2- Stupide

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Quand j'ai repris un semblant de conscience, j'étais en train de me chier dessus. C'est quelque chose vous savez de conserver tous ses souvenirs alors que l'on n'était même pas en âge de parler. Alors que je hurlais envers Dieu pour demander la teneur de ces étranges événements, je me rendais compte que je pouvais seulement babiller et baver.

Mon enfance fut difficile, moi qui parlais anglais et qui me retrouvais dans la campagne française. Nous étions en l'an de grâce 1254, et on m'avait donné comme prénom Jean. Et quand j'ai atteint l'âge de pouvoir penser raisonnablement, j'ai pensé avec joie que Dieu me donnait une seconde chance et que je devais lui rendre cet honneur. Je rentrai dans les ordres tout en apprenant à me défendre. J'étudiai la théologie pour pouvoir appliquer ce que je pensais être mon destin. A mes treize ans, je pris la route avec uniquement quelques affaires et un solide bâton et je devins, à mon humble niveau, le bras armé de Dieu pour les plus faibles et les nécessiteux.

Un bandit rackettait des paysans ? Un seigneur un peu trop entreprenant avec votre femme ? Me voilà.

J'ai eu mon lot de défaites, et de blessures, mais les innombrables victoires en valait la peine.

Vous vous en doutez Lecteur que tout cela était stupide, terriblement idiot et fanatique. Mais quand on sortait du seizième siècle, pour se retrouver en France quelques siècles dans le passé après une mort bien misérable, la seule hypothèse qui me venait à l'esprit était la volonté divine. Forcément. Il ne pouvait être autrement n'est-ce pas ?

Bien que la volonté fût divine, ce n'était pas Dieu qui était derrière cela, mais quelque chose d'autre. Mais à ma deuxième vie, je refusais encore d'y croire.

Ma vie d'aventure m'avait conduit aux quatre coins du Royaume de France... ou plutôt des Royaumes. La situation géo-politique de la France surpassait en termes d'absurdité et de division les saxons... à certaines époques. Parce que dans d'autres, j'ai appris à mes dépends à quelles bassesses les dirigeants étaient prêts à se résoudre pour acquérir un morceau de terre supplémentaire pour épater leurs voisins ou leur famille.

J'ai visité la Provence, le royaume d'Anjou, la Normandie et une fois même, je me suis rendu en Bretagne, même si je n'y suis pas resté longtemps. Non pas que le climat humide m'était inhospitalier, mais les gens, eux, l'étaient beaucoup plus. Certainement parce que j'avais oublié que les frontières étaient bien différents que lors de ma première vie. J'ai visité bien des forêts, bien des plaines et bien des villages avant que ma carrière d'aventurier ne prenne fin subitement, à cause d'une flèche dans le genou.

Mais cela ne m'avait guère arrêté. Certes, maintenant mon bâton me sert à boitiller lentement, mais j'avais encore mon cerveau et mon art du négoce. Associé à mes recherches théologiques, j'avais commencé à installer de nouveau un petit réseau commercial, mais dont la plupart des bénéfices servaient au bien-être de la communauté. J'ai rénové l'église, mis en place un hôpital des plus primitif et basique, et en encourageant l'artisanat, j'ai pu accumuler des armes et ensuite engager les mercenaires plus vertueux et les plus loyales pour défendre la communauté où j'avais échoué malgré moi. Cette fois ci, je ne payai pas mon amour, mais je le méritai. Nous conçûmes ensemble quatre merveilleux enfants que nous éduquions au mieux. Le premier avait réussi à accéder à la noblesse par le mérite. En devenant chevalier, puis, par le mariage, il devint un baron aimé et respecté de son peuple. Le second reprit le commerce de son père, le fit fructifier et parvint à agrandir son petit village. Le troisième enfant, une fille, devint une soldate, forte, respectée, bien qu'oublié. Et la dernière appris à soigner les gens au mieux, aussi bien avec des onguents qu'avec l'art de la voix. Je m'éteins peu après mes cinquante ans, apaisé, et certains que mes bonnes actions et mon empreinte sur le monde par le biais de mes rejetons exemplaires. Lors de ce jour funeste, la dernière de mes filles m'avait amené un petit anneau, qu'elle avait fabriqué elle-même : un anneau fait de ronces...

Quelle ne fut pas ma déception quand je repris de nouveau conscience, de la fange jusqu'aux chevilles. Pendant au moins une cinquantaine de vie, j'avais décidé que je n'en avais plus rien à foutre... Mais cela était une autre histoire.

Inktober 2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant