***
Paris, treizième arrondissement
Hôpitaux Universitaires Pitié Salpêtrière
Service de Gynécologie Obstétrique
10h24
La patiente frissonna lorsque le gel échographique entra en contact avec son ventre rond.
A l'aide de la sonde, Estelle étala la substance sur la surface abdominale et observa l'écran d'un air absent.
Elle n'était plus comme avant.
Tout, depuis son enlèvement, avait changé...
Elle soupira et se concentra sur l'image qui se formait en contraste.
- Là, c'est une fille, annonça-t-elle d'une voix détachée en pointant le côté supérieur de l'écran.
La patiente et sa sœur poussèrent un cri d'excitation qui fit grimacer Estelle.
- Et ici, c'est une autre fille, ajouta-t-elle après quelques secondes.
La réaction ne se fit pas attendre.
- Oh, je n'arrive pas y croire ! hurla la soeur enthousiaste. Des jumelles, tu te rends compte ? J'en veux une ! T'es obligée de m'en donner une, Mathilde !
- Oh mon Dieu, c'est dingue ! rétorqua Mathilde.
Les deux jeunes femmes poursuivirent, pendant quelques minutes, leur épanchement de bonheur ponctué de rires hystériques et de cris à en percer les tympans.
- Mesdames ! cria Estelle en perdant patience. Nous sommes dans un hôpital, ici. Merci de parler moins fort.
Le ton sur lequel elle s'était exprimée fit écarquiller les yeux des deux sœurs.
Un silence gêné s'installa et la patiente rajusta ses vêtements en jetant des regards contrariés vers Estelle.
Cette dernière n'en avait que faire. Elle chargea l'externe qu'elle formait de s'occuper de l'impression des images, puis elle les tendit à sa patiente avant de programmer avec elle le rendez-vous pour la dernière échographie.
Ses journées se ressemblaient toutes. Elle commençait son service avec la boule au ventre, effrayée à la simple idée de sortir de chez elle.
Lorsqu'elle arrivait à l'hôpital après sa demi-heure de trajet en transports en commun, elle se dirigeait vers les vestiaires. Elle ne saluait plus personne, s'était isolée de ses collègues et ne savait pas si elle allait pouvoir supporter tout cela encore bien longtemps.
Et elle faisait tout pour éviter de croiser Simon...
Il avait été d'un soutien sans faille, mais il ne comprenait pas.
Il ne savait pas.
En sortant de la pièce, elle jeta un coup d'œil à Imane, son externe. Elle ressemblait à la psychothérapeute qu'elle voyait une fois par semaine depuis un mois.
Elle se rappela la séance très difficile qu'elle avait eu deux jours plus tôt.
Elle ferma les yeux en entendant dans sa tête l'écho de sa propre voix brisée.
- Que voulez-vous dire par « observée » ? avait demandé la professionnelle.
Un frisson avait parcourut Estelle.
- C'est ici, avec nous, en ce moment même, avait-elle répondu.
Les sourcils froncés, la psychothérapeute avait continué de noircir son calepin.
- Qu'est-ce qui est ici, Estelle ?
Que répondre ?
- Quoi d'autre, Estelle ? avait-t-elle insisté.
Jamais elle ne révélerait le reste. Elle finirait dans un asile psychiatrique à coup sûr. Elle ne pouvait parler des voix à personne. Personne.
Un sanglot était monté dans la gorge d'Estelle et son visage s'était contracté. Son corps avait été secoué de spasmes silencieux mais aucune larme n'était venue humidifier ses joues pâles et creuses.
Son frisson s'était intensifié, ses cheveux s'étaient dressés sur sa nuque.
Elle secoua la tête en revenant au présent et sa journée se passa comme dans un brouillard.
Le soir venu, elle était devant la télévision, lorsque Simon rentra du travail.
Il lui jeta un regard réprobateur en la voyant affalée sur le canapé, l'air négligé et abattu.
- Estelle..., soupira-t-il.
Celle-ci en avait marre. Marre de devoir toujours aller bien.
- Quoi, Simon ? fit-elle d'un ton agressif. J'ai plus le droit de regarder la télé, maintenant ?
Il s'avança au milieu du salon.
- Bien sûr que si, mais...regarde-toi. Tu ne peux pas continuer comme ça.
« Fais le taire ! »
Elle se figea. Ça recommençait.
« Tu as des pouvoirs, sers-t-en ! »
- Tais-toi ! hurla-t-elle ne sachant à qui elle s'adressait. Tais-toi !
La voix continuait à lui donner des ordres.
Simon poursuivit ses reproches.
Elle se boucha les oreilles.
Elle ne voulait plus rien entendre.
Plus.
Rien.
Entendre.
Ne plus rien entendre.
Ne plus rien...
- ...Entendre ! hurla-t-elle. Ne plus rien entendre !
L'écran de télévision se fissura et une étincelle en jaillit.
Estomaqué, Simon regarda l'écran puis Estelle, essayant de trouver une explication. D'empêcher son cerveau de faire des liens.
Il esquissa un pas vers sa compagne.
Mais il se retrouva soudain le dos collé au mur, poussé par une force invisible.
Juste avant que cela ne se produise, Estelle avait levé les mains pour le dissuader d'avancer.
***
VOUS LISEZ
À Crocs T1 Le Sort Brisé [EN PAUSE]
VampirosEntre un vampire tueur en série à Paris, et un trafic de drogue qui éclate à New York, Nina va devoir redoubler d'ingéniosité pour venir à bout de ces enquêtes. Alors que sa rencontre avec Ezio, son nouveau coéquipier, bouleverse toutes ses croyanc...