ー xxxiv (part. 1)

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je n'ai pas vraiment été utile à mark pour remballer nos affaires. alors que lui les rangeait agilement dans nos sacs, je baladais distraitement mon regard sur notre van, cette antre de bonheur qui avait cueilli chacun de nos rires et de nos sourires pour les faire fleurir au dehors.

je regardais notre lit encore défait avec ces draps blancs qui n'avaient jamais songé à cacher mes joues pivoines. ces draps blancs qui m'avaient déjà surpris à détailler mark tant de fois. ces draps blancs qui avaient passé tant de temps sur le sol à cause de la fureur de nos batailles de chatouilles. j'aimais leur couleur immaculée, leur pureté qui retenait en eux la douceur de nos nuits et la chaleur de nos poitrines. j'aimais penser que notre amour naissant et chaleureux était aussi pur qu'eux, simples bouts de tissu qui en disaient tant sur nous.

je regardais la fenêtre, dont la vitre brisée laissait entrer les doux parfums de l'été nouvellement venu. le soleil se levait lentement, étirant sa lumière entre les nuages. j'avais tendrement aimé ces dizaines de matins où, étendu dans l'herbe, j'avais admiré la nature s'éveiller autour de moi, prête à accueillir une nouvelle journée de bonheur sauvage. les arbres dansaient, le vent soufflant dans les feuillages chantonnait et j'avais aimé joindre ma voix à la sienne. elles résonnaient bien ensemble. le silence et moi, moi et le silence, juste avant le grand réveil du monde.

je regardais surtout mark, qui s'activait autour de moi sans jamais me toucher et en me frôlant toujours, comme si je n'étais d'une ombre. mais j'aimais être son ombre parce que je ne voulais pas le quitter, jamais. même si je devais rester dans l'obscurité, même si tout devait s'arrêter demain, même si mon monde était contre le sien. moi, je voulais encore enlacer ses mains, assez longues pour s'étaler sur ma hanche, assez noueuses pour sentir ses veines sous mes doigts aventureux, assez pleins pour m'y sentir comme dans un nuage affectueux. ici, nous avions vécu nos premiers câlins, notre première dispute, nos premiers rougissements et je refusais que tout s'arrê-

- hyuck, j'ai fini. on va y aller.
je le voyais flou. et à travers tout ce brouillard, je ne pouvais plus distinguer que ses yeux charbon qui enflammaient mon cœur dès qu'il les croisait. j'ai hoché la tête.
- j'arrive dans une minute. je te rejoins.
il a acquiescé et, juste avant de me laisser, il a offert à ma joue l'un de ses baisers aussi légers que les nuages, ceux que j'admirais le matin lorsque le soleil se levait. il a refermé la porte derrière lui et la pression s'est effondrée sur mes épaules.

j'ai fermé les yeux
inspiré.
expiré.
l'avenir était devant moi. en dehors du van. il fallait que j'aille de l'avant, que je rattrape la main de mark avant qu'elle ne parte. je ne voulais pas être abandonné, alors c'était à moi de faire en sorte que le rêve continue.
alors, j'ai rouvert les yeux.
d'un dernier regard, j'ai dit adieu au lit et aux draps blancs. j'ai dit adieu à la fenêtre et aux parfums de printemps avant d'aller rejoindre mark à qui je ne voulais rien dire d'autre que bonjour.

il m'attendait, debout au centre de la pelouse. le visage fermé, les yeux endormis. les bourgeons estivaux gigotaient autour de ses pas, déjà fatigués du long voyage que nous nous apprêtions à faire. il portait un des sacs en bandoulière et les autres patientaient au sol. et en marchant vers lui, j'ai réalisé que je n'avais besoin que de lui pour être heureux. et quand ses yeux ont rejoint les miens et que le soleil a retrouvé ses étoiles, j'ai réalisé que nous n'avions besoin que de nous pour vivre. un mince sourire aux lèvres, il m'a rendu un sac et m'a tendu sa main.
- t'es prêt, fullsun ?
j'ai silencieusement acquiescé.
et comme si ces pas écrivaient la fin d'une histoire, il a chuchoté
- alors c'est parti.

nous avons marché vers la voiture, de laquelle monsieur kim est tout de suite sorti, le visage inquiet. il a levé son téléphone.
- j'ai eu monsieur song et je lui ai expliqué votre situation. on file à l'aéroport. vous partez au Canada avec son avion privé. il faut faire vite alors allons-y maintenant.

