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nous avons remballé ces derniers jours de bonheur sans un mot.

rien ne pouvait briser le silence de mort qui enfumait notre petit coin de paradis trop vite enfui, si ce n'est nos semelles écrasant les feuilles tombées au sol. dans ma panique, je ne réalisais pas trop encore à quel point cet endroit allait me manquer. l'herbe verte, le chant calme des oiseaux, les feuillages touffus des arbres, l'océan clair et infini. et surtout, c'était le sourire de mark incrusté dans chaque galet de la plage qui allait me manquer. des larmes de culpabilité se sont discrètement mêlées à celles qui roulaient déjà en silence sur mes joues. j'enlevais à mon ami cet endroit qu'il chérissait tant mais je le savais : il m'était impossible de rester ici. le vieil homme savait où nous nous cachions. avec dégoût, j'ai ravalé mon envie de vomir en repensant à son corps mou et inerte étalé sur le sol.

dans le meilleur des cas, il allait se réveiller et oublier toute cette histoire. mais je n'étais ni stupide ni naïf. il nourrissait une haine noire envers moi et tout ce que je représentais : il n'allait pas oublier que le fils prodige de la nation, l'héritier le plus puissant de tout le pays, le rejeton du capitalisme incarné l'avait agressé, assommé et laissé pour mort. aucun risque qu'il l'efface de sa mémoire. mais je ne pouvais plus rien faire, et je ne pouvais pas le faire taire.
je n'étais pas un meurtrier. je n'en étais pas encore là.

nous nous sommes installés dans le van et j'ai surpris le regard de mark sur l'océan, plus beau encore dans son regret. il semblait si triste, si nostalgique et encore une fois, j'ai eu honte de ce que j'étais. si seulement j'avais pu être banal, si seulement j'avais eu la chance d'être monsieur-tout-le-monde, mark aurait pu noyer son regard pétillant dans l'eau claire un peu plus longtemps. peut-être même pour toujours.

il conduisait dans un silence presque terrifiant et je ne me sentais pas légitime de le briser alors je suis resté la gorge nouée en me tordant les doigts. la tête appuyée contre la fenêtre, j'ai tristement observé les arbres fondre, l'air iodé fuir et le goudron noirâtre remplacer les galets pastel. nous étions désormais plongés dans l'incertitude. la dernière fois, tout s'était passé trop vite pour ne serait-ce prendre le temps d'y penser. mais maintenant, les doutes, les inquiétudes, les questions s'infiltraient en nous si lentement que c'en devenait douloureux. chaque minute, de nouvelles mauvaises fins s'ajoutaient à la pile de celles qui nous assaillaient déjà. à présent, où allions-nous aller ? nous suivrait-on ? nous surveillerait-on ? la sécurité de notre petite clairière avait abdiqué et c'était sa sœur, l'angoisse qui venait de monter sur le trône. et je redoutais le temps qui devrait passer avant qu'elle n'abdique elle aussi.

emporté toutes mes angoisses, j'ai dû finir par m'endormir. j'ai rouvert les yeux en entendant mon prénom. mark s'était déjà levé et malgré son petit sourire, j'ai fixé sur les cernes violettes sous ses yeux. il avait l'air épuisé mais je n'ai rien eu le temps de dire : il est sorti du van et je me suis senti affreusement coupable. je commençais à bien le connaître et je savais qu'il ne m'avouerait jamais sa fatigue et sa tristesse. en soupirant, je me suis levé à mon tour et je l'ai suivi dehors.

je me sentais déjà nostalgique de notre petite clairière mais là, j'étais tout simplement dévasté par la différence et mon coeur s'est douloureusement serré. devant moi, autour de moi, derrière moi, des arbres. des arbres partout. aussi touffus que sombres, ils ne laissaient passer aucune lumière et chaque doux rayon de soleil restait emprisonné entre les branches. et même si je regardais au loin, aucun océan de lumière ne venait faire briller mes yeux ou ceux de mark, qui restaient désespérément éteints. il était un peu plus loin, en train de chercher du bois et des pierres pour le feu. je me suis approché doucement, comme s'il était devenu un animal sauvage, craintif, imprévisible.
- mark ? tout va bien ?

il ne m'a pas jeté le moindre regard et seul un petit « hum » m'a répondu. j'ai avalé ma salive avant de retenter de lui tirer quelques mots.
- tu... tu sais où on est ?
il a juste haussé les épaules en restant accroupi. j'ai froncé les sourcils et j'ai posé ma main sur son épaule. j'ai senti tout son corps de tendre et mon cœur a raté un battement dans ma poitrine. j'ai retiré ma main et ravalé difficilement ma salive.
- j-je suis désolé mark. je savais que tu aimais beaucoup la clairière mais je ne pouvais pas faire autrem-
- TU ! TU ne pouvais pas faire autrement !

il s'est relevé d'un bond, me faisait sursauter. il a planté son regard dans le mien et j'ai frissonné, mais pas de la façon dont il le faisait ordinairement. je ne connaissais pas ce regard, dur, froid, agressif, méchant, sanglant, rageur. pendant un millième de seconde, j'ai retrouvé au creux de ses orbes celui que j'avais fui. j'ai reculé et lui s'est avancé. il m'a enfoncé son doigt, ce poignard aiguisé en plein cœur.

- toi toi toi ! c'est que de toi que l'on parle ! on part pour toi, on s'en va pour toi ! là, t'as eu un coup de flip et on doit s'en aller, encore. mais dis-moi, donghyuck, tu t'es demandé si je voulais partir, moi ? tu t'es demandé, ne serait-ce qu'une seconde, si je voulais partir, moi ? bien sûr que non ! parce que même s'il s'est barré, monsieur reste qui il est vraiment : un arrogant, un autoritaire, un pourri gâté de première !
- mark...

- non ! tais-toi ! arrête de m'interrompre tout le temps ! a-t-il hurlé de plus belle. je me suis tu en me recroquevillant sur moi-même. j'ai fermé les yeux et j'ai essayé de revoir son sourire chaleureux, son rire rassurant, ses yeux caressés par le soleil. mais ses vociférations effaçaient tout et je ne voyais plus que son regard assassin quand je cherchais sa douceur.

- moi, a-t-il repris, je ne veux pas devenir l'un de tes toutous. jusqu'à ici, j'ai été compréhensif, je t'ai suivi dans tous tes coups de folie mais je refuse de me casser tous les quatre matins parce que monsieur fait la Une des journaux ! je refuse de me cacher, moi ! je suis pas un fugitif, pas un criminel !

j'ai baissé la tête. je n'ai même pas essayé de gommer les larmes de honte qui roulaient sur mes joues. il a ricané.
- je suis même pas sûr que tu comprennes ce que je veux te dire. de toute façon, t'es comme ton père.

la gifle est partie toute seule.
je n'ai rien pu contrôler.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant