone. nos heures de spectacle étaient passées à la vitesse de la lumière et j'avais déjà hâte du lendemain, pour ressentir à nouveau les vibrations des planches dans mes muscles.

tous sourires, mark et moi sommes descendus de la petite scène. nos souffles encore courts respiraient le bonheur et nos yeux brillants n'étaient que l'ombre de mes larmes déjà oubliées.
- les gosses !

nous nous sommes retournés vers cette voix qui nous accueillait tous les soirs. cependant, son éternel sourire lui, n'était pas au rendez-vous.
- il y a quelqu'un qui demande à vous voir. et ça m'a l'air assez sérieux. et important.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant