24. GREY

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Tous les jours. Je reviens tous les jours à l'hôpital. Je m'assois sur les sièges de la salle d'attente, je me lève et tourne en rond, je vais chercher un café à la machine, je me ronge les ongles, je vais harceler l'infirmière à l'accueil de pleins de questions, je me rassois, je feuillète un magazine people qui n'est absolument pas intéressant, je vais manger un bout à la cafétéria de l'hôpital. Et je recommence la même chose l'après-midi.

Et lorsqu'elle n'est pas en train de subir des centaines d'examens, je peux quelques fois aller lui rendre visite. Dans ces moments-là, je lui tiens simplement la main et, du bout du pouce, je caresse les multiples cicatrices qui jonchent son avant-bras.

C'est moi qui ai retrouvé Lucy, dans sa chambre. J'étais vraiment inquiet après son appel. Je me souviens m'être jeter sur elle en hurlant son nom, je me souviens du sang qui coulait sur ses poignets et sur ses cuisses. Je me souviens de la boîte de médicaments qui reposait à ses côtés, près de sa main. Je me souviens de son teint blafard, de ses yeux grands ouverts qui me fixaient complètement vides. Je me souviens d'avoir taper le numéro des urgences, d'avoir indiqué la situation, d'avoir entendu qu'on envoyait une ambulance immédiatement. Et puis... Ensuite, tout est flou. Je revois juste la lumière bleutée des gyrophares, les éclats de voix des ambulanciers. Et surtout, je revois par flash le corps frêle de Lucy dans ce grand lit avec tous ces appareils respiratoires ou autres tandis que les portes de l'ambulance se refermaient.

  

Je ne suis pas retourné au lycée depuis. À quoi bon. Si un professeur m'entend dire ça il me passera un savon dont je me souviendrai toute ma vie. Mais c'est ce que je pense. Oui les cours c'est important, oui ça peut te permettre de réussir ta vie. Mais là, ma meilleure amie, la fille que j'aime, a fait une tentative de suicide et se trouve désormais dans le coma. Et la vie de Lucy est plus importante que tous les cours du monde.

Alors c'est Natsu qui nous prend mutuellement nos devoirs. Il va en cours, lui, mais tous les soirs, il vient voir Lucy, ou pour la plupart du temps, il attend la permission de la voir avec moi. Permission qui nous est rarement donnée.

  

Alors, en attendant ces rares occasions, je me questionne mainte et mainte fois. Notamment sur les coupures profondes sur ses bras. De plus, une infirmière est même venue me demander si j'avais vu aussi les blessures sur ses cuisses. J'ai répondu que non. Je n'ai même pas vu ses poignets. Alors comment aurais-je pu voir ses cuisses ?!

 

— Putain Lucy ! Pourquoi t'as fait ça !? On a qu'un corps, alors ne le meurtri pas ! Ton corps est unique, il va te poursuivre toute ta vie, à quoi ça sert de déjà le foutre en l'air ?! Non, je t'interdis de me dire que de toute façon tu es déjà morte. Je t'interdis de mourir !! Tu m'entends, Lucy ?! Je te l'interdis !!!

Sans prévenir, je m'effondre sur elle, dans son lit d'hôpital. Une infirmière passe la tête dans l'embrasure de la porte, se demandant pourquoi je criai autant. Mais lorsqu'elle voit qu'il n'y a rien d'anormal, elle repart.

Je suis dans la chambre de Lucy. J'ai enfin réussi à obtenir la permission d'aller la voir. Enfin.

Et lorsque je suis arrivé, elle était encore plus maigre et plus pâle qu'avant. Les machines tout autour d'elle continuaient à biper avec la régularité d'un métronome. Et les marques rouges ressortaient sur la pâleur de sa peau. Alors je me suis pris la vérité en pleine face avec la puissance d'une gifle.

Ma meilleure amie, la fille que j'aime se mutilait sans que je ne vois rien.

Ma meilleure amie, la fille que j'aime s'est suicidée sans que je ne m'y attende.

Si j'avais su déceler ses sourires faux, j'aurais pu sauver ma meilleure amie, la fille que j'aime.

  

Alors je me suis énervé et, penché sur son corps inanimé, j'ai hurlé ces mots.
Et désormais, la tête sur son ventre, je contemple ma belle endormie.

Ses longs cheveux d'or forment comme un voile derrière elle. Ses cheveux que j'aimerai tant caresser. Ses paupières closes me cachent la vue de ses grands yeux couleur chocolat. Ses yeux que j'aimerai tant voir pétiller d'amour et de malice. Ses lèvres délicatement rosées sont couvertes par un masque à oxygène. Ses lèvres sur lesquels j'aimerai tant poser les miennes. Son corps si frêle, si pâle et si pulpeux à la fois, se perd dans ce lit qui semble bien trop grand pour elle. Son corps dont j'aimerai embrasser la moindre parcelle.

Elle est belle, si belle ma meilleure amie, la fille que j'aime.

Elle a la beauté d'un ange.

Elle est mon ange.

  

Je prends sa main inerte et en embrasse tous les doigts mainte fois.

— Réveille-toi, mon ange. Réveille-toi, je t'en supplie.

Mais comme je m'y attendais, elle n'est même pas agitée d'un léger frisson. Je désespère un peu, je dois l'avouer. Cela fait maintenant deux semaines que son état est stable. Stable mais il y a peu de chances qu'elle se réveille un jour. Chaque fois qu'un médecin s'approche de moi, j'ai peur que ce soit pour me dire que son père a décidé de la débrancher, que je dois aller faire mes adieux.

— Tu ne seras pas débrancher, Lucy. Jamais. Pas tant que j'aurai mon mot à dire.

Soudain, une main ferme se pose sur mon épaule. Je sursaute et aperçois un homme penché vers moi, un sourire triste aux lèvres. Mon père. Mon père a quitté son bureau, s'est déplacé pour moi, pour Lucy.

— Tu pleures, Grey.

Il est vrai que, maintenant qu'il le dit, je sens quelque chose de froid et humide sur mes joues. Je commence à essuyer mes larmes du revers de la main mais mon père m'arrête en m'agrippant le poignet. Le doux sourire qu'il m'affiche tord la cicatrice qui lui barre le front ainsi que le sourcil.

— N'essuie pas tes larmes. Cette fille sait ainsi que tu tiens suffisamment à elle pour pleurer sans te cacher.

Je hoche la tête avant de me jeter au cou de mon père. Nous ne sommes pas très tactiles d'habitude mais cette fois-ci, nous accueillons tous les deux cette étreinte avec bonheur. Alors je ferme les yeux et, ne pouvant pas être vu de mon père, je laisse librement mes larmes passées la barrière de mes cils.

— Je ne veux pas qu'elle meure, je chuchote d'une voix brisée.

— Je sais, Grey. Je sais, me répond-il du même ton.

— Non, tu ne sais pas à quel point je l'aime.

Maman... Tu peux me dire pourquoi ? [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant