Chapitre 31 - Et...action !

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«Règlement de compte ou mouvement faschiste ?»

Irina jeta un énième coup d'œil à ses fiches.

Elle n'était pas du tout à l'aise avec le fait que ce soit quelqu'un d'autre qui lui prépare ses guides pour ses émissions. Elle aimait poser de réelles questions, analyser les différentes situations et faire ses propres recherches. Mais ces derniers temps, c'était de plus en plus courant. La direction avait trop peur des dérapages...

Le sentiment de ne plus être journaliste, mais simple présentatrice - et parfois actrice - lui devenait insupportable.

Avec un soupir discret, elle reporta son attention sur les invités de l'émission.

- A l'antenne dans trente secondes ! lança Molly dans l'oreillette.

Autour de la table,la tension était palpable.

Le débats'annonçait houleux. C'était le tout premier après l'attentat qui avait eu lieu à quelques dizaines de mètres des locaux du FBI, à Boston.

Son collègue,Lewis, s'était frotté les mains quelques minutes plus tôt : « On va exploser l'audimat ! » s'était-il enthousiasmé « Ça va être fantastique ! »

Ce dernier avait pour l'heure l'air de se délecter du débat à venir - et des éventuels heurts d'opinions.

- ...trois,deux, un !

Très vite après la présentation robotique faite par les deux journalistes, les deux principaux invités s'opposèrent violemment.

D'un côté, se trouvait Tyler Walsh, sociologue et écrivain. Ses cheveux grisonnants lui donnaient des airs d'Einstein, mais Irina trouvait qu'il débitait beaucoup trop de bêtises pour avoir le même QI que son sosie.

- Définitivement pas un règlement de compte ! vociféra-t-il.

Son opposant, James Morgan, et accessoirement ancien Commissaire de Police devenu Conseiller en sécurité, lança un sourire ironique à Tyler. Le regard haineux de celui-ci ne lui faisait pas lever un poil.

Il faillit lui lancer un clin d'œil, puis se ravisa.

- Monsieur Walsh, commença-t-il en croisant les mains et en appuyant les coudes sur la table, vous savez pertinemment jusqu'où peuvent aller des trafiquants de drogue et d'armes lorsqu'ils veulent assouvir une vengeance...

- Vous vous fichez de moi, Morgan ? Je sais parfaitement que vous avez toujours des contacts au sein de la Police de Boston. Vous allez me dire que vos anciens collègues ne vous ont pas tenu au courant du suspect arrêté...

Cette déclaration créa une véritable agitation au sein du public venu assister au débat télévisé.

Le cœur battant, Irina tenta de calmer les esprits. Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire ?

Les deux hommes, en revanche, ne semblaient nullement affectés par la situation.

Tranquillement,James se repositionna sur son tabouret et adopta une posture détendue.

- Ce n'est pas le sujet de notre débat, fit-il.

- Ah non ?répliqua le sociologue. Le fait que le suspect ait porté un sac-à-dos rempli d'explosifs n'est pas notre sujet, vous dites ?

La situation dérapait complètement.

- Monsieur Walsh, intervint Irina après avoir rapidement parcouru la fiche devant elle, des témoignages en notre possession, ainsi qu'un rapport de la Police de Boston, affirment qu'un conflit persiste depuis plusieurs semaines entre deux gangs de la ville. Plus précisément celui de Sumerville et celui se trouvant plus au sud de Boston. Le premier aurait enlevé l'un des membres du second, et on ne sait toujours pas ce qu'il est advenu de cette personne...

Mais le sociologue rejeta sa tirade d'un méprisant geste de la main.

Jetant un regard paniqué à son collègue, elle constata que celui-ci n'était pas aussi perturbé qu'elle. Fronçant les sourcils, elle entendit à peine le « Pub ! » lancé par Molly.

Les invités quittèrent précipitamment le plateau, tandis qu'elle entraînait Lewis en coulisses.

- C'était quoi, ça ? Pourquoi je n'étais pas au courant pour le suspect ? Tu le savais, toi ?

Lentement, son collègue déballa un chewing-gum et se mit à le mâcher.

- Moi non plus, avant que je ne lise les fiches.

- On a pas dû avoir les mêmes fiches ! s'exclama-t-elle.

- Mais on s'en fiche du suspect ! Ces deux gaillards s'en sont très bien sortis. Pas la peine de paniquer, ils ont déjà répété et pour l'instant, ça marche comme sur des roulettes.

Irina était abasourdie. Elle détailla la tenue de son interlocuteur. Il pouvait très bien se payer des costumes hors de prix, il lui ferait toujours l'effet d'un péquenot.

D'un péquenot qui en savait plus qu'elle.

- Depuis quand on répète un débat ?

Cette fois, ce fut au tour de Lewis de lui jeter un regard incrédule.

- Mais où est-ce que t'as appris à être journaliste ? Au fond d'une grange du Wisconsin ?

Il la contourna mais elle le retint par le bras.

- C'est de la manipulation, Lewis.

Il la regarda.

- C'est de l'information.

Puis il se détourna et poursuivit son chemin.

- On reprend l'antenne !

Déprimée, Irina se dirigea vers le plateau... Elle se figea en croisant James et Tyler,près de la machine à café. Ils riaient ensemble et discutaient à voix basse.

Atterrée, elle sortit des coulisses.

Sous les lumières aveuglantes, et sous les regards des spectateurs, elle comprit alors quelque chose : elle n'était qu'un pion. Sa surprise avait été préparée, méticuleusement programmée. Tout comme l'avait été le débat et la fausse opposition de ces deux imposteurs.

Elle avait peut être appris le journalisme au fin fond d'une grange, mais elle avait une déontologie.

L'histoire du suspect était peut être totalement fausse. Ou peut être vraie. Mais une chose était sûre : le choix de l'annoncer de manière si désinvolte au grand public n'était pas anodin...

Alors qu'elle reprenait sa place, elle avisa le public. Leur surprise semblait être de l'histoire ancienne. Et alors que l'antenne reprenait, certains froncèrent subitement les sourcils.

Combien d'entre-eux étaient-ils donc comédiens ?





À Crocs T1 Le Sort Brisé [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant