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le truc, c'est que je n'aurais su dire si ce garçon était magnifique ou si c'était la chanson qui le sublimait. j'ai laissé mon regard glisser sur ses cheveux noir corbeau, sur sa peau opaline, sur ses bras forts qui enlaçaient sa guitare aussi tendrement qu'un être aimé. j'ai admiré son visage concentré par sa tâche et emporté dans sa passion, ses doigts qui couraient si délicatement sur les cordes en fer qu'on pouvait les croire en velours. j'ai senti mon cœur battre fort, vite et mon corps s'empêcher de se rapprocher du sien.

il m'attirait comme jamais personne ne l'avait fait.

il a continué ses accords, ces accords que je connaissais par cœur tant je les avais gravés au fond de ma poitrine. je revoyais le vinyle virevolter sur la platine du salon et mon moi de douze ans chantant dessus comme si sa vie en dépendait. peut-être que c'était le cas, finalement. peut-être même que ça l'était toujours. c'était peut-être aussi pour ça que ce garçon me déstabilisait tant : il murmurait le sens de ma vie avec tant de douceur, tant de facilité que c'en devenait... paralysant. mon corps me semblait parcouru de fourmis, de courants rapides d'eau brûlante. c'était une sensation très étrange, très particulière que ni l'argent ni les biens n'avaient jamais pu m'offrir.

non, le sentiment d'avoir trouvé son double et sa moitié est bien trop spéciale.

la mélodie prenait tout la place et pourtant, personne ne semblait entendre le petit miracle qui se produisait au bout des doigts du garçon de la scène. les conversations créaient toujours le bruit de fond, le barman essuyait toujours ses verres, les quelques hommes avaient toujours les coudes sur le comptoir et le regard vide.

sans pouvoir m'en empêcher, sans pouvoir contrôler la bête qui était là, cachée dans ma gorge, sans pouvoir ni me raisonner ni me calmer, j'ai laissé éclater ce que je gardais prisonnier en moi depuis des années. j'ai laissé mon instinct me guider.

j'ai chanté.

les doigts du garçon de la scène ont ripé sur les cordes et ont fait une fausse note. il a relevé la tête et son regard s'est engouffré dans le mien. les notes se sont brisées sur ma langue et, pendant un quart d'une seconde ou de vie, j'ai oublié comment respirer.

parce qu'on ne peut pas continuer à agir normalement quand quelqu'un nous fixe de la façon dont il m'a fixé à cet instant. pas avec ses iris aussi noirs que ses cheveux, aussi profonds que mon envie de tout balancer contre le sol, aussi remplis d'espoir et d'espérance que l'étaient mes rêves les plus fous. avec lui qui me fixait, j'ai eu l'impression que tout était possible, qu'il suffisait juste que je me rapproche de lui.

j'ai recommencé à chanter, puisque c'était comme ça que tout avait commencé. il a recommencé à jouer, puisque c'était comme ça que tout avait commencé.

je n'ai pas forcé sur ma voix, je n'ai pas joué avec comme je le faisais d'habitude. je chantais avec le cœur, avec mon âme parce que je voulais lui montrer qui j'étais vraiment. je voulais qu'il voie mes désirs et mes peurs, mes envies et mes doutes. je ne connaissais rien de lui et pourtant, j'avais cette fabuleuse envie que lui connaisse tout de moi.

peut-être était-ce parce que sa guitare et ma voix s'accordaient à la perfection mais les discussions se sont arrêtées, le barman a posé son torchon et les hommes au comptoir se sont retournés. peut-être était-ce grâce au petit sourire sur les lèvres du garçon, mais je n'avais plus peur. avec lui, je n'avais jamais eu peur.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant