Chapitre Quatre - Hésitation

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Il y eut encore des disputes dans la chambre de Mélina avec sa mère bien que tout le monde soit couché. Toujours les mêmes rengaines d'apprenti sorcière, de maturité nécessaire à la pratique de la magie. Sa cousine partait vraiment en live depuis quelques jours et l'ambiance nuisible se répercutait sur tous les membres de la famille. Après tout, pourquoi Mélina ne partirait pas à Eldarya, si elle était persuadée que ce monde existait ? Florelle en voulait à sa cousine de toujours tout gâcher. Et puis après tout, si c'était sa décision ?

Si Mélina avait un début de piste pour l'ouverture du portail, elle ne brillait pas tant par son intelligence que par son comportement impulsif et sa personnalité explosive. Il était impossible qu'elle trouve la solution toute seule. Et puis si elle réussissait, elle aurait ce qu'elle voulait : devenir une vraie sorcière dans un monde qui l'accepterait telle qu'elle était.

Donc, dans le but de lui prouver qu'elle avait tort, et le malin plaisir de lui remettre les idées en place, à la nuit tombée, Florelle se leva et se dirigea vers le rez-de-chaussée à pas de loup. Le manoir était endormi et dans les chambres, toute la famille sommeillait. Les seules agitations provenaient des chats qui jouaient dans l'arrière-cuisine. Elle traversa le premier salon puis la grande salle à manger pour atterrir devant le bureau de Nana. La pièce était vaste, agrémentée d'une cheminée en marbre, d'un miroir au cadre doré et d'un bureau en bois foncé. Au mur, d'anciennes photos en noir et blanc et des portraits peints immortalisaient les descendantes des Blackhill depuis plusieurs siècles. A cela s'ajoutait un immense arbre généalogique qui, certes, ne remontait pas jusqu'à Millaryne Blackhill mais avait au moins le mérite de recenser un maximum de filles dans la lignée, bien que certaines aient disparu dans les périodes troubles des guerres, de l'inquisition ou de la chasse aux sorcières.

La lumière allumée, Florelle se laissa aller à la contemplation des représentations. Impressionnée, elle n'entrait qu'exceptionnellement dans le bureau et toujours de façon express, à la demande de Nana et jamais sans sa présence. Alors, ayant toute la nuit pour pallier à sa curiosité, elle observa sa famille. Elle ne connaissait personne en peinture mais sur beaucoup de photos, il y avait Nana, comme si elle avait traversé les âges.

Naëline Blackhill dans sa jeunesse, simple avocate, ne défendait que des femmes impliquées dans des affaires assez sordides avec des "étrangetés" dans les dossiers : un mari violent qui meurt de combustion instantanée, vols de bijoux par des rats, trafic de plantes hallucinogènes, abus de confiance... Les cas étaient variés mais avaient un point commun : les coupables étaient des sorcières. Une pyromane ayant tué son compagnon, une autre capable de contrôler les animaux, une herboriste, une télépathe... On avait attitré à Naëline, et malgré elle, l'étiquette d'une défenseuse des droits des femmes alors que c'était une défenseuse des droits plus secrets des sorcières.

Se détachant de la contemplation des photos de tous les membres de la famille, Florelle inspecta les objets hétéroclites qui faisaient office de décoration : des statuettes africaines, des masques orientaux, des couteaux sacrificiels d'origine mystérieuse. Comment se faisait-il qu'elle ne sache rien de ces objets ? Encore une tentative d'assimilation forcée à la culture humaine ? Est-ce que sa mère pourrait un jour lui raconter l'histoire de ses objets ? D'ailleurs, qui prendra le relève une fois que Nana disparaîtra ? Sûrement tante Daisy puis Mélina. Privée d'une héritière possédant des pouvoirs, Dahlia risquait de ne pas être choisie, bien qu'elle soit plus sage que sa sœur et première-née des deux.

Chassant ses pensées angoissantes à propos de la mort de sa grande-tante, l'adolescente se dirigea vers un meuble de bibliothèque au fond du bureau. Il était rempli de livres de droit, à la couverture reliée de cuir. Une fois, en jouant à cache-cache avec Mélina et Arthur, elle avait aperçu Nana pénétrer dans une pièce secrète derrière cette même bibliothèque. Florelle savait que l'un des livres en était la clé pour en déclencher l'ouverture mais lequel ? La jeune fille pouvait tout aussi bien tous les essayer, mais en passant son regard sur les ouvrages, une minuscule pensée, tout au fond de son esprit, comme une lumière ténue lui indiquait que ce livre-là, le bleu, était le bon. D'un geste assuré, Florelle tira sur le livre et entendit un "clic" résonner dans la pièce. Le petit meuble eut un sursaut et une ouverture, pas plus large qu'un doigt, laissa échapper une odeur poussiéreuse de renfermé.
Glissant sa main derrière l'étagère, elle la tira vers elle dans un grincement sonore en jurant devant le bruit qui risquait de réveiller la maisonnée.

Elle fut prise d'une certaine excitation, c'était la première fois qu'elle pénétrait dans la grande bibliothèque des Blackhill qui contenait tous les livres de sorcellerie accumulés depuis des siècles. C'était la collection personnelle de la famille. Elle regroupait plusieurs centaines d'ouvrages peut-être même plus, réunis du sol au plafond sur les quatre murs de la cachette secrète. Florelle ne savait pas par où commencer sa recherche tant il y en avait.

Débutant une inspection de gauche à droite, elle repéra rapidement les livres écrits par le fameux Elder Ia de Mélina. Ce n'était évidemment pas les livres originaux écrits au 13ème siècle, tombés en poussières depuis bien longtemps. Les ouvrages étaient régulièrement réédités par les calligraphes de la famille, pour éviter de perdre les connaissances magiques rarissimes.
Après une heure de recensement, Florelle mit la main sur dix-sept livres de cet auteur, la majorité ayant été réécrits en 1925, seuls trois dataient du 18ème siècle. Leurs pages jaunies et leur couverture craquante n'engageaient guère confiance. L'une des cousines éloignées de la famille était justement en licence d'histoire de l'art, spécialisée dans la restauration d'œuvres anciennes. Sans doute que ces livres se verraient confiés à ses bons soins.

Ayant fini son inspection, Florelle décida d'embarquer les dix-sept ouvrages jusqu'à sa chambre. Là-bas, il y avait moins de risque de se faire prendre. Une fois la cachette secrète refermée, comme le bureau, l'adolescente rejoignit sa chambre, le plus silencieusement possible, malgré la pile branlante de livres qu'elle tenait entre ses mains. A présent, elle pouvait examiner les bouquins un par un pour trouver des références ou des indices sur le portail vers Eldarya... Si seulement il y en avait un.

Assise à même le sol de la chambre, en pyjama, peignoir et chaussettes, Florelle avait étalé tous les livres autour d'elle, les classant selon leur thème : il y avait quatre livres de recettes, six de chants et de poèmes, trois sur les arts des vitraux, un exposant des spectacles de danses et trois sur des contes et légendes divers dont un qui retraçait l'histoire des Faeries. L'histoire-même que Florelle avait racontée quelques jours plus tôt à son petit frère.

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Le jour était à peine levé quand Florelle pénétra dans la chambre de Mélina. Elle n'avait pas dormi de la nuit, lancée dans son enquête. Excitée, elle fit le tour du lit, marchant et shootant dans les affaires qui traînaient constamment à terre. La pièce était plongée dans l'obscurité gênée par la lumière du petit matin qui filtrait à travers les rideaux. Mélina dormait profondément, sommeil confirmé par le rythme régulier de sa respiration. Elle n'était vêtue que d'un débardeur et d'un pyjama-short d'été et enroulée dans les draps. Sans beaucoup de douceur et surtout impatiente de lui faire part de ses découvertes, Florelle secoua sa cousine par l'épaule et vit son objectif atteint lorsque Mélina se réveilla en grognant.

— Mélina ! Mélina ! répéta Florelle tout bas.
— Hum, quoi...
— Tu avais raison ! J'ai trouvé !
— De quoi tu parles ? questionna Melina qui commençait à s'agacer de ce réveil brutal et injustifié.
— Ostrium Elder Ia ! Tu avais raison pour le portail vers Eldarya !
— Quoi ?

Tout de suite, son regard se fit moins vaseux, soudainement réveillée par l'attrait de la découverte. Elle se redressa, plus attentive que jamais aux propos de sa cousine.

— J'ai été dans la bibliothèque secrète de Nana hier soir et j'ai trouvé 17 livres. Viens ! Je vais te montrer.

Florelle tira sa cousine par la main et l'emmena dans sa propre chambre. Arrivée dans la pièce, Mélina écarquilla les yeux, saisie par tous les livres que Florelle évoquait.

— Mais qu'est-ce que c'est... que ce bordel !
— Viens t'asseoir ici ! l'invita l'autre.

Mélina enjamba les livres ouverts, des post-its, des feuilles volantes, griffonnées, raturées, annotées, les marques-pages et des fluos un peu partout.

— J'ai mis des heures à comprendre, mais ce sont les ouvrages sur les vitraux qui m'ont mise sur la piste.

Florelle était tellement emballée qu'elle se força à ralentir pour remettre ses idées en place et pour ne pas passer pour folle.

— Les livres sur les vitraux ?
— Regarde, à chaque début de chapitre, il y a un dessin, je ne savais pas trop à quoi ça rimait, je n'y ai même pas fait attention au début mais en fait, si on les assemble, ça forme un cercle de protection !

Florelle sortit une feuille où elle avait reporté tous les dessins avec plus ou moins de précision et en effet, Mélina, ayant un peu plus d'expériences des cercles magiques, lui accorda un certain crédit.

— Et tous les livres fonctionnent sur le même système : les livres de recettes sont en fait la liste des ingrédients, continua Florelle toujours avec une ferveur redoublée, elle sortit des post-it à rallonge, collés les uns sur les autres. Et les livres de chants ? C'est en fait l'incantation pour ouvrir le portail, les chorégraphies ? La gestuelle précise à effectuer !
— Mais il manque un vers à ta formule, tout fonctionne par sept normalement, constata Mélina en relisant la formule en latin. Comme ton dessin, il manque un livre ?
— Non, je ne pense pas, réfuta Florelle. Dix-sept, c'est un des chiffres des sorcières, contrairement à dix-huit. Et une note de l'auteur dans le premier livre introductif dit que seules les vraies initiées sauront réellement utiliser ce recueil à sa juste valeur.
— Mais nous sommes de vraies sorcières ! s'exclama Mélina le menton haut. Je dirais même qu'on est des Blackhill ! Alors qui mieux que nous pour trouver ce qu'il manque !
— Oui, d'ailleurs, j'ai des idées pour achever le cercle, il faut que ce soit symétrique, non ?
— Oui, laisse-moi étudier tout ça, j'ai déjà réalisé quelques sortilèges, se vanta la cousine avec une dose d'autodérision.
— Il faudrait prévoir un extincteur par sécurité, renchérit Florelle sur le même ton moqueur.

Les cousines rirent de leurs idées et de leurs bêtises en continuant d'examiner les travaux de Florelle.

— Il faudrait absolument faire ça ce week-end ! décida Mélina.
— Quoi ?
— Ben oui, ta mère passe le week-end chez ton père, la mienne travaille samedi aprem, ton frère sera à son entraînement, Yvonna ne travaille pas et Nana ne va pas nous embêter.

Mélina se leva, prit toutes les feuilles de Florelle, résultats de ses heures de recherches nocturnes et quitta la pièce. Florelle la vit sortir de sa chambre, son excitation laissa la place à l'inquiétude. Elle était persuadée que mettre au point ce sortilège était une très très mauvaise idée... Mais quel était le pourcentage de chance que deux adolescentes de 16 ans, qui n'avaient de sorcières que le sang, réussissent ?
Il était même très probable que ça échoue... Florelle tentait de raisonner sa peur à l'aide cette pensée rassurante.

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Le matin prévu pour le sort, Yvonna ne travaillait pas, comme tous les week-end. Elle quittait le manoir vers 10 heures après avoir fait les soins de Nana et revenait lundi matin. En attendant Dahlia et Daisy s'occupaient de leur grande-tante durant les quelques heures, aidées par leurs enfants.
Daisy travaillait jusqu'à 18 heures environ et Dahlia était partie faire des courses avant de partir chez son conjoint pour leur week-end en amoureux.

Florelle vint apporter à Nana son traitement du matin. Souvent à cette heure, la vieille dame était à son bureau en train d'éplucher sa correspondance. Elle échangeait régulièrement avec les autres sorcières du clan par courrier, même si le téléphone existait depuis un siècle et demi. Nana aimait écrire à la plume, à l'ancienne. Mais elle échangeait aussi avec d'autres sorcières, parfois qui se retrouvaient seules et qui s'interrogeaient sur leurs origines, leurs pouvoirs. Nana restait l'une des sorcières les plus âgées et expérimentées en Europe et une référence, une figure d'autorité concernant les us et coutumes mais aussi les interdits qui s'appliquaient en leur qualité.

Florelle toqua discrètement et ouvrit immédiatement la porte, un plateau en main avec l'eau et un pilulier.

— Merci Florelle.

Elle déposa ce qu'elle tenait sur le bois et quitta la pièce malgré une hésitation qui interpella Nana. Elle y comprit une volonté de poser une question.

— Oui ?
— Est-ce que c'est grave si je n'ai pas de pouvoirs ? demanda enfin Florelle après encore une ultime hésitation. Je veux dire, si je ne suis pas une sorcière.

La seule personne dont l'avis lui important était celui de Nana. Elle savait que ses parents, comme son frère, n'y portaient pas d'importance, elle savait aussi que Daisy, qui l'avait presque élevée comme sa propre fille ne lui en tiendrait pas rigueur, même si ce n'était pas vraiment sa faute. Enfin, Florelle ne comptait pas sur l'avis de Mélina. Leur relation d'amitié, et même de sororité, risquait de se modifier mais étant comme des soeurs et peut-être que, si sa cousine mûrissait un peu, les deux adolescentes surmontraient cette difficulté passagère.
Non, l'avis de Nana était celui qui lui importait le plus. Sa réponse serait celle de tout le clan Blackhill.

— Non, bien sûr que non, ce n'est pas dramatique, la rassura son aïeule.

Souriante et confiante, Florelle s'apprêta à nouveau de quitter le bureau mais sa grande-tante l'interrompit.

— Mais je pense que ce déménagement en Allemagne peut être une bonne chose,reprit Nana en baissant les yeux sur son courrier.

De ce geste, elle mit fin à la conversation et Florelle quitta la pièce, refermant la porte derrière elle. La main sur la poignée, elle sentit l'émotion l'envahir. Nana venait clairement de lui faire comprendre que, si elle ne développait pas de pouvoir, elle serait définitivement exclue de la famille.

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Son visage était encore bouffi de larmes mais les pleurs avaient au moins cessé, Florelle cherchait Mélina. Sa cousine n'était ni dans sa chambre, ni dans le parc avec les animaux. Où pouvait-elle bien être ? Dans la demeure de 420 mètres carrés, il y avait des possibilités. Mais sans l'avoir vue de la journée, Florelle se doutait que Mélina devait travailler sur leur projet commun. Si sa cousine était studieuse à quelque chose, c'était bien pour la magie. Il lui faudrait un grand espace dans un endroit discret, ce qui restreignait les disponibilités.

Son intuition l'amena au grenier du manoir. Le plancher en bois brut du sol était poussiéreux et entre les poutres qui étayaient la toiture, des monticules d'affaires s'accumulaient depuis plus de soixante-dix ans, allant des vieux meubles abîmés, aux jouets roses des filles ou des décorations de Noël ressorties tous les ans à la même période. Mais les combles étaient vastes, mesurant toute la surface de la maison. Il suffisait de se frayer un chemin pour le traverser. Slalomant entre les vieilleries et la tête penchée par des mansardes, Florelle trouva Mélina à l'extrémité du grand espace. Sa cousine avait débarrassé le sol de la poussière et des toiles d'araignées et avait créé son propre espace de travail. Studieuse, Mélina traçait au charbon noir les symboles dans un ensemble harmonieux, copiant en taille réelle le dessin qu'elle avait élaboré sur papier. Florelle y retrouva les runes classiques comme un pentacle de protection, des lettres latines et des lettres de l'alphabet cryptographique, les cinq éléments, le symbole de la triple lune... etc.
D'autres éléments étaient plus étonnants, marquant le caractère inédit de l'incantation : un sixième élément parmi les cinq autres, quelque chose appelé "Maana" dont elle ignorait tout, un heptagramme à sept branches, au lieu de cinq habituelles, la présence d'amulettes puissantes et d'un athamé, un couteau rituel rare qui prévoyait que les cousines devraient verser leur sang lors de la procédure magique.

— Ah, te voilà ! remarqua Mélina en voyant Florelle émerger des cartons. J'ai bien avancé. J'ai réussi à compléter le cercle mais j'avais besoin d'une vision plus globale pour comprendre ce qui manquait. Comme la formule, mais j'hésite entre deux vers, tiens, regarde.

Florelle s'assit à même le sol et prit la feuille que Mélina lui tendait. Elle relut plusieurs fois les vers en latin, corrigea une erreur de déclinaison mais le reste semblait correct.

— J'ai réuni tous les ingrédients dans le bureau de Nana cette nuit, expliqua Mélina avec un sourire aux lèvres.
— Il n'aura jamais été autant visité, gloussa Florelle. Mais pourquoi les batteries de portables externes ? Je ne pense pas que ce soit dans la procédure...
— Tu as raison, je l'ai améliorée, se vanta Mélina. Au 13ème siècle, l'électricité n'existait pas et l'ouverture du portail nécessite beaucoup d'énergie. L'un des livres explique plus ou moins clairement que certaines sorcières sont mortes d'épuisement en ouvrant le portail.
— Alors tu penses qu'en rajoutant de l'énergie électrique, nous ne serons pas vidées de nos forces ?
— C'est le but recherché !
— Rassurant...

Mélina continuait à compléter l'heptacle en consultant ses notes, sans prêter attention à la mine perplexe de Florelle. Cette idée d'aventure l'angoissait de plus en plus. Les approximations, le fait que, ni elle, ni Mélina ne possédait de connaissances poussées en sorcellerie... Au mieux, elles échoueraient, au pire... Florelle ne savait pas à quoi s'attendre, mais mourir était sûrement le meilleur des pires scénario.


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L'adolescente attendait sur le pas de la porte. Son père venait d'arriver en ce début d'après-midi. Ses parents avaient prévu de passer un week-end en amoureux, comme ils le faisaient presque tous les mois et de plus en plus souvent maintenant que leurs enfants étaient plus grands et plus autonomes. Ce n'était pas facile de vivre une relation séparés. Plusieurs fois, Damien et Dahlia avaient failli rompre. Le père de Florelle était lassé de devoir supporter cette vie qu'il n'avait pas choisie. Il subissait la les traditions de sa compagnes, des sorcières, leur mode de vie unique et leur coutumes souvent archaïques. Mais leur amour était plus fort que tout, scellé par leurs deux enfants.

— Salut ma grande.
— Salut papa, lui répondit la jeune fille.
— Ta mère est prête ?
— Oui, je suis là ! intervint Dahlia en arrivant. Bon, ma chérie, ton frère est à son entraînement de foot et Daisy passe le prendre en rentrant vers 18 heures. Tu t'occupes de Nana avec Mélina, je te fais confiance !
— Ne t'inquiète pas maman on a déjà été seules quelques heures. Et Nana est là de toute façon.

Rassurée, Dahlia lança un regard à son conjoint qui, hésitant, posa la fâcheuse question.

— Tu as réfléchi au déménagement en Allemagne, ma puce ?

Florelle se doutait que le sujet reviendrait tôt ou tard sur le tapis. Elle n'avait pas encore la réponse mais inévitablement, elle connaissait l'issue de cette situation. Elle s'était faite à l'idée.

— Je ne sais pas encore, j'ai encore besoin d'un peu de temps...Mais je veux bien qu'on en reparle à votre retour, concéda-t-elle sur un ton moins virulent que la semaine précédente.

Les parents échangèrent un regard empli d'espoir et de reconnaissance et Dahlia conclut la conversation.

— Ok ma douce, sois bien sage avec ta cousine.
— Je vous aime.
— Nous aussi on t'aime Florelle. A demain.

Ils l'embrassèrent chacun leur tour sur le front de l'adolescente avant de rejoindre la voiture. Florelle les regarda monter dans le véhicule, ils échangèrent une parole et elle les vit rire d'un trait d'humour. Peut-être qu'après tout, l'Allemagne ne serait pas si mal, s'ils vivaient heureux à quatre.

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Sa décision n'était pas encore prise mais une chose était sûre, Florelle ne voulait pas quitter sa famille. Elle ne voulait pas partir à Eldarya, que l'incantation de l'ouverture du portail soit exacte ou non. Le plus dur restait d'annoncer ça à Mélina, lui dire aussi qu'elle devait sans doute être stérile et risquait de jeter l'opprobre sur le clan Blackhill. Peut-être même que Nana exigerait qu'elle prenne le nom de famille de son père.
Mélina allait sûrement faire une crise monumentale. Il ne fallait pas être devin pour imaginer ça.

Et comme sa cousine était imprévisible, Florelle avait préféré attendre que Mélina descende dans la cuisine pour lui annoncer. Ce qu'elle fit après une heure d'attente.

— Bon, j'ai fini je pense, annonça Mélina visiblement satisfaite de son travail, c'est quand tu veux. Tu peux écrire une lettre à ta mère si tu veux, proposa-t-elle ensuite. J'en ai laissé une à la mienne.
— Mél'... commença Florelle, contrite, je suis désolée mais je ne veux pas participer à ce sort.
— Quoi ? Mais je pensais qu'on avait prévu d'y aller ensemble à Eldarya.
— Non, c'est toi qui veut y aller... Moi je veux rester avec ma famille, je ne veux pas aller dans un monde que je ne connais pas. En plus, ça risque de ne pas marcher et on ne sait pas ce qui peut se passer dans ce cas-là.

Florelle avait réfléchi à son argumentaire. Elle observait sa cousine et voyait son visage se fermer. Son regard gris exprimait tellement de colère qu'elle se força à rajouter :

— Sans compter que je n'ai pas encore développé de pouvoir, ce qui veut dire que je suis sûrement stérile. Ca serait encore plus dangereux de le faire, pour nous deux.
— Arrête, tais-toi, cracha Mélina avec emportement.
— Mél'...

Florelle sentit son coeur se serrer quand Mélina la dépassa pour se diriger vivement vers la véranda. Elle la suivit et tenta de la convaincre de renoncer aussi elle aussi à cette folie qu'elle prévoyait.

— Qu'est-ce qui va se passer si tu n'es plus là ? Ça ne sera plus pareil si tu y vas, tu vas nous manquer. Tu vas me manquer. Tu es comme une soeur pour moi.

La jeune sorcière, accroupie, caressait l'un de ses chats, le plus jeune et encore craintif, et resta silencieuse. Dans son regard, brillait toujours la colère et pour autant, Florelle la savait en pleine réflexion et préféra rester sur ses gardes. Elle n'avait pas encore évoqué la possibilité du déménagement mais Mélina ne semblait pas encore prête à l'entendre. Sa cousine lâcha un soupir. Elle se releva, le chaton dans ses bras ; l'animal était encore impulsif et restait sauvage. Elle embrassa la tête du félin qui se mit à ronronner sous les caresses de sa maîtresse. Enfin, après de longues secondes, Mélina reposa son regard sur Florelle, un regard toujours mécontent mais qui était toutefois résolu.

— D'accord, je renonce et je vais aller effacer tout mon travail de la journée.
— Tu veux un coup de main ?
— Non, ça ira.

Sur ces mots, Mélina fourra le chaton dans les bras de sa cousine. L'animal, soudain apeuré, sortit les griffes et marqua Florelle de trois entailles fines et sanguinolentes.

— Je suis désolée, répondit simplement Mélina en récupérant la bête.

Puis la jeune sorcière retourna au grenier et laissa Florelle examiner son bras entaillé. Heureusement, il n'y avait eu que de petites estafilades qu'elle nettoya quand même pour éviter de se tacher de sang.

Elle sentait son esprit s'alléger d'un poids, cette histoire de portail n'était pas une bonne idée, elle le savait. Et pourtant, elle ressentait toujours cette gêne dans l'estomac, comme si elle avait peur, comme une appréhension du pire...

— Florelle !

C'était la voix de Nana qui provenait de son bureau. Toujours gênée de cette peur qui maintenait prisonnières ses entrailles, la jeune fille rejoignit sa grande-tante.

— Florelle, qu'est-ce que vous avez fait ? demanda la vieille sorcière qui la scrutait sévèrement de son regard aux reflets violets.

Florelle blêmit. Nana avait-elle découvert que ses deux petites nièces avaient volé des ouvrages, des ingrédients et des instruments pour réaliser une incantation magique ? Pourtant Nana ne semblait pas en colère mais terrifiée, ce qui était d'autant plus inquiétant. Florelle sentit un léger picotement à l'extrémité de ses doigts, le signe que quelqu'un, tout près, utilisait une forme de magie puissante.

— Mélina...

Florelle murmura le prénom de sa cousine en comprenant qu'elle ne l'avait pas convaincue de renoncer mais plutôt de mettre, bel et bien, son plan à exécution. Quittant cette léthargie, Florelle quitta précipitamment le bureau de Nana, grimpa quatre à quatre les marches vers le grenier. La sensation de malaise s'accrut et se fit de plus en plus inconfortable, à la limite de la douleur. Jamais elle n'avait ressenti un tel mal-être, même quand les vieilles sorcières se prêtaient à des incantations élaborées lors de la fête de la Lune.

Elle avança plus difficilement à travers le grenier, titubant sur les derniers mètres parmi les cartons et les vieilleries. Comment avait-elle pu être aussi bête de faire confiance à Mélina pour faire marche arrière ! Sa cousine avait tenté de finir ce qu'elle avait commencé. Dans le grand espace sous les combles, une lumière rouge jaillissant du sol, illuminait les mansardes d'une sinistre couleur de sang.
Au milieu de l'heptacle, Mélina à genoux, les mains jointes d'une façon particulière, s'efforçait à réciter la formule, malgré la douleur évidente qui tordait ses traits dans une grimace pénible.

— Mélina ! Arrête ! cria Florelle à son approche.

Elle devait lever la voix car, dans le grenier, un vent artificiel venait balayer les cheveux des filles et faisait voleter les feuilles qui trainaient.

Florelle s'approcha encore pour empêcher Mélina d'achever l'incantation mais s'effondra au milieu du cercle, faible et trop douloureuse. Elle aperçut alors l'athamé, le couteau sacrificiel et une plaie sur l'avant-bras de Mélina. Cette dernière venait de réciter trois fois de suite l'incantation et un à un, les éléments présents aux pointes de l'étoile à sept branches se consumèrent.

— Je suis désolée Florelle, je ne pouvais pas le faire seule ! cria-t-elle au dessus de bruit de tempête qui était née dans l'espace. J'avais besoin de ton aide !

La jeune fille ne savait pas à quoi sa cousine faisait allusion, avant d'entendre le grondement terrifié du chaton. Malgré la douleur qui l'empêchait de bouger, et qui figeait son esprit, elle comprit une instant plus tard : Mélina avait utilisé son sang à elle aussi pour l'ouverture, elle avait utilisé le chat comme arme et avait déposé son sang sur le couteau avant de s'entailler elle-même.

Florelle ne put réagir, une nouvelle vague de douleur la saisit et elle se mit à hurler en écho à Mélina qui poussa la même plainte de supplice. La dernière chose dont Florelle se souvint fut cette sensation de brûlure qui consumait jusqu'au plus profond de ses entrailles.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant