J'ai appris à profiter des plaisirs les plus simples, selon les époques et les civilisations bien entendu. Par exemple, au Japon, les friandises populaires ne sont pas sucrées. Une mauvaise surprise dont on s'accoutume rapidement une fois que l'on a goûté au rat sauce chocolat sous Moctezuma.
Mais en prenant une crème glacée à l'italienne que je fis la seconde rencontre la plus importante de toute mon existence. J'étais à New York, nous étions en 1997, et je sortais du bureau. Le journal sous le bras, un béret sur mon crâne dégarni, j'avais la soixantaine glorieuse et sexy des gens qui avaient su prendre soin d'eux. Dans ma veste en tweed se dissimulait un portefeuille bien garni et un revolver chargé de dissuader les quelques plaisantins souhaitant farfouiller dans mes poches.
Je me baladais dans le parc géant servant de poumons à la grosse pomme quand je tombai sur une marchande de glace à l'italienne. Comme la plupart des distributeurs industrielles, il n'y avait que quatre parfums, ce qui n'était pas grave puisque la vanille me convenait très bien. Le problème venait de la marchande : c'était une très vieille dame couverte de croûte, de bubons verdâtres, d'escarres et anomalies immondes qui me figèrent sur place. Je devins blanc comme un linge, et instinctivement, j'avais porté la main sur mon holster d'épaule, à l'intérieur de la veste. La vieille ricana comme une sorcière dans un conte pour enfant. Une goutte de sueur glacée parcourut mon échine, mais je pris la décision de ne pas dégainer. J'opta pour la prudence, mais pas l'inconscience, restant défensivement en retrait, à une distance respectable.
« N'ai donc pas peur de moi, Réincarné, je connais très bien ta fiancée tu sais, me lança-t-elle en bavant un liquide noirâtre.
- Ah oui ? je répondis sans pour autant me détendre. Vous êtes sa mère peut être ? »
Les sourcils de la femme âgée se froncèrent. Visiblement, elle n'avait pas apprécié ma petite remarque humoristique. Mais elle garda le sourire.
« Je suis sa sœur, vous apprendrez rapidement à me connaître.
- Certainement, je lui dis en me retenant de faire la grimace.
- Voulez-vous une petite douceur ? me proposa-t-elle en prenant les cornets dans ses mains suintantes.
- Non merci. » déclinais je rapidement tout en commençant à essayer de m'éloigner. Mais avant que j'aie pu faire cinq pas, elle m'avait agrippé le bras. Elle avait beau dégouliné de toutes les saloperies possibles qu'avaient inventé la nature pour nous infliger peste et décrépitude, elle avait une force extraordinaire. Si elle le souhaitait, elle m'arracherait les membres ou séparerait ma tête en deux, à la seule force de ses bras.
« J'ai tout de même un petit quelque chose venant de ma sœur, me dit-elle en me confiant un anneau de ronce.
- Ah mais non, râlais-je en soupirant de déception. Je n'ai rien fait de mal, je me suis accoquiné avec aucun mafieux ou avec le gouvernement. Je m'entretien physiquement, même à mon âge, je fais du sport. Je ne fume pas, et je bois peu...
- Cancer de la prostate foudroyant, m'asséna-t-elle avec un petit signe de tête. Même en allant à l'hôpital maintenant, il sera trop tard. Vous vous souvenez des quelques fast-foods que vous preniez de temps à autre ?
- Les enculés... marmonnais-je sombrement. Ils foutent quoi dans leurs burgers ?
- Tu ne veux pas le savoir Réincarné, ricana de nouveau l'ancienne. Une glace ?
- Bon, allez, concédais-je. Mettez-moi une triple vanille, c'est la fête. »
Elle ne me fit pas payer, de toute façon elle n'avait guère besoin de mes devises.
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Inktober 2019
SpiritualPour l'Inktober 2019, je relève le défi ! Voici donc, l'histoire du Réincarné