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dans ma poitrine, mon coeur s'est fait de glace.

j'étais seul. vulnérable. dans l'obscurité. comme cette nuit-là, lors de notre dernière rencontre.
mais sûrement pas la première.

- qu'est-ce que vous me voulez, ryōmen ?
je tentais par tous les moyens de garder le contrôle de ma voix mais sa bouche sanguine a esquissé un rictus quand il a capté mes tremblements.
- oh, donghyuck, ne m'appelle pas comme ça. pas ici, enfin. tu ne veux pas faire peur aux autres invités, n'est-ce pas ?
le rire de l'homme a percé la nuit et a chassé les doux hululements des chouettes. plus rien ne résonnait dans le jardin, à part ses semelles frappant les cailloux et se rapprochant de moi.

furieux, j'ai fait volte-face et j'ai retrouvé son terrifiant visage d'ombre, déchiré par un sourire qui assombrissait encore la nuit par sa cruauté. son regard s'est planté dans le mien et j'ai discrètement frissonné en reculant.
je connaissais aussi ce regard.
c'était celui qu'il réservait à ses victimes, quand elles vivaient encore.

- qu'est-ce que vous faites là ?
- je travaille, donghyuck.
j'ai écarquillé les yeux et mon coeur s'est emballé dans ma poitrine. enfoncées dans mes poches, mes poings sont devenus moites et tremblants.
- vous... mais vous êtes...

il a ri, encore et j'ai prié toutes les étoiles que son rire s'étrangle dans sa gorge assassine.
- oui, je suis tueur à gage. et je te traque. mais y'a-t-il seulement un lien ?...
il s'est encore rapproché. son corps immense s'est courbé au-dessus de moi et le mien s'est brisé sous la terreur.
-... ou en imagines-tu un ? y'a-t-il un service que je puisse te rendre ? allons, donghyuck, il y a forcément quelqu'un à qui tu penses ? quelqu'un que tu ne peux pas t'enlever de la tête...

mais moi, je ne pensais qu'à mark. mark et son regard stellaire, mark et sa chaleur apaisante, mark et ses doigts passionnés.
mark dont la silhouette s'élevait sur le perron doré du manoir dansant. nous étions trop loins l'un de l'autre mais je sentais que mon regard captait les tréfonds du sien. et j'espérais de tout mon être qu'il comprenne ma détresse et mes messages.
- ne t'approche pas !

mon cri a déchiré la nuit et un bruissement d'aile s'est envolé. ryōmen a levé un de ses sourcils durs avant d'éclater de rire. il s'est encore rapproché et j'ai senti sa respiration chaude s'échouer sur mon visage bien trop proche du sien. j'ai jeté un œil par dessus son épaule mais mark n'était plus là. alors, j'ai fermé les yeux en espérant oublier son regard malsain.
- de quoi as-tu peur, lee donghyuck ? que je te fasse du mal... ou bien que j'en fasse à ton petit copain ?

c'est en entendant l'allusion à mark que j'ai véritablement pris peur. parce que je me suis rendu compte que je n'étais pas le plus en danger. je ne l'étais plus depuis bien plus longtemps que je ne le pensais. il savait ce que représentait mark pour moi. mais le bonheur, la liberté, l'amour inscrits dans ses yeux lumineux étaient des mots proscrits par mon père. mon ami était un danger pour son futur, une faille dans le plan parfait qu'il avait imaginé pour moi. et en me tendant la main, il était devenu l'ennemi numéro un.
l'homme à abattre.
- n-ne lui faites aucun mal. ne soyez pas lâche.
- je crois que nous n'avons pas la même définition de la lâcheté, petit. continue comme ça, protège-le. mais moi, la seule chose que je veux...

- eh vous ! reculez !

il a brusquement fait volte-face et j'ai rouvert les yeux. mark se dressait devant nous, un pistolet à la main. le canon aussi noir que la nuit nous fixaient de son grand œil ténèbres. mais mark tremblotait et l'homme l'a remarqué. avec un rire, il m'a poussé loin de lui et je me suis étalé sur l'allée de cailloux. je n'avais fermé les yeux qu'une seule seconde, un minuscule instant mais quand je les ai rouverts, mon souffle s'est coupé.

il avait mark contre lui, sa gorge coincée entre sa poitrine trop calme et son bras violent. il était bien plus grand que lui et les pieds de mark peinaient à toucher le sol. ses mains étaient désespérément accrochées au bras de ryōmen mais rien à faire, il ne faisait que resserrer l'emprise qu'il avait sur sa respiration déjà fébrile. la bouche ouverte, il cherchait l'air qui venait à lui manquer et la panique dégoulinait de ses yeux fous.

je me suis doucement relevé, ne voulant en aucun cas faire douter ryōmen. il était plus fort que nous, tellement plus agile. et je le connaissais bien. il était le meilleur, le plus froid. le plus insensible. le plus carnassier. et encore une fois, la cruauté de l'homme m'a frappé en plein poumon.

soudain, un petit bruit a retenti dans la nuit. un clic qu'on connaissait trop bien. avec horreur, je l'ai observé poser lentement le canon du pistolet de mark sur sa tempe. dehors il ne faisait pas si froid mais le métal glacé caressant sa peau chaude a levé des océans entiers de frissons sur mon corps. mes yeux brûlaient. mes jambes tremblaient. mon cœur hurlait de douleur. et la panique dans les yeux de mark me brisait un peu plus à chaque regard.
- lai... laisse-le tranquille.

ryōmen a fixé le silence morbide qu'il avait créé. et sa voix tombale a renversé mon cœur.
- la seule chose que je veux, donghyuck, c'est voir apparaître dans tes yeux l'envie d'en finir avec ta vie, à la seconde où je le tuerai.

il a ri. et ni moi, ni mark ne pouvions bouger. nous étions paralysés, coincés dans une impasse dont les murs étiraient bien trop haut pour que nous puissions seulement voir le soleil. ici, tout était noir, obscur et sans espoir.
il a lâché mark, qui s'est étalé à ses pieds en toussant à s'en arracher la gorge. je me suis précipité à ses côtés et je n'ai prêté aucune attention à ryōmen, qui s'éloignait en sifflotant, pistolet à la main.

sa respiration était bruyante, forcée et son corps secoué de presque sanglots me déchiraient de l'intérieur. les pupilles couvertes de larmes, j'ai essayé de le calmer comme je le pouvais, en caressant ses cheveux, en lui murmurant des mots doux empreints de l'angoisse qui me dévorait peu à peu. enfin, son souffle s'est apaisé et j'ai laissé couler les pleurs que je tentais de garder au fond de moi.

j'ai fixé le manoir doré s'élever au loin, inconscient des peines de mark et de mes sanglots. là-bas, le beau monde dansait, riait. se pensait en sécurité. mais nous ne l'étions pas. ni ici, ni là-bas.
il nous fallait partir. le plus vite possible.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant