16. LUCY

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Je ramasse lentement les morceaux de tissus qui constituaient auparavant mes vêtements. Je ne pleure pas. À quoi bon ? Oui, j'ai pleuré avant, m'imaginant ce qui allait se passer tandis qu'ils commençaient à m'arracher mes vêtements. Oui, j'ai pleuré pendant l'acte, alors que je leur hurlais mon désaccord. Mais là, je ne pleure pas. Cela ne sert plus à rien et puis... Je crois ne plus rien avoir à pleurer dans tout mon corps. Et je ne suis pas encore décidé à pleurer des larmes de sang. D'ailleurs en parlant de sang...

Avec un morceau de mon tee-shirt déchiré, j'essuie doucement le liquide vermeil entre mes cuisses. On m'avait déjà dit que la première fois ça faisait mal. On m'avait déjà dit que l'on pouvait saigner la première fois. On m'avait déjà dit que la première fois n'était jamais la meilleure. Sauf que voilà, ce n'était pas ma première fois. Ma première fois depuis trois ans, certes, mais je n'étais pas vierge. Et voilà comment reprend ma vie sexuelle. Avec des inconnus. Plusieurs inconnus. Avec violence, injures, moqueries. Et sans mon consentement.

Je lève lentement le reste de mes vêtements devant mes yeux. Au moins, une chose est certaine, je ne vais pas au lycée aujourd'hui. Voyons le côté positif des choses, je n'avais absolument pas envie d'y aller. Mais je n'étais pas prête à me faire... Pour ça, juste pour ça.

Mes yeux me piquent et pourtant, rien ne dévale le long de mes joues. J'avais raison, je n'ai plus rien à pleurer. Mais maintenant, je ne peux pas rester dans cette ruelle toute ma vie. Malheureusement, la moitié de mes vêtements sont déchirés. Le seul survivant est mon manteau qui est assez long. Je déchire deux longues bandes dans mon pantalon de toile. La première me sert à maintenir ma poitrine qui est rougie et tachetée d'ignobles suçons et qui, en étant encore bien sensible, risque de rapper sur l'intérieur de mon blouson et de me faire souffrir. Je noue la seconde bande entre mes cuisses et enfile mon manteau. Je jette mes sous-vêtements en lambeaux et mon tee-shirt déchiré et tâché de sang ainsi que le reste de mon pantalon dans une benne à ordure qui se trouve dans la ruelle. Je me dis que j'ai de la chance que mon manteau soit intact, j'aurai eu l'air fine avec seulement des bouts de tissus pour cacher mes parties intimes. Je tente d'imposer cette image de moi faisant son coming-out dans cette tenue mais malgré tous mes efforts, je n'arrive même pas à esquisser l'ombre d'un sourire. Et pourtant, j'ai essayé, j'ai essayé de rire. Mais, sans crier gare, je m'effondre, je tombe comme si on venait de me couper l'herbe sous les pieds. Mes jambes ne parviennent plus à me supporter, je ne peux plus tenir debout. Merde, merde, merde, debout Lucy, debout... Je ne peux pas, je ne dois pas rester là. Je dois me lever. Je dois marcher. Je dois rentrer chez moi. Parce que j'ai essayé de rire, parce que j'ai essayé de faire comme si tout allait bien, je dois me lever, je dois marcher, je dois rentrer chez moi. Parce que j'ai essayé de rire. Parce qu'on dit que le rire est le remède à tous les maux. Mais j'ai été assez crédule pour croire au pouvoir du rire. Mais il y a certains maux que le rire ne soigne pas. Qu'il ne soigne pas du tout. Voir qu'il aggrave. Et je pense que mes maux font partis de ceux qu'on ne soigne pas avec le rire et qui les aggrave, même.

Je prends appui sur le mur de l'immeuble qui a été témoin de mon malheur. Je tente de me lever. Et je me lève. Je me lève alors que mes jambes n'ont plus la force de me porter et que mon entre-jambe me fait atrocement mal. Je commence à marcher, retenant un gémissement de douleur à chaque pas. Mais bon, qu'est-ce que je m'imaginais aussi ? Que cela serait facile de me relever après ça ? Que cela passerait vite ? Il ne fallait pas que je me fasse d'illusions.

Rien n'est plus long à guérir que ces blessures profondément ancrées. Encore plus profondément que la tromperie de Natsu. Tout est parti. Tout a volé en éclats. En si petits et si fins éclats que je n'arrive même pas à les compter et encore moins à les rattraper. Mais aussi, comment voulez-vous rattraper les fragments de mes souvenirs, de mes sourires, de ma joie, de mon innocence ?

Maman... Tu peux me dire pourquoi ? [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant