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C'était étrange. J'avais déjà vu Taehyung torse nu, et il ne me semblait pas que ses tétons pointaient naturellement tout le temps. De plus, ça m'étonnait beaucoup puisque la température de mon appartement était maintenue à 23 degrés, autant dire qu'il ne faisait ni chaud, ni froid. Juste bon. Toutefois, je décidai de ne pas insister davantage, cette conversation paraissait futile. Il allait juste me prendre pour un mec perché, une énième fois.

À l'aide d'un beige plus ombré et d'un pinceau modérément large, je nuançai encore le creux de ses abdos bien tracés.

Son corps était fait pour être peint.

C'était très prenant de le reproduire. Je n'avais jamais pris le temps d'observer réellement ses courbes, pourtant le visuel était plutôt plaisant. Tout son ensemble était plaisant à vrai dire, mais ça ne datait pas d'aujourd'hui.

Mes orbes concentrées remontèrent jusqu'à son visage à l'expression parfaitement neutre. Étudiant en mode, il savait déjà quel air adopter lors des défilés et il le maniait avec un tel professionnalisme que c'en était bluffant.

Taehyung ne riait même pas de la situation. Remarquez, moi non plus.

On se contentait de se regarder, yeux dans les yeux. Les siens ne semblaient rien exprimer, quant aux miens, ils se faisaient plus incertains. Afin de ne pas instaurer plus de malaise -quoique pour lui, le mot malaise n'existait pas-, je me munis d'un pinceau à la pointe ultra fine et j'esquissais les divers détails de son visage. Ce dernier étant incroyablement symétrique, c'était plutôt facile de les représenter.

Soudain, un fait me sauta aux yeux.

Qui allait pouvoir voir cette œuvre ?

Seulement mon professeur ou les élèves également ?

Il arrivait que certaines œuvres produites par nous-mêmes soient affichées via le projecteur, dans l'amphithéâtre bondé d'étudiants. Si je reproduisais son visage à la lettre, ne serait-ce pas comme vendre son identité ? Pas qu'il était célèbre, mais ça ne saurait tarder du fait de son futur métier de mannequin.

D'autant plus que nombre d'étudiants prenaient en photo les œuvres afin de « les immortaliser » et de « les garder en souvenirs ». Ça pouvait très bien tomber entre de mauvaises mains. Et puis, les réseaux sociaux pouvaient s'avérer être des armes fatales.

En y réfléchissant, représenter pointilleusement son visage était une idée médiocre et à risques. Mais en même temps, je ne me voyais pas créer un autre visage sur le corps peint de Taehyung. De mon point de vue, ça serait malsain et dérangeant.

Un long soupir m'échappa, qui attira bien évidemment son attention.

« Bon Tae, j'ai un p'tit problème.

Il revêtit enfin son expression faciale dite quotidienne, avant de me regarder avec un intérêt non-feint.

- Je t'écoute.

- En fait, le prof peut projeter dans l'amphithéâtre une œuvre qu'il a appréciée et si j-jamais la mienne est choisie... Je n'arrivais plus bien à m'exprimer, c'était inhabituel. C'est pour ça q-que j'hésite énormément à représenter ton visage, il n'y aurait plus aucun anonymat.

Il fit mine de réfléchir quelques instants, qui me parurent bien longs. Ses doigts pianotaient sur le tissu de mon canapé, en un rythme régulier qui accompagnait son raisonnement.

Quant à moi, je posai mon pinceau sur une planche en bois déjà tapissée de multiples couleurs sèches, preuves de son usage.

- Que dirais-tu de coller un gros smiley sur ma face ?

- Mais quelle idée de merde ! je riais à gorge déployée, imaginant bien le rendu final.

- Avoue t'es jaloux parce que tu n'y avais pas pensé, plaisanta-t-il tout en me souriant.

- Quel Hyung désastreux...

- Attention, le Hyung désastreux va finir par te punir pour ton insolence désastreuse, sa voix rauque résonna dans la pièce tandis qu'il me fit les gros yeux.

- Je sais ! Je vais faire un effet de floutage sur ton visage ! Non, mieux, je vais juste colorier et peindre le fond, sans rien d'autre. En clair, il y'aura juste le contour de ta tête, mais sans ton nez, sans ta bouche, sans tes yeux, sans t-

- Okay okay j'ai compris. Et les cheveux tu comptes les peindre ?

- Tu en penses quoi ?

- J'ai peur de ressembler à un poireau si c'est le cas.

Un ricanement machiavélique m'échappa alors que je repris la parole.

- Très bien, donc je vais peindre tes cheveux. Mais t'inquiète pas, tu ressembles déjà à un poireau dans la vie réelle donc ça ne changera pas grand-chose.

- Je te rappelle juste que je fais de la boxe, il lâcha mine de rien tandis que mon visage se tordit en une grimace. Il s'en rendit compte. Détends-toi, tu sais bien que je ne te ferais jamais de mal, il affirma cette fois-ci avec douceur, attentif.

En vérité, je n'avais absolument pas eu peur de lui. C'était mon meilleur ami depuis belle lurette, et je le connaissais assez pour savoir qu'il ne me frapperait jamais. Mon but avait juste été de reprendre l'avantage, il avait toujours fait attention à moi et c'était assez facile de faire ressortir son côté protecteur. Que j'appréciais beaucoup, au passage.

Même si on se chamaillait beaucoup.

- Tu mens ! Quand tu me chatouilles, ça me fait beaucoup de mal, braillai-je sans scrupule en le pointant violemment d'un doigt accusateur.

- Tu n'as qu'à pas être chatouilleux, c'est de ta faute.

Je lui fis un énième puissant doigt d'honneur, n'ayant rien d'astucieux à répliquer. Il a toujours eu réponse à tout, toujours le dernier mot à tout, et ce n'était pas aujourd'hui que quelque chose allait changer.

- Ne perdons pas plus de temps, replace-toi correctement qu'on poursuive la séance. »

Comme prévu, je brouillai donc son visage d'un beige similaire à sa couleur d'épiderme, à l'aide d'un scalpel et d'un mélange de pigments blancs, beiges et marron clair. Forcément, ça créait un décalage important entre sa réelle apparence et l'œuvre, mais en même temps ça ajoutait un peu de piment au tableau: un air mystérieux émanait déjà de cet homme nu, sans visage. D'ailleurs, j'avais déjà une petite idée concernant le titre que j'allais lui donner.

Mes prunelles louchèrent ensuite sur sa tignasse châtain. Je la fixais durant quelques secondes avant de m'approcher de son propriétaire à grandes enjambées.

Ma main mit vivement sa chevelure en pagaille, sous ses quelques grognements hostiles qui ne me rebutèrent en aucun cas. Si de loin Taehyung pouvait faire peur du fait de sa carrure et de son regard perçant, en apprenant à le connaître, il s'avérait être un gros nounours presque inoffensif.

Mon pinceau standard trempa dans un mélange de pigments adéquats, puis je traçai ses mèches châtain malicieuses dans des gestes impulsifs et brefs. C'était idéal pour instaurer un élan de sauvagerie sur la peinture. L'atmosphère sera à la fois sensuelle et farouche, j'espérais que ça plaise à mon professeur.

Seulement voilà, avant de songer à ma note, il fallait encore que je peigne cet endroit-là.

⎡Arabesques intimes⎦ ʈkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant