Chapitre 28 - Apnée

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Un.

Lorsque j'avais cinq ans, j'avais failli mourir noyée.

Trois.

C'était une chaude après-midi d'été, et mes parents avaient décidé de faire un pique-nique près d'un lac qui se trouvait à quelques minutes de la maison que nous occupions au Texas, à l'époque.

Je ne me souvenais pas de grand-chose. Il m'arrivait parfois de me rappeler la sensation de mes poumons sur le point d'exploser ou encore celle de l'eau faisant son chemin brûlant à travers mes voies respiratoires.

Mes parents avaient toujours refusé d'en reparler. Cet événement avait été beaucoup trop traumatisant. A chaque fois que j'avais le malheur de poser une question, ma mère devenait aussi blanche qu'un linge et mon père me fusillait du regard.

Les journées à l'hôpital qui avaient suivi avaient plongé ma mère dans une dépression pendant plusieurs années...Alors je pouvais comprendre.

Seize.

J'avais donc décidé de taire mes interrogations ainsi que l'habitude que j'avais prise.

Dix-huit.

Celle de plonger la tête dans l'eau et de retenir ma respiration le plus longtemps possible.

Étonnement, contrairement à mes parents, cet incident ne m'avait pas tant marquée. J'en étais totalement détachée, comme s'il appartenait au passé d'une autre. En fait, je cherchais constamment à revivre les sensations de ma presque noyade. Mon visage qui se tendait sous la pression, ma poitrine qui se serrait.

Ça me permettait de me remettre les idées en place.

Vingt.

Surtout après une cuite.

Vingt-et-un.

A travers l'eau je remarquai que la luminosité baissait. Le soleil se couchait.

Depuis combien de temps étais-je dans cette baignoire ?

Vingt-quatre.

Le visage de Jen apparut et sa voix me parvint, étouffée.

Sortant la tête du bain, je repris mon souffle graduellement, tandis qu'un flot incompressible de mots sortait de sa bouche.

- ...de l'eau, disait ma sœur. Depuis tout à l'heure, je t'appelle !

Lui offrant mon expression la plus agacée, je ramenai mes genoux vers ma poitrine afin de préserver mon intimité.

Ses yeux bleus s'illuminèrent et un sourire ironique étira le coin de ses lèvres.

- J'ai la même chose que toi, je te rappelle. Et on mange. Tout de suite !

Sur ces derniers mots, elle partit en refermant la porte derrière elle.

Nous nous étions très peu parlées depuis mon retour aux Etats-Unis. Ce qui s'était passé avec ma grand-mère n'avait jamais été remis sur le tapis.

Il aurait fallu pourtant.

J'aurais dû demander des explications sur les conditions de l'incident. Mais j'avais également besoin de savoir ce qui allait se passer avec elle maintenant...Comment gérer ce type de maladie ? Lui faudrait-t-il tout écrire pour ne pas oublier ?

Et si elle se perdait de nouveau ?

En sortant de l'eau, la tête ailleurs, mon pied mouillé glissa sur le carrelage et je me rattrapai in extremis, mais ma hanche eut le temps de heurter le bord de la baignoire diffusant un pic de douleur le long de ma jambe.

À Crocs T1 Le Sort Brisé [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant