Chapitre Cinq - La Décision du Conseil

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Il n'avait fallu que quelques jours pour que la nouvelle de l'arrivée de la faelienne se répande à Eel et à tous les territoires contrôlés par la cité. Une jeune fille, inconsciente, avait été trouvée au pied d'un arbre ancestral, à la frontière avec les territoires de Bandor.

Son style vestimentaire composé de baskets et d'un jean, laissait présager son origine terrienne mais comment avait-elle atterri à Eldarya ? Cela restait un mystère.
Rapidement, les gardes d'Eel avaient été prévenues et l'adolescente avait été transférée sous haute surveillance à Eel, au quartier général de la garde.

Ce n'était pas la première fois qu'un tel événement se produisait. Une vingtaine d'années auparavant, un phénomène identique s'était déroulé, laissant deux jeunes garçons au milieu d'un cercle de champignons. Toutefois, la chose restait rare à Eldarya.

Le lendemain du rapatriement de la faelienne, le conseil de la garde s'était réuni pour se concerter sur le cas de l'humaine. Tous les terriens n'étaient pas de bonnes personnes et Eel se devait de protéger ses habitants de la potentielle influence néfaste de certains êtres maléfiques.

Lance suivait Borus, le nain et chef de la garde de l'Obsidienne jusqu'à la salle du conseil. L'homme était certes de petite taille mais il respirait à lui même la puissance guerrier que l'on prêtait aux membres de cette garde. Tous les chefs de garde et leurs seconds étaient convoqués pour discuter du cas de l'humaine et des mesures à prendre. Dans la salle, les autres étaient déjà présents : Miiko et Ezarel, respectivement chefs des Étincelants et des Absinthes, discutaient joyeusement, comme toujours. Derrière eux se tenaient leurs seconds, le sage Leiftan et Altè, une ondine discrète aux cheveux d'un bleu azur et à la peau d'un vert sauge. À la place du chef des Ombres, siégeait Janaz, une harpie d'une quarantaine d'années, calme et inflexible, précédée de Nevra, son second, appartenant à la race des vampires. Chez les Obsidiens, Borus prit la place du chef et Lance patienta derrière lui, droit comme un i. Il était habitué à rester en retrait mais à ne pas perdre un miette de ce qui se disait.

La salle du conseil était lumineuse dès que le soleil pointait ses premiers rayons de lumière. La table ronde et immense trônait en son centre et permettait à tous les officiers présents de se voir et d'échanger avec respect, passionnés de défendre leur point de vue. En hauteur, tel un lustre éclatant, le joyau d'Eel était suspendu et inondait la pièce d'une lueur bleue et bienveillante. Il s'agissait du plus beau trésor d'Eldarya et Eel s'enorgueillait d'en être les gardiens.

— Bon, nous voilà tous présents pour parler du cas de la jeune fille arrivée depuis trois jours sur notre territoire, débuta Miiko en se levant devant l'assemblée.

La chef des Étincelants était une kitsune, affublée d'une autorité naturelle dont elle n'hésitait pas à faire preuve. Ses oreilles vulpines étaient du même noir qui composait la fourrure de ses quatre queues héritées de sa race.

— Que savons-nous d'elle ? demanda Janaz, la harpie des Ombres.
— Elle se prénomme Florelle, elle a 16 ans et c'est une sorcière selon ses dires.

La déclaration d'Ezarel laissa les gardiens silencieux. Le cas risquait d'être plus délicat que prévu. C'était une sorcière et l'elfe alchimiste ne cherchait même pas à cacher le semblant de dégoût qui marquait son visage habituellement taquin et arrogant.

— Il faut la bannir dès à présent, suggéra dans la foulée Altè, la jeune seconde de l'alchimiste.
— Je pense qu'il faudrait lui laisser la possibilité de s'expliquer, proposa la harpie. Elle n'a que 16 ans et elle a atterri dans un monde qu'elle ne connaît pas.
— Mais une sorcière... contra Miiko. Il faut faire preuve de prudence.
— J'approuve l'idée de Janaz.

Borus, le nain et chef des Obsidiens venait de s'exprimer de sa voix grave. Le petit homme parlait peu mais il était toujours écouté. Cela semblait être la caractéristique première des gardiens que l'on nommait "de pierre" au vu de l'Obsidienne, roche dure issue de lave solidifiée.

— Très bien, concéda la kitsune. Jamon, je te prierais d'aller la chercher.

Il fallut quelques minutes à l'orque pour revenir avec la faelienne. C'était la première fois que Lance la rencontrait. A côté du géant de muscles à la peau d'ébène et aux défenses qui sortaient de sa gencive inférieure, l'humaine avait l'air minuscule. Ses cheveux blonds étaient longs et lisses et on lui avait fourni une tenue plus "conforme" à la culture d'Eel, composée d'un pantalon de toile et d'une tunique en chanvre. Elle avait toutefois gardé ses baskets. Son regard gris, par contre, exprimait une peur tangible du sort qui lui serait réservé.

— Nous sommes les chefs des gardes d'Eel, nous sommes ici pour décider de ce que nous ferons de toi et nous aimerions que tu nous expliques pourquoi tu es venue ici, déclara Miiko solennellement.
— Je n'ai pas voulu venir ici... C'est ma cousine, je ne pensais pas que ça allait marcher... bafouilla-t-elle d'une petite voix.

Lance dut tendre l'oreille pour l'entendre. Florelle semblait prête à fondre en larmes. Lui aussi avait beaucoup pleuré.

— Et où est ta cousine ?
— Je ne sais pas, elle a ouvert le portail et après, je ne sais pas où elle est passée.
— Il n'y a que deux solutions, supposa Ezarel à haute voix. Soit elle a atterri dans un autre territoire, éloigné du nôtre, soit, et c'est plus probable, elle est morte durant l'ouverture.

À ses mots, le visage de Florelle s'inonda de larmes dans un chagrin de douleur morale et elle commença à sangloter silencieusement, tandis que l'elfe continuait ses conjectures.

— On ne possède pas assez de puissance et de maturité à cet âge pour réaliser une telle incantation. C'est de la folie.
— Peu importe, coupa Miiko. Il faut la trouver. Jamon, envoie des messages à tous les villages sur notre territoire, expliquant qu'une autre sorcière a possiblement atterri chez nous, et prévient également nos cités alliées. Si cette fille est vivante, il faut la retrouver.
— Il est plus probable qu'elle soit morte... répéta Ezarel qui ne fut pas touché une seconde par l'état de l'humaine.

L'orque hocha la tête et quitta la pièce pour répondre à cette nouvelle mission. Il était tellement grand qu'il dut baisser la tête pour passer l'ouverture de la porte.

— Pourquoi ta cousine a-t-elle voulu ouvrir un portail vers Eldarya ? reprit Janaz qui semblait indifférente au sort de l'adolescente.
— Elle pensait pouvoir devenir une sorcière plus forte en venant à Eldarya. Elle m'a menti et m'a forcée à venir.

Lance observait toujours l'humaine, elle porta la main à son avant-bras gauche, là où trois traits, à présents blancs, suggéraient un sacrifice de sang.

— Devenir plus forte ici ? Quelle drôle d'idée, déclara Janaz surprise. Ne savez-vous pas que toutes les sorcières ont disparu d'Eldarya ? Les seules survivantes se cachent misérablement et heureusement pour elles.

Florelle fronça les sourcils, elle ne semblait pas avoir intégré les propos de la harpie. Ses traits marquaient la confusion par rapport à cette information.

— Je ne comprends pas...
— Les sorcières sont considérées comme des ennemies d'Eel et, de la totalité du monde d'Eldarya, reprit la chef des Ombres. Elles ont voulu dominer les Faeries, comme les humains l'ont fait avant elles. Il y a eu une grande bataille et elles furent décimées.
— Non, murmura la faelienne, incrédule. C'est pas possible, vous vous trompez. Elles ont créé Eldarya et le portail... Les Alister ont créé la Flûte de Hamelin, les Botan ont enfanté les montagnes et les vallées, les YinHoa...
— On t'a menti ! la coupa Miiko en élevant la voix. Les sorcières sont des êtres purement maléfiques et leurs pouvoirs sont puissants et contre-nature ! Quels sont les tiens ?

L'humaine s'était tue. Elle ne pleurait plus bien que ses yeux rouges et son visage bouffi portaient encore les stigmates de ses sanglots. Elle fixait ses pieds comme si elle n'avait pas entendu la question.

— Quels sont tes pouvoirs ? répéta Miiko.
— Je n'en ai pas, avoua Florelle à demi-mot.

Un gloussement mourut dans la gorge de l'alchimiste puis Ezarel émit franchement un rire moqueur et insolent, ne sachant si l'humaine plaisantait ou non.

— Alors ça c'est une première ! railla-t-il. Une stérile ! Et tu oses prétendre être une sorcière ?
— Je suis une descendante de Millaryne Blackhill... se défendis pitoyablement Florelle.

A l'évocation de ce nom, les gardiens se turent et les sourires s'effacèrent.

— Je veux retourner sur Terre, exigea-t-elle avec une ferveur et une colère redoublées.
— C'est impossible.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Le portail n'a été créé pour ne s'ouvrir que dans un sens, lui expliqua Miiko d'un ton supérieur. Parfois, l'espace-temps provoque des distorsions et nous envoie quelques faeliens, perdus.

En disant cela, et presque imperceptiblement, Lance sentit le regard de ses collègues sur lui.

— Et parfois, il y a des petites idiotes qui jouent aux apprentis sorcières, évoqua-t-elle d'un sourire moralisateur.
— Mais... et ma famille ? Mes parents, mon frère ? Je ne vais plus jamais les revoir ? Est-ce qu'ils savent que je vais bien ? Ils doivent s'inquiéter... Je peux leur envoyer un message au moins ?
— Malheureusement, non.
— Tu ne les reverras jamais, conclut Ezarel, haussant les épaules et dont les lèvres s'étiraient faussement compatissant.

Florelle s'était remise à pleurer, sans porter attention au ton volontairement enjoué de l'elfe. Elle était prête à s'effondrer à l'annonce violente qu'elle pouvait dire adieu à tous ceux qu'elle connaissait.

— Amenez-là à l'extérieur, ordonna Miiko, qu'on puisse débattre de son sort.

L'orque étant sorti remplir sa mission, il ne restait personne pour exécuter cet ordre. Lance s'avança vers l'adolescente presque instinctivement.

— Je m'en occupe.

Il posa sa main sur l'épaule de Florelle et, d'une légère pression, l'invita à le suivre. À l'extérieur de la salle du conseil, les voix des gardiens se confondirent en un débat. La jeune fille se laissa conduire mais, comme vidée de ses forces, elle défaillit au milieu du couloir. Ses sanglots s'étaient arrêtés, ses yeux fixaient le néant comme si plus rien de pouvait les animer. Lance comprit que c'était le contre-coup de toutes les nouvelles sombres qu'elle devait digérer et le déferlement d'émotions qu'elle devait maintenant apprendre à gérer. Elle semblait comme morte...
Lance, qui ne voulait pas offrir ce spectacles aux collègues qui pouvaient passer par là, s'accroupit à souleva la faelienne sans peine. Contre son torse, il pouvait la sentir inerte. Se détournant de sa direction initiale, l'infirmerie, il s'arrêta devant une chambre à l'emblème du dragon, orné d'une pierre rouge sang. Sa chambre était plongée dans l'obscurité par de grandes tentures noires qui occultaient les fenêtres. Lance la déposa sur son lit, chiffonnant à peine les draps en soie noire. Elle se recroquevilla, prostrée. Ses points serrés, tous ses muscles étaient pris de spasmes incontrôlables qui manifestait la douleur morale insurmontable. Lance s'assit près d'elle, l'observant simplement, sans rien dire. Puis il tendit l'oreille, l'adolescente murmurait quelques mots inaudibles.

— Tuez-moi, pitié, tuez-moi...

Le second fronça les sourcils en comprenant la demande. Cette gamine préférait mettre fin à ses jours plutôt que de vivre en ayant perdu tout espoir de retrouver ses proches. Il ne pouvait pas accéder à cette requête, même si elle faisait écho à la propre souffrance qu'il avait lui même vécue étant plus jeune. Il se contenta de poser sa main sur la tête de Florelle et de lui caresser les cheveux. Ce geste, aussi maladroit fut-il, apaisa quelque peu la détresse de l'humaine.

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Lance ramena Florelle dans la salle du cristal après une vingtaine de minutes de débat. Il n'avait pas participé à la décision, mais savait que son chef de garde veillerait à ce qu'elle soit sage. La faelienne pouvait marcher à présent, mais son regard restait vide, vide d'espoir et son expression marquée par l'anéantissement. Debout devant la petite assemblée, elle n'avait qu'une attitude passive voire invisible, fixant le sol, attendant tel un condamné résigné, sa peine.

— Florelle Blackhill, débuta Miiko d'un ton sentencieux. Il a été décidé qu'il valait mieux t'avoir à l'oeil à l'intérieur de la cité. Tu seras donc affectée au service d'intendance du château. Mais à la moindre erreur, incartade ou si nous jugeons que tes actes sont suspects ou dangereux pour la cité, tu seras bannie d'Eel et de ses territoires.

La faelienne releva faiblement les yeux, comprenait-elle la décision ? L'avait-elle simplement entendue ?

— Amenez-la en cuisine.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant