Chapitre Treize - La Cérémonie d'Adoubement

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L'homme était dissimulé sous une cape qui étoffait davantage une silhouette déjà massive. Le traître vint le trouver dans un coin reculé des jardins de la cité, la boule au ventre d'être vu, mais déterminé à accomplir son devoir.

— Tout est prêt pour demain ? interrogea l'homme encapuchonné.
— Oui, et de votre côté, avez-vous réussi à faire entrer vos hommes ?
— Ils sont tout prêts, nous pénétrerons dans la cité à la nuit tombée. Ce sera presque trop facile.

Le traître gloussa mais ne fut pas suivi par l'autre qui se contenta de relever ses yeux aux iris rouges pour fixer un point invisible. Il réfléchissait à son plan qu'il rêvait de mettre exécution avec la rage et la violence digne de sa vengeance.

— Franchement, ils ne vont pas vous voir venir, le rassura le traître. Ils ont totalement oublié Amendo et n'envisagent pas une attaque de cette envergure.
— Tant mieux. Ils vont comprendre le proverbe : "La vengeance est un plat qui se mange froid". Et tu en sais quelque chose.

Ce trait d'humour le fit éclater d'un rire qui mourut naturellement.

— Fais en sorte que tous se tiennent sur leur garde, reprit-il avec une autorité qu'il savait respectée. Et n'oublie pas qu'il revient à toi de neutraliser la sorcière au cas où elle verrait les événements prévus. Elle seule peut venir gâcher notre mission.
— Je m'en chargerai avec plaisir. Ce sera un succès, votre cité deviendra plus puissante et Eel sera reléguée à un petit village de seconde zone.

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Les intendants du château avaient suspendu toutes leurs tâches pour préparer la cérémonie d'adoubement des nouveaux gardiens. Karuto s'activait dans les cuisines, d'autres préparaient la grande salle de bal, recouvraient les tables de nappes, les décoraient de fleurs et nettoyaient l'argenterie.
Des musiciens s'installaient dans un coin et les anciennes recrues se faisaient beaux dans leur quartier respectif en vue de leur adoubement mérité.
Dans un premier temps, chaque chef remettrait l'insigne de la garde aux recrues qui, ainsi, intégraient définitivement l'élite, puis tous se réuniraient pour boire et manger en l'honneur des nouveaux collègues.

— Voilà les feuilles de lierre ma belle !
— Merci Sopia !
— Y'a quelqu'un pour m'aider à fermer ma robe ? s'exclama Caméria dans le couloir.
— Nilem, j'ai fait un ourlet à ton pantalon !

Il y avait une joyeuse animation à l'étage des chambres du Bastion d'Ivoire. Les recrues allaient être les vedettes de la soirée. Les autres gardiens aussi se mettaient sur leur 31 mais ils ne seraient que spectateurs et se préparaient avec plus de calme et plus de retenue. Parmi toute cette agitation, Sopia, l'intendante chargée de l'Obsidienne, était dépassée par les multiples sollicitations de ses poulains.
Nilhem arriva en caleçon, sans pudeur face à ses soeurs gardiennes, et il essaya le pantalon que la petite kobold avait repris et corrigé. Il lui allait comme un gant. Le brownie aux cornes de taureau prit le visage de Sopia en coupe et l'affubla d'un baiser bruyant sur le front.

— Tu es une mère pour nous tous ! la remercia le géant musclé.
— Mon corps n'aurait pas survécu à ta naissance, gros bébé !

L'intendante avait une cinquantaine d'années et derrière un physique d'apparence frêle, Sopia possédait une personnalité forte et une loyauté sans faille pour la garde d'Eel.
Elle avait connu trois chefs, sept seconds et plus d'une cinquantaine de gardiens au rubis. Telle une mère, l'intendante avait soigné les bobos, ramassé les coeurs brisés et réconforté les espoirs perdus. Et même dans les épisodes sombres de l'Obsidienne, la kobold avait été là, autant un pilier que les officiers qui la dirigeaient.

Florelle était prête et assez fière de sa tenue bohème avec cette robe vert de gris et des feuilles de lierre dans ses cheveux. Elle se trouvait jolie et séduisante. Il ne manquait plus qu'un dernier détail. Dans le premier tiroir de sa commode, seul meuble qui, à l'exception de son lit, habillait sa chambre, la jeune femme tira une fiole de parfum. Avec précaution, pour ne pas perdre une goutte de précieux liquide, elle déposa l'essence parfumée derrière chacune de ses oreilles, à ses poignets et une à la naissance de son sage décolleté. Avant de refermer la petite bouteille en verre, elle la porta à son nez et huma la fragrance délicatement fleurie. Elle se rappela de la joie et l'exaltation lorsqu'elle l'avait découverte, lorsqu'elle avait compris que le présent venait de lui, de Lance, ou plutôt de Lucas, son alter ego romantique. Elle n'avait pas été le remercier mais il ne lui avait pas non plus offert le présent en face. Elle espérait qu'il remarquerait l'odeur délicate qui se dégageait de sa peau.

— Tu es très jolie Florelle.

La sorcière se tourna vers Sopia qui, une chemise sur l'avant-bras, s'était arrêtée dans l'encadrement de la porte de la chambre.

— Merci ! Tu seras avec nous ce soir aussi, n'est-ce pas ?
— Oui, je serai là dans les cuisines pour donner un coup de main, l'informa la kobold.
— Tu sembles attristée ? Tout va bien ? s'enquit la sorcière qui avait remarqué la ride d'inquiétude qui s'était formée entre les sourcils de l'intendante.
— Ne t'inquiète pas pour moi, prends plutôt soin de toi Florelle.

L'Obsidienne ne comprit pas l'allusion de Sopia, ni son air devenu mélancolique mais la tornade à la peau ébène pénétra en furie dans la chambre de Florelle, faisant fuir au passage l'intendante. Caméria, dont les cheveux lichen étaient remontés en chignon élégant, présentait son dos à sa collègue.

— Tu peux fermer ma robe s'teu plait ! s'exclama-t-elle pour la énième fois.

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Lance avait opté pour un ensemble noir aux fins liserés rouges : une chemise à col montant, un pantalon fuseau sur mesure et une veste qui lui arrivait mi-cuisse. C'était la première fois qu'il adouberait des recrues en tant que chef de garde et bien qu'il ait pourtant déjà assisté à cette procédure comme second, un léger trac lui nouait le ventre.

Dans l'arène, tous les Obsidiens étaient présents, tous bien habillés, élégants, loin des vêtements pratiques qu'ils portaient habituellement.
Contrairement aux autres, assis dans les gradins, les sept recrues étaient alignées debout, l'une à côté de l'autre. Ils avaient réussi leur épreuve de validation et faisaient le pied de grue dans le sable, échangeaient taquineries et s'agitaient d'exaltation.
Parmi eux, Florelle avait choisi une robe verte taillée dans un tissu fluide qui tombait magnifiquement sur ses formes. Elle avait de petites manches fendues sur le côté, comme sur le long de sa robe, laissant entrevoir ses cuisses. Ses cheveux blonds avaient été tressés et décorés de feuilles de lierre. Elle ressemblait à une nymphe.
Il eut le loisir de l'observer alors qu'elle riait avec Caméria, puis son regard gris se posa sur le chef et il crut noter le teint légèrement rosé de ses joues. Lui-même se sentait étrangement désoeuvré tant elle était belle.
D'ailleurs, avait-elle trouvé son présent ? Lui avait-il plu ?
Il s'était interrogé alors qu'elle n'était pas venue le voir pour le remercier mais lui-même, de son côté n'avait pas été la questionner.

Les discussions cessèrent et Lance put débuter un petit discours de félicitation à la fin duquel les gardiens assis dans les gradins applaudirent leurs nouveaux frères et soeurs d'arme. Puis Valkyon s'approcha avec un coffret en bois qu'il ouvrit. Celui-ci contenait sept épingles, l'insigne de l'Obsidienne. Un à un, Lance accrocha le rubis niché dans des flammes argentées sur le vêtement des recrues.
Arrivé devant Florelle, Lance reconnut les fragrances délicates de rose et de pivoine. La jeune femme portait le parfum qu'il lui avait offert et un bonheur insidieux l'enveloppa. Sa gorge se serra et son esprit s'égara dans les effluves délicieuses de sa peau où quelques gouttes avaient suffi pour le déstabiliser.
Relevant les yeux vers les iris gris de Florelle, il croisa son regard chargé de reconnaissance et il retrouva sa contenance. Ce regard que eux seuls perçurent suffisait à exprimer tout ce qu'ils s'interdisaient de dire, dans un jeu de silence et de non-dits auquel ils se prêtaient.

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Les nouveaux gardiens, accompagnés des anciens et des officiers, rejoignirent la grande salle de bal apprêtée pour l'événement. Tous y trouvaient l'occasion de boire, de manger et de se détendre, surtout les recrues qui, en plus de leur promotion, voyaient leur solde augmenter.
Il y avait sept recrues parmi les Obsidiens, huit parmi les Ombres, dix chez les Absinthes mais dont seulement la moitié avait validé leur formation et, enfin, trois chez les Étincelants.
Florelle rejoignit Célis qui avait été la plus belle surprise de cette sélection. Jamais une intendante n'avait été acceptée dans l'élite des gardes sans être passée par d'autres en première intention. La biche était vêtue d'une robe dorée à manches longues et parée de sequins et dont la jupe plissée arrivait mi-cuisse. Elle était très jolie avec quelques paillettes sur ses pommettes qui mettaient en valeur son teint couleur miel et ses cheveux châtains foncés. Les deux jeunes femmes s'étreignirent, heureuses de se retrouver.
Les intendants circulaient parmi les gardiens avec des plateaux remplis de verres. Karuto s'arrêta auprès de ses anciennes petites mains, prit le premier verre, rempli d'un alcool léger à base de fruits de miel et le tendit en direction des jeunes gardiennes. Célis tendit le bras pour s'en saisir mais le faune râla et l'imposa à Florelle. Ne prenant pas ombrage du geste du cuisinier, la biche prit le second verre qu'il lui tendit avant de disparaître dans la foule.

L'atmosphère était détendue entre l'alcool, la musique d'ambiance et les conversations joyeuses. La liqueur de fruits de miel commençait à faire effet sur la sorcière, elle sentait sa nuque se raidir et la fatigue l'envelopper. Elle se rendit au buffet pour y picorer quelques petites-fours quand elle sentit dans son dos, la présence du dragon. Il la dominait facilement d'une tête et, comme attirée par elles, Florelle se plongea dans les iris bleu de glace de son supérieur.

— Tu es ravissante, lui glissa-t-il.

La sorcière devint fébrile, ce compliment, adressé presque au creux de son oreille, la fit frissonner.

— Tu aimes ce que je porte ? questionna-t-elle en faisant référence au parfum qu'il lui avait offert. Je te remercie concernant...
— Je suis content que cela te plaise, coupa Lance avant d'évoquer verbalement ce qu'il préférait laisser de côté.

Florelle voulut renchérir mais Leiftan s'approcha et interpella Lance qui se vit obligé de le suivre.

— On se voit plus tard.

La sorcière hocha la tête et retint un sourire face à cette promesse. Elle mordit dans un feuilleté au fromage puis elle eut une grimace de dégoût lorsque la nausée enserra sa gorge. Elle attrapa chaud et sentit des élancements dans son crâne. Était-ce l'alcool qui lui faisait cet effet-là ? Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle en buvait et qu'elle se sentait si mal après quelques petites gorgées. La faiblesse de son esprit entraînait en conséquence un sursaut de visions floues qu'elle sentait prêtes à l'envahir.

— Eh, je peux te voir un instant ?

C'était Karuto qui venait à sa rencontre. Le faune avait quitté son odieux veston qui dévoilait trop son torse velu, contre une tunique blanche cousue de fils dorés et il avait brossé sa tignasse hirsute qui le rendait presque moins laid.

— Pas maintenant, j'ai mal à la tête... se plaignit Florelle.
— Viens, je vais te donner du lait de Moogliz, ça ira mieux après.

La nouvelle Obsidienne hésita à suivre le faune qui s'éloignait déjà. Mais alors que son mal de tête s'accrut encore, elle porta ses mains à son crâne et décida de suivre Karuto. Ils traversèrent les cuisines puis passèrent devant les réserves.

— Pourquoi aller là-bas ? questionna Florelle à l'intendant en chef qui marchait rapidement devant elle.

Il ne lui répondit pas et poursuivit sa route.

— Karuto ?

Florelle s'était arrêtée au milieu d'un couloir désert duquel elle pouvait entendre la musique de l'orchestre alors qu'elle était pourtant trop loin de la salle. Sa vue se brouillait et, à la musique, succédèrent les cris de panique que son pouvoir lui faisait entrapercevoir. Quelque chose de terrible allait se produire et pourtant, les flashs s'effaçaient immédiatement à cause de cette céphalée atroce.

— Attends, Karuto... Attends. Il va se passer quelque chose...
— Viens là toi !

Le faune revint sur ses pas, se saisit vivement du bras de la jeune femme pour la forcer à le suivre.

— Que fais-tu ? gémit-elle, le crâne lourd et l'esprit brumeux. Les Amendois...
— Je sais ! Dépêchons-nous.

Florelle était à présent trop faible pour se libérer et elle comprit, malgré la douleur et l'engourdissement qui la gagnait, que ce n'était pas l'alcool qui causait cet état. Elle avait été sciemment droguée. Pourtant, malgré cette vérité, tout le reste était encore flou. Sur les derniers mètres, alors que ses membres l'avaient lâchée, elle était à la frontière de l'inconscience, Karuto la porta sur ses épaules.

— Je t'avais dit un jour que tu regretterais de te comporter comme une petite opportuniste prétentieuse, rappela Karuto d'un ton menaçant. Et ton dragonaut aussi va rapidement le comprendre.

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Lance soupira, la soirée commençait à l'ennuyer, il avait pourtant échangé avec chacun de ses collègues pour faire passer le temps. Il avait discuté de ses nouveaux gardiens et des épreuves de validation avec Janaz, avait ri avec Nevra et Valkyon et maintenant, il voulait s'éclipser. Son regard se perdit dans la foule à la recherche de Florelle. Il lui semblait que cette soirée marquait un tournant, la mise en place d'une complicité, d'un jeu de séduction auquel il jouait et cette idée lui plaisait beaucoup trop pour être raisonnable. Il ne trouva pas du regard la robe verte de Florelle, ni ses cheveux blonds tressés et ornés de lierre. Elle lui ravissait la vue et embrouillait son esprit alors qu'il se devait de rester réfléchi, d'avoir la tête froide. Peine perdue ce soir.

Lance prit l'air sur le péron de château. Le vent frais l'aida à remettre ses idées en place, ça ne pouvait pas durer ainsi indéfiniment. Il n'était plus un adolescent et pourtant, il en avait tout l'air.
L'arrivée de Valkyon vint le libérer de ses pensées envahissantes. Il le gratifia d'un sourire en coin et but une gorgée de liqueur. Il ne voulait pas que son frère devine son trouble et encore moins son origine. Il était déjà difficile de s'avouer qu'il s'était épris de Florelle, alors si son cadet l'apprenait, celui-ci ne se priverait pas de le taquiner. Heureusement, le second de l'Obsidienne était accompagné de ceux de l'Ombre et de l'Étincelante. Nevra avait un sourire malin aux lèvres et, d'un sursaut, entoura Leiftan et Valkyon de ses bras.

— Bon, les gars, cette soirée me fait chier. J'irai bien m'encanailler dans la rue Vermeil. Qui est partant ?

La rue Vermeil comportait plusieurs maisons closes, qui étaient tolérées pour le peu qu'elles oeuvrent dans la légalité, qu'aucune fille ne soit mineure ou qu'aucune ne soit forcée à la tâche.

— Qu'est-ce que vous fabriquez là tous ? retentit une autre voix derrière eux.

Il s'agissait d'Ezarel, enthousiaste, quoiqu'un peu moins en la présence de Lance qui ne décrocha pas un mot.

— Tu viens avec nous rue Vermeil ?
— Pourquoi pas mais... on dirait qu'il manque quelqu'un. Pourquoi ne pas inviter Altè ? Qu'en penses-tu Valkyon ?
— Laisse-la en dehors de tout ça, grommela l'Obsidien. Ou bien tu aurais peur qu'elle apprenne que tu préfères les hommes de la Dure Tige aux femmes de la Sirène Onirique.

Ezarel rit jaune à la moquerie qui s'était finalement retournée contre lui. Leiftan et Nevra pouffèrent le plus discrètement possible et le chef présent osa un sourire moqueur.

— Et toi Lance, une sortie entre hommes avec alcool et jolies filles, qu'est-ce que tu en penses ? l'invita l'elfe qui aurait sans doute préféré que le dragon ne se joigne pas à eux.
— Pas pour moi ce soir, répondit le chef.
— Il n'a pas envie de fourrer du rouge ce soir, mais du vert ! s'exclama Nevra dans un éclat de rire.

Lance le fusilla du regard bien que l'allusion était assez vague pour que les autres ne la comprennent pas, sauf peut-être Valkyon qui eut une moue amusée.

Ils partirent à quatre vers les rues d'Eel, abandonnant la fête pour des activités propices que la nuit tombée engloutirait avec elle.
Lance retourna à l'intérieur mais il ne portait plus d'intérêt à la soirée, surtout si Florelle n'y était plus. Ses yeux parcoururent l'assemblée, trouvèrent la chef de l'Ombre, celle de l'Étincelante et la seconde des Absinthes qui discutaient. Un peu plus loin, Célis et Caméria mais aucune trace de la sorcière. Était-elle déjà partie ?
Lance était tiraillé par l'envie de se rendre au Bastion et peut-être s'enquérir de la jeune femme dans sa chambre. Il fit un dernier tour de salle, salua des Obsidiens restants, échangea quelques mots avec Miiko et Kéroshane avant de décider de se retirer pour la nuit.

Au moment de se diriger vers la grande double porte qui marquait l'entrée de la salle de bal, celle-ci s'ouvrit avec fracas et une quarantaine de soldats armés et casqués envahirent le lieux. La musique s'arrêta, les cris de surprise jaillirent, écrasés par le bruit métallique des armures qui se déployaient dans la salle. En quelques secondes, toutes les personnes présentes furent contraintes contre les murs, les mains bien en vue, tenues en joue par les soldats au casque de bronze et aux hallebardes menaçantes.
A la suite des soldats, pénétrèrent un homme au physique impressionnant et une vieille femme habillée d'une cape grise et soutenue par un long bâton. Lance reconnut les invités imprévus et présagea le pire. Très vite, le calme s'imposa, causé par la peur de cette soudaine attaque.

— Harldur, Elir ! Qu'est-ce que cela signifie ?

C'était Miiko qui venait de s'adresser aux responsables de cette opération. Le premier, Harldur, était le chef de la garde de Bronze d'Amendo et la seconde, celle de la garde d'Argent. L'homme colossal s'approcha de la kitsune, un sourire victorieux aux lèvres. Il s'agissait d'un berserk, le guerrier par excellence, il possédait des cheveux noirs et épais à l'instar de sa pilosité fournie et dense qui recouvrait la majorité de son corps.

— Que crois-tu que nous sommes venus faire là petite renarde ? se moqua Harldur. Vous avez peut-être gagné des batailles mais pas la guerre. Amendo est toujours là, voulant venger les enfants que vous avez tués aux montagnes du Wigné.
— Vous pensez réellement pouvoir garder le contrôle sur la cité ? ricana l'Étincelante. Nos alliés vont venir nous délivrer en un claquement de doigts !
— Des mots, des mots, répliqua la vieille femme argentée. Tu cries beaucoup Miiko mais ton autorité est aussi limitée que le nombre de queues que tu possèdes.

La remarque cinglante d'Elir était toutefois prononcée d'un ton calme. La chef de la garde alchimiste d'Amendo était une banshee, créature magique dont le cri strident pouvait tuer toutes les personnes présentes dans la pièce. C'était la raison pour laquelle la mage ne s'exprimait que posément. Dès qu'elle haussait le ton de sa voix, on pouvait sentir ses tympans vibrer de douleur.

— Surveille-la de près, l'avertit Elir. Je me rends à la salle du cristal.
— Quoi ? Qu'avez-vous l'intention de faire ?

Miiko se débattit du gardien de Bronze qui la retenait mais Harldur la remit bientôt en place d'une simple pression du doigt.

— Oh, je t'en prie, le cristal ne vous appartient pas plus à vous qu'à nous, déclara Harldur d'un ton condescendant. Et puis vous l'avez volé et gardé précieusement pendant 450 ans, on peut prendre le relai.

La kitsune jurait entre ses dents, autant de haine que de panique mais elle ne bougea pas d'un millimètre. Le berserk la tenait et rien ne pouvait vaincre cette force de la nature, pas même Lance.

L'Obsidien, de son côté, se faisait discret mais à l'affût. Il observait les hallebardiers du Bronze, la garde défensive d'Amendo mais qui n'avait de "garde" que le nom. Le territoire d'Amendo était principalement occupé par des paysans, des artisans, ils étaient certes robustes mais cela ne faisait pas d'eux des combattants. Ceux-là surtout ne semblaient pas vaillants. Ici, leurs armes vacillaient d'un léger tremblement, là, une goutte de sueur perlait dans un cou et la lueur dans leurs yeux ne semblait pas assurée. Qu'en était-il de leur formation, de leur entraînement et de leur esprit d'équipe ?
Aucun Bronze n'arrivait à la cheville d'un Obsidien et pourtant, s'ils étaient craints, c'était à cause du berserk qui les commandait. Harldur était un colosse et sa force était légendaire mais, lorsqu'il se saisissait de sa hache à double tête, sa puissance se décuplait et telle une tornade, il pouvait tout détruire sur son passage.
C'était l'atout d'Amendo, à l'instar d'Elir. Les gardiens n'étaient pas forts mais ils étaient dirigés par des Faeries experts dans leur domaine.

Le dragon se sentait désoeuvré et cela l'irritait au plus haut point. Certes, il possédait une dague sur lui et savait que c'était aussi le cas de quelques autres gardiens mais ils n'étaient pas assez nombreux pour leur faire face. Valkyon, Nevra, Leiftan et Ezarel avaient quitté la cérémonie, d'autres gardiens étaient partis se coucher. Et Florelle ? Le visage de la sorcière s'imposa une nouvelle fois à son esprit et le chef fit courir son regard sur les prisonniers. Janaz échangeait des coups d'oeil avec les Ombres restantes, la harpie avait sûrement les mêmes observations que le dragon. D'autres Obsidiens se tenaient sur leur garde mais peu importaient les stratégies imaginées, ils n'avaient aucune chance dans cette configuration.
Finalement, Florelle n'était pas présente mais cette pensée ne le rassurait pas pour autant. Où était-elle ? Est-ce que Harldur et Elir l'avaient faite prisonnière ou pire ? Mais comment l'auraient-ils repérée ? Comment avaient-ils fait pour pénétrer dans l'enceinte du château ? Comment savaient-ils que la cérémonie se déroulait ce soir ?
La conclusion de toutes ces élucubrations fut la même, peu importaient ses questions et son raisonnement.

— Qui sont les traitres qui vous ont aidés ? questionna Lance après plusieurs minutes de silence.

Le regard de berserk se posa sur Lance et ses iris rouges se mirent à briller d'un éclat de malice.

— Le dragon, félicitation pour la promotion. Tu sais que j'ai beaucoup regretté de ne pas avoir combattu Borus. J'aime me battre contre des nains, ils font partie des races les plus endurantes que je connaisse. Mais apparemment, de ce que l'on m'a raconté, celui-ci était plutôt faiblard.

Lance sourit à son tour, à l'instar d'Harldur. Le Bronze essayait de le provoquer mais l'Obsidien n'était pas dupe de ce jeu. La remarque glissa sur lui comme l'eau sur le plumage d'un oiseau.

— Vous avez forcément dû avoir de l'aide. Je ne vois pas Amendo réussir un coup pareil seul. Surtout si c'est toi qui a conçu ce plan, renchérit le chef. Tu n'es pas réputé pour ton intelligence et ta stratégie.

Le visage du guerrier Amendois se renfrogna et son regard rougeoyait de colère. La force des berserks était aussi être leur faiblesse. La fureur qui faisait d'eux de formidables combattants était leur talon d'achille, si sanguins qu'ils pouvaient se lancer dans une bataille d'une simplette pichenette.

— Tu as raison, j'ai bien envie de féliciter les personnes qui vous ont trahis. Allez, venez ! Montrez-vous ! les appela-t-il.

Des prisonniers, se détachèrent cinq intendants qui avançaient d'un pas plus ou moins hésitant. L'un d'entre eux, cuisinier en chef, avait le regard droit et les bras croisés sur son torse, les instultes ne l'atteignirent pas le moins du monde.

— Karuto ! Sale traître !

Il était indifférent aux huées de ses collègues et anciens amis. Lance fut davantage affecté de voir aussi parmi les traitres Sopia, l'intendante des Obsidiens. Les iris émeraudes de la kobold tombèrent sur lui avant de se dérober, une expression coupable sur ses traits.

— Ceux que vous appelez intendants, mais que vous traitez comme domestiques ! Vous vous croyez irréprochables, vous les Gardiens d'Eel ! A donner des leçons aux autres... Vous me rendez malades ! Bon, fouillez-les et attachez-les, ordonna-t-il d'un ton autoritaire.

Sopia s'approcha de Lance pour le fouiller et le délester de la dague qu'il cachait dans son dos. Pour autant, elle garda le regard baissé, craignant d'affronter celui du chef des Obsidiens qu'elle connaissait depuis plus de dix ans.

— Est-ce que tu sais où est Florelle ? Qu'avez-vous fait d'elle ? glissa Lance à l'intendante.

La kobold fut saisie par l'inquiétude qui filtrait à travers la voix de l'officier. Elle leva finalement la tête et fut déstabilisée par son regard réellement éprouvé par le sort de la sorcière. Elle jeta un coup d'oeil par dessus son épaule. Dans son dos, Harldur surveillait les faits et gestes de chacun.

— Je ne sais pas, c'était Karuto qui devait s'en charger, murmura-t-elle en réponse.

La kobold sentit le souffle du dragon dépérir et son regard s'agrandit de détresse.

— Ça veut dire... ?
— J'en sais pas, je vais me renseigner, promit-elle tout bas. Je suis désolée, je n'ai pas...
— Un problème ?

La voix du berserk résonna derrière la kobold qui sursauta. Son visage blémit immédiatement et elle se tourna vers lui.

— Non, non, répondit-elle. Juste ça...

Comme pour justifier le temps qu'elle avait passé avec le dragon, Sopia lui dévoila la dague qu'elle avait trouvée.

— Tss, même lors d'une soirée mondaine, un vrai guerrier ne quitte jamais sa maîtresse, plaisanta Harldur en prenant la dague.

Le Bronze la sortit de son fourreau, admira la qualité de l'acier, le juste équilibre de la lame et le raffinement de la garde. Puis, il la glissa dans sa ceinture d'un air satisfait. Le vol était loin d'être le pire de ses méfaits ce soir. En passant au gardien suivant, Sopia lança à l'Obsidien un regard entendu.

▲▼▲


Deux heures rue Vermeil avaient été plus que suffisantes pour les gardiens. Nevra et Ezarel avaient profité largement de la compagnie féminine tandis que Leiftan et Valkyon s'étaient plus sagement comportés à deviser autour d'une chope toujours remplie et de la présence agréable de quelques femmes lovées contre eux. Ils étaient rentrés au moment où le vampire n'avait plus eu le luxe de s'offrir la compagnie des professionnelles de la Sirène Onirique et pour les autres, la soirée à boire leur avait flanché un coup de fatigue.

— Où sont passées nos années en tant que recrues ?
— Sûrement très loin pour toi ! se moqua l'Aengel à l'intention de l'elfe.
— Ça fait de moi un homme d'expérience, se vanta-t-il.
— Tiens, où est Jamon ? s'interrogea Valkyon, alors que le groupe franchissait l'enceinte du château.
— Sûrement s'est-il absenté pour rejoindre la fête, suggéra le vampire.
— Dans ce cas, et connaissant notre homme, il aurait attendu la relève, réfuta Leiftan dont le visage s'était ridé d'inquiétude. C'est étrange.

Les quatre officiers devinrent tout de suite plus sérieux et leurs regards experts scrutèrent les jardins déserts à cette heure de la nuit. Puis, ils les virent, ils ne pouvaient pas les louper, les quatres énormes bucentaures qui gardaient chacun les quatre entrées du château d'Eel.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant