Finalement, il fut décidé que ce serait Carmen qui conduirait Charles dans une clinique privée qui se trouvait à cinq minutes d'ici. Il y serait rapidement examiné, sans devoir attendre un siècle aux urgences.
Ils partirent peu de temps après Mike, et soudain, je me retrouvais seule, à côté du comptoir.
Sans tenir compte des messes basses qu'échangeait Géraldine en français avec sa collègue, dont j'avais oublié le nom -elles ne cessaient de jeter des regards dédaigneux dans ma direction -, je remis la chaise à sa place.
En me dirigeant vers mon bureau au bout du couloir, à droite, je pris conscience des regards pesants des autres employés.
La scène qui s'était jouée quelques minutes auparavant, me paraissait si irréelle désormais, que j'en avais complètement oublié leur présence.
La pièce me servant de bureau n'était pas très grande. La minuscule fenêtre laissait la lumière vive de ce jour d'avril, percer à travers les stores ouverts, juste à côté de mon bureau.
Celui-ci ressemblait d'ailleurs davantage à une table d'écolier qu'à un véritable bureau de travail.
Un écran d'ordinateur de modèle ancien y était posé avec clavier et souris.
Mes stylos étaient bien rangés et tous mes dossiers classés.
Rien n'était de travers. Tout était parfaitement à sa place. La poussière était toujours faite, le sol toujours propre.
Mon diffuseur d'huiles essentielles se déclencha au moment où je pénétrai dans la pièce, et un doux parfum d'agrumes envahit l'air, masquant peu à peu l'odeur de renfermé qui persistait malgré plusieurs heures d'aération quotidienne.
« J'ai encore oublié de l'éteindre...»
Je me soulageai du poids de mon sac en le déposant à côté de mon bureau avant de m'affaler sur mon fauteuil en cuir préféré, un peu plus loin.
Et bien, quelle matinée ! Moi qui espérais que mon retard passerait inaperçu...
Le fauteuil sur lequel j'étais avachie se trouvait en face d'un meuble à étagères sur lesquelles étaient entreposés des dossiers de missions précédentes, auxquelles je n'avais pas participé.
A mon arrivée, trois mois plus tôt, une des étagères avait été vidée pour me faire de la place.
Je m'étais contentée d'y déposer un sac en plastique contenant mes bottes de travail, et un cadre avec une photo sur laquelle figuraient ma grand-mère au milieu, ma sœur à sa gauche, et moi-même à sa droite.
Ma grand-mère, que nous avions pris l'habitude d'appeler, depuis toutes petites, Mamie T. -pour Theresa -, était une femme élégante et vive.
Le temps n'avait pas gâché la grâce de ses traits fins et sa peau diaphane n'était que très légèrement ridée, conséquence d'une hygiène de vie irréprochable.
Ses yeux bleu ciel souriaient à l'objectif et de ses bras graciles, elle nous entourait, ma sœur et moi, par la taille.
Je me souvenais du jour où cette photo avait été prise. C'était l'été dernier près du pommier, dans le jardin de notre maison victorienne, à Salem, Massachusetts.
Jen, ma petite sœur âgée de 15 ans à l'époque, avait réussi à convaincre ma grand-mère de la laisser assister à une fête organisée par l'une de ses camarades.
Bien sûr, elle ne m'en avait pas parlé.
Je savais ce qui se passait lors de ces fêtes ; alcool, sexe,...drogue. Je ne voulais simplement pas que ma sœur se retrouve droguée et violée avant d'être jetée comme une merde, voire pire...
Lorsque je l'avais découvert, j'avais été hors de moi, hurlant qu'elle n'irait pas, qu'elle n'était qu'une cachottière et une manipulatrice qui abusait de la gentillesse de grand-mère.
Ma sœur, loin d'avoir sa langue dans la poche, avait crié en retour et claqué bon nombre de portes.
Notre grand-mère, voulant à tout prix nous réconcilier, nous avait obligées à prendre une photo et « à sourire, surtout ! ».
La photo avait été prise, certes, mais nos sourires avaient été forcés. Il n'y avait qu'à regarder de plus près celui de ma sœur, pincé, et le mien, tirant vers la droite, signe que je n'étais pas sincère.
J'avais malgré tout décidé d'encadrer cette photo et de l'emporter avec moi, car c'était la plus récente de nous trois réunies.
Poussant un soupir nostalgique, je pris conscience que cela faisait au moins dix minutes que j'étais assise. Je me relevai à contre cœur et me dirigeai vers mon sac pour y prendre mon téléphone. Il fallait que je prenne des nouvelles de Charles.
Encore une fois, je mis une éternité avant de retrouver mon téléphone dans l'espace infini de mon sac.
Je me souvins soudain que mon badge était resté en possession d'Ezio.
- C'est pas vrai, pestai-je.
Je pris mon téléphone et m'installai à mon bureau.
J'envoyai d'abord un message à Carmen :
ALORS ? CA SE PASSE COMMENT ?
Puis je sortis le papier que j'avais dans la poche. J'essayais encore de déchiffrer les nombres qui étaient inscrits, lorsque mon téléphone vibra. Carmen m'avait répondu :
ILS LUI POSENT UN PLÂTRE. JE TE RACONTE PAS LA TÊTE QU'IL FAIT :-)
Je souris à cette idée.
Un autre message :
TIENS, REGARDE, JE L'AI PRIS EN PHOTO HAHAHA
J'ouvris le fichier accompagnant le message. Une photo s'afficha. On y voyait Charles, assis tout au bout d'une table d'auscultation, les sourcils férocement froncés et un majeur dressé en direction de l'objectif.
J'émis un petit rire et retournai au déchiffrage de la pierre de Rosette...
Quelques minutes plus tard, convaincue d'avoir enfin réussi à identifier le numéro de téléphone en entier, je l'enregistrai dans mon répertoire sous « Ezio » -sait-on jamais -, puis commençai à taper un message à son intention :
BONJOUR, C'EST NINA. VOUS AVEZ EMPORTÉ MON BADGE AVEC VOUS...
Voilà.
Que pouvais-je dire d'autre ?
Agacée, je reposai mon téléphone et mis en route l'ordinateur.
J'hésitais encore sur le fait d'aller me chercher le café tant attendu depuis mon réveil, quand mon téléphone vibra.
Mon cœur fit un bond.
Je pris le téléphone et le déverrouillai ; c'était Carmen :
ON A BIENTÔT FINI. ON VA ACHETER À MANGER AU RETOUR, TU VEUX QUELQUE CHOSE ?
Partagée entre déception -sentiment que je ne voulais pas analyser -et gratitude de ne pas avoir à demander un badge de secours à Géraldine pour aller me chercher à manger, je lui répondis rapidement :
OUI, COMME D'HAB, MERCI !
Mon téléphone vibra une nouvelle fois.
Un message d'Ezio, selon l'écran.
Un tantinet inquiète de ce que j'allais lire, j'ouvris le message :
JE T'AVAIS DIT QUE JE LE GARDERAIS.
Mes yeux sortirent pratiquement de leurs orbites en lisant cela. Et nervosité disparut aussitôt. Sérieusement, comment me comporter avec un personnage pareil ? Je ne savais même pas quoi répondre.
Je tapai tout de même :
ET COMMENT JE FAIS POUR SORTIR, MOI MAINTENANT !?
J'appuyai sur « ENVOYER » et lançai mon téléphone sur le bureau.
Cet homme allait me rendre folle ! J'espérais vraiment ne pas avoir à le croiser régulièrement lors de mon séjour en France.
Je préférais encore passer du temps avec Géraldine et sa bande, plutôt qu'avec lui...
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À Crocs T1 Le Sort Brisé [EN PAUSE]
VampiriEntre un vampire tueur en série à Paris, et un trafic de drogue qui éclate à New York, Nina va devoir redoubler d'ingéniosité pour venir à bout de ces enquêtes. Alors que sa rencontre avec Ezio, son nouveau coéquipier, bouleverse toutes ses croyanc...