il est remonté dans le véhicule et nous avons mis nos maigres bagages dans le grand coffre.
mark est rentré le premier. mais moi, les doigts agrippés à l'encadrement de la portière, il m'était impossible de détacher mon regard du soleil. là où j'allais, les levers de soleil étaient sûrement très différents. ce serait toujours le même soleil mais là-bas, je ne retrouverai plus jamais les feuillages verdoyants et ces aquarelles si particulières. là-bas, tout allait changer... et je ne voulais pas que ça change.
- hyuck ?

ah oui c'est vrai. avancer vers l'avenir. ne pas le laisser m'abandonner. rester près de mark.
après tout, il n'y avait plus que ça qui comptait à présent. il était tout ce qu'il me restait maintenant.
je suis entré dans la voiture. la portière a claqué et nous sommes partis, abandonnant ce que nous avions créé tous les deux.
la tête appuyée contre la vitre, j'espérais juste que nous n'avions pas fait tout ça pour rien.

le trajet vers l'aéroport avait été trop long. nous avions été coincés dans les embouteillages et le talon de monsieur kim claquant nerveusement contre le sol angoissait mon cœur, qui battait désagréablement fort dans ma poitrine. enroulée dans celle de mark, ma main moite était parfois traversée de soubresauts et aucune caresse ne pouvait calmer la terreur liquide qui roulait dans mes veines. à travers la vitre, je regardais passer ce paysage artificiel qui avait été le décor de ma tragédie de vie.
parce qu'aujourd'hui, je m'en rendais compte une fois de plus : ma place n'était pas aux côtés du bonheur.

et dans ce moment de doute, j'ai repensé à ma mère. à ses cheveux foncés, à sa peau mate, à ses iris clairs. je redessinais son sourire que je n'avais jamais connu, je réinventais son rire franc et je voulais m'acharner à croire que si elle avait été là, elle m'aurais offert sa joie avec de la fierté plein les yeux. parce que tout le monde ne pouvait pas être contre moi.
pas vrai ?

enfin, après des siècles de route, l'aéroport s'est dressé devant nous, cachant le soleil et dispersant sa lumière tout autour de lui.
j'avais toujours aimé prendre l'avion. déjà petit, quand mon père m'emmenait avec lui, ma partie préférée du voyage était le vol. en riant, il me laissait la place au hublot et des heures durant, j'observais avec fascination les nuages qui volaient autour de nous. je me sentais grand, léger comme un oiseau prêt à s'envoler aussi loin qu'il le souhaite.
après que mon père soit devenu PDG, il ne m'emmenait plus avec lui. je le regardais simplement partir loin de moi et peu à peu, j'ai davantage regretté les vols que sa présence à mes côtés.

la route que nous empruntions était déserte. les autres voyageurs étaient sur le devant de l'aéroport mais nous, nous n'allions pas là. nous allions directement rejoindre l'avion de monsieur song, garé dans un hangar à l'écart de l'aéroport. notre but se reprochait de nous à chaque seconde et l'espoir d'échapper à ce que nous avait juré notre fuite brillait de plus en plus dans les yeux stellaires de mark, qui s'accrochait à la main comme à une bouée de sauvetage. il avait peur. mais son sourire me murmurait déjà notre réussite. ses lèvres roses me soufflaient déjà à quel point il était fier d'avoir vaincu le monde. et malgré tout, une minuscule lueur d'espoir a germé au fond de moi. parce que je voulais y croire aussi. juste une fois, pour savoir ce que ça faisait, d'avoir espoir.

la voiture s'est arrêtée juste devant l'entrée du hangar. monsieur kim est descendu et nos corps tracassés l'ont suivi. j'ai frissonné, sûrement à cause de la brise fraîche qui s'engouffrait et tournoyait dans l'immensité du garage. on a sorti nos quelques bagages du coffre. mes mains tremblaient tant que j'avais du mal à agripper comme il le fallait les bretelles de mon sac. mark, le corps penché près du mien, à la silhouette brisée, me murmurait silencieusement des mots rassurants qui tremblaient un peu trop pour sonner vrais. planté un peu plus loin, monsieur song était encore au téléphone et son pied claquait nerveusement contre le sol. lorsque nous sommes arrivés à ses côtés, il a vite raccroché.

- le pilote n'est pas encore là. nous allons encore devoir attendre, alors que nous n'avons vraiment aucune seconde à perdre ! décidément, vous n'avez pas de chance, les garçons.

ー le blues du businessmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant