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- MARK ! LE VAN !
mais il n'avait pas besoin de mes cris. lui aussi avait vu l'homme.

il a lâché ma main et a couru tête baissée vers notre véhicule. il a ouvert la porte à la volée, ses doigts aux jointures blanchâtres agrippés à sa branche. mes yeux étaient écarquillés, mon regard était fixé à la fenêtre qui, le temps de quelques secondes interminables, m'avait laissé entrevoir cet homme. mais en plus de la terreur paralysante qui m'étreignait la poitrine, il y avait cette horrible impression de déjà-vu. j'avais beau fouiller ma tête et la vitre de fond en comble, je ne retrouvais pas le souvenir ou une autre image de cet homme qui me prouverait que rien n'était anodin.

mark s'était rangé à mes côtés depuis un certain temps quand j'ai enfin ouvert la bouche.
- je connais l'homme. je l'ai déjà vu quelque part, j'en suis certain.
- où ça ?
- j'en ai pas la moindre idée.

je me suis détourné de la fenêtre et j'ai planté mon regard dans celui de mark. ses pupilles inquiètes bougeaient dans tous les sens et d'ici, j'avais la sensation de sentir son cœur battre furieusement dans le sol. à moins que ce ne soit que mes jambes qui tremblaient un peu trop.
- j'en ai pas la moindre idée mais ce mec là, c'est pas un vagabond. je suis sûr de l'avoir déjà vu.

quand nous sommes rentrés dans le van, mon coeur s'est écrasé au fond de mes côtes.
l'homme avait tout cassé.
tout brisé. tout éclaté.

je ne voyais quasiment plus la couleur du sol tant il y avait de bordel. la vaisselle était explosée et le verre craquait sous la semelle de nos chaussures. les pages des quelques livres que nous avions étaient arrachées et baignaient dans l'eau qui recouvrait le plancher. nos valises étaient renversées et avaient été laissées pour mortes, affalées sur le lit. notre armoire avait été dépouillée. près de l'évier, la vitre avait été brisée. j'ai frissonné, à cause du vent qui s'infiltrait. peut-être même à cause du bout de tissu déchiré qui flottait dans le verre brisé.

- donghyuck. il a pris le fric.
j'ai fait volte-face pour laisser tomber mon regard écarquillé sur mark, qui tenait notre sac en toile contenant auparavant tout notre argent. celui de mon père mais aussi celui que nous avions gagné au bar grâce aux généreux pourboires des clients. celui que nous avions ramassé à la sueur de nos voix et de nos cœurs. celui qui nous rappelait notre valeur, bien plus forte, tellement plus précieuse qu'il ne l'était lui, découpé en misérables bouts de papier.
c'est là que j'ai explosé.

j'ai hurlé de colère et je me suis précipité dehors. mon coeur tabassait la paroi de ma poitrine et mes ongles s'enfonçaient dans mes paumes comme j'aurais aimé enfoncer mes poings dans son visage.
- MONTRE-TOI ENFOIRÉ ! MONTRE-MOI OÙ TU TE PLANQUES !

j'ai à peine entendu l'appel de mark qui sortait à peine du van et je me suis engouffré dans la forêt.
la nuit noire la rendait bien plus inquiétante mais ma fureur la colorait de carmin. je respirais bruyamment et je mettais des grands coups de pied dans les buissons de ronces qui me battaient le passage. je sentais qu'il était là, tout près de moi. qu'il pouvait me surprendre à tout moment. et je voulais être prêt à le surprendre lui. je voulais ma vengeance, plus que je n'avais jamais rien désiré. d'un coup, j'ai senti quelque chose sur mon épaule.

en sursaut, je me suis retourné brusquement. mais rien. je me suis tu et le silence m'a soudain étranglé. autour de moi, il n'y avait que le souffle du vent, troublé parfois par les hululements d'un hibou.

je n'apercevais plus la clairière. je ne m'étais pas rendu compte que je m'étais autant éloigné. j'étais essoufflé mais je savais que même en m'arrêtant, ma respiration ne ferait que s'accélérer. la colère, l'angoisse, l'appréhension me comprimaient la poitrine et j'ai commencé à regretter d'avoir ignoré les cris de mark.

le silence était aussi épais que la mousse verte et poisseuse qui se collait à mes chaussures. la lune était le seul rayon lumineux qui parvenait à briser un tant soit peu l'obscurité mais malgré elle, je ne parvenais pas à voir plus loin que quelques mètres. qui sait ce qu'il se cachait ici ? une chouette a hululé tout près de moi et j'ai sursauté bien plus que je n'aurais dû. sans plus attendre, j'ai fait demi-tour. mes jambes se sont remises à courir. mon souffle fébrile s'envolait en volutes de fumée pâle qui se découpaient dans l'ombre de la forêt.

- MARK !
pas de réponse.
j'avais beau hurler de toutes mes forces, j'avais beau m'arracher les cordes vocales, j'avais l'horrible sensation que j'étais complètement seul. complément perdu.
totalement vulnérable.

mais je ne m'arrêtais pas et je refusais de m'arrêter tant que mes cuisses ne m'avaient pas laissé m'écraser au sol. mais c'est arrivé bien plus vite que je ne le pensais. je me suis pris les pieds dans une branche et je me suis écroulé sur les racines d'un arbre immense. les ondulations du bois se sont enfoncés dans mon thorax et m'ont coupé le souffle. mes yeux se sont écarquillés et la douleur horrible qui me vrillait le crâne ne ressemblait à l'extérieur qu'à un misérable couinement. les larmes ont de nouveau montré le bout de leur nez et ont ironiquement couru le long de mes joues salies, de ma mâchoire amère.

un instant, j'ai songé à m'endormir. après tout, le silence était si fort, la mousse presque confortable et je n'étais pas sûr de pouvoir me relever. j'ai fermé les yeux en priant pour tout oublier.
- DONGHYUCK ! DONGHYUCK !

je me suis redressé en sursaut en gémissant presque tout de suite de douleur. j'ai pris la plus grande inspiration que j'ai pu pour lui répondre.
- ICI MARK ! JE SUIS LÀ !

peut-être est-ce mon espoir qui se montait la tête, mais j'ai comme senti les buissons près de moi bouger. j'ai forcé sur mes yeux jusqu'à entrevoir une silhouette faire trembler les branches. j'ai souri et la chaleur de mark qui se rapprochait peu à peu m'a enfin rassuré.

pourtant, je n'ai pas compris quand il a violemment plaqué sa main contre ma bouche et mon nez, m'empêchant presque de respirer. mark n'aurait jamais usé d'une poigne aussi forte sur moi.
et mark ne m'aurait jamais forcé à me taire.
surtout, mark n'avait pas la peau aussi rêche.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant