Chapitre Vingt - La Disparition

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Deux jours après la mystérieuse disparition de Valkyon, au beau milieu de la cité, au coeur même du Bastion, rien avait permis de le retrouver. La garde était à cran, surtout que la sécurité de la Fûte et d'Huang Hua pouvaient aussi être menacées. Alors, après concertation avec la Phénix, la kitsune et l'alchimiste, tous décidèrent de ne plus retarder l'incantation de régénération du Cristal plus longtemps.

Célis avait été autorisée à y assister, il n'y avait pas plus de six personnes dans la salle du cristal. A cette occasion spéciale, tout le château avait été confiné. Les intendants furent priés de rentrer chez eux et les gardiens de rester dans leur Q.G. respectif.
La jeune biche découvrit l'aménagement particulier de la salle du cristal. Tout le mobilier avait été débarrassé et le cristal reposait au sol, au milieu d'un cercle alchimique extrêmement élaboré dessiné à la craie sur les dalles de carrelage noir.
Après une longue et ultime vérification, Ezarel autorisa le début de l'incantation.

L'atmosphère de la pièce était pesante, silencieuse et teintée d'une appréhension presque palpable. Huang Hua surveillée par Ziu s'approcha du reliquaire et l'ouvrit lentement sous le poids de l'or massif. La curiosité enfantine de Célis à l'idée de voir la Flûte de ses propres yeux, tranchait avec la gravité du moment, elle avait l'impression d'être une petite souris, à observer un événement unique dans l'histoire d'Eldarya. Hua prit l'instrument avec beaucoup de précaution et la jeune biche fut presque déçue de voir un simple morceau de roseau taillé. Une hanse pour positionner les lèvres et quatre trous pour les doigts. Pas de quoi casser la patte d'un beckett, elle-même en avait fait plein avec son père étant plus jeune.

Puis Hua déposa ses lèvres et d'un souffle presque trop léger au début, elle entama une mélodie spécialement conçue par Ezarel pour l'incantation. L'effet fut immédiat. Les globes lumineux qui éclairaient la pièce s'éteignirent, les plongeant dans une obscurité presque totale. Surprise et apeurée dans un premier temps et croyant à un dysfonctionnement, Célis fut ensuite émerveillée par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. De la Flûte, sortaient des symboles lumineux du même bleu électrique que le cristal. Les glyphes alchimiques voletaient dans l'air, portés par la musique qui naissait de la danse des doigts d'Hua sur le roseau. Célis était hypnotisée par la mélodie vibrant d'une même note que son propre maana. C'était une sensation euphorisante, le sentiment d'appartenir à un univers qui nous chante en retour une berceuse, comme une mère à ses enfants. Une connexion cosmique entre tous les êtres vivants de la nature, entre le tout et le rien. La mélodie même de la vie. Cette sensation d'allégresse la détendit comme une caresse à son âme, et elle comprit alors le véritable pouvoir de la Flûte, la communion entre tous les Faeries de ce monde.

Lascivement, les symboles se greffèrent sur le cristal comme un aimant puis le cercle dessiné au sol par les Absinthes s'illumina à son tour. Les glyphes tracés à la craie se mirent aussi à se mouvoir, à tourner dans une chorégraphique alchimique d'une extrême complexité.

La mélodie fut rejointe par la voix discrète d'Ezarel. Célis n'avait pas immédiatement perçu ses marmonnements mais il parlait vite, dans un dialecte qu'elle ne connaissait pas. L'ambiance douce de la pièce évolua et une tension électrique apparut et s'accrut progressivement. La sensation euphorisante s'estompa au profit d'une vibration qui résonnait à l'intérieur de son corps, elle émanait du cristal et elle touchait au plus profond des entrailles de la biche. Son diaphragme semblait trembler au rythme des mugissements du cristal. Puis ce fut le silence avant qu'elle ne le comprenne.
Hua avait cessé de jouer et Ezarel s'était tu. Il flottait dans la salle une attente indécise, pour savoir si le cristal renaissait, si ce coeur se réanimait, si la greffe avait prise.
Les lumières bleues grésillèrent, les symboles au sol blanchirent au point de graver le sol sur lesquels ils étaient dessinés. Des étincelles jaillirent et la pièce se transforma en entrepôt de feux d'artifice.
Il y eut un cri, Hua enserra la Flûte pour la protéger, les Absinthes présents jetèrent de la poudre neigeuse et éteignirent les flammes qui n'avaient pas eu le temps de prendre de la puissance.

— Eh merde ! Fais chier !

La tentative avait échoué. Le cri d'Ezarel sortait du plus profond de son être et la colère et la déception se dessinaient sur ses traits. Il ne prit pas la peine de s'inquiéter de quoi que ce soit et quitta la salle du cristal d'un pas rageux. Cet essai était l'un des derniers espoirs pour soigner le cristal d'un mal qui semblait incurable. Célis se mordit la lèvre inférieure, elle avait les larmes aux yeux, à l'instar d'un sanglot qui s'échappa d'une gardienne à l'intérieur de la salle du cristal plongée dans le noir. Cela faisait plusieurs années que les multiples tentatives de l'Absinthe échouaient à guérir le cristal d'un mal que tous ignoraient. Combien de temps allait-il encore tenir avant de s'éteindre ? Et à ce moment-là, à l'instar d'un soleil qui se meurt, il entraînerait la mort de tous les Faeries. Cette idée angoissa Célis au plus haut point.
Que pouvaient-ils bien faire à présent pour sauver le cristal dont le pouvoir s'étiolait petit à petit ? Y avait-il au moins une solution ou bien tout espoir était perdu ? Les habitants d'Eldarya étaient-ils condamnés à mourir à petit feu ?

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Florelle était inquiète. Valkyon restait introuvable et Lance était de plus en plus renfermé et rembruni. Il n'avait pas dormi depuis deux jours et même si sa condition de dragon le rendait plus résistant, son humeur s'assombrissait. Il passait son temps dans son bureau du Bastion, à contempler la carte de la cité et de la région. Il pouvait la fixer pendant des heures comme si elle lui révélerait soudainement l'emplacement de son frère.

La sorcière, hésitante, pénétra dans la pièce, posant un regard lourd d'inquiétude à son amant. Les traits tirés, des poches sous les yeux, elle ne l'avait que rarement vu dans cet état. Et c'était compréhensible. Son frère s'était volatilisé sans que personne ne sache où, comment ou pourquoi. La seule chose dont Lance était sûr, c'était que Valkyon avait été emmené sous la contrainte. S'il avait eu le choix, le guerrier aurait averti quelqu'un. Plus grave encore, la tâche de sang retrouvée à terre dans le bureau du Bastion suggérait qu'il s'était battu.
La sorcière ferma la porte derrière elle, Lance, éclairé d'une bougie lui jeta un regard avant d'épingler un point sur la carte de la cité contre le mur.

— Il faut demander à Ezarel de lancer un sortilège de pistage, débuta le dragon sans se retourner vers elle.
— Ezarel accompagne Miiko et Huang Hua pour une retraite spirituelle, l'informa la sorcière d'une voix hésitante de celle qui annonçait une nouvelle contrariante.
— Lui, Altè ou quelqu'un d'autre des Absinthes ! s'énerva-t-il. Ce n'est pas difficile à réaliser !
— Les Absinthes sont tous mobilisés pour modifier et revoir l'incantation de régénération du cristal.
— Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre du cristal !

Lance avait crié en frappant le mur de ses poings. Les jointures étaient blanches et une aura de colère émanait du chef.

— Valkyon a disparu, sans laisser de trace, un second de la garde a été enlevé d'une manière ou d'une autre ! Pourquoi j'ai l'impression que personne n'en à rien à foutre !
— Tu sais que c'est faux, le contra Florelle qui voulait le raisonner. C'est la priorité des Obsidiens !
— Des Obsidiens oui, mais des autres ?
— Tu ne crois quand même pas que quelqu'un de la garde cherche à freiner nos investigations ? s'insurgea-t-elle, ahurie par ce raisonnement.
— Ce que je pense, c'est que, soit quelqu'un a menacé Valkyon pour le forcer à le suivre, ou bien quelqu'un s'est introduit dans le Bastion et l'a maîtrisé rapidement pour ressortir avec un colosse d'un quintal sur le dos. Dans tous les cas, c'est qu'un qui connaît la cité et Valkyon.

Les hypothèses du guerrier étaient logiques mais les conclusions qui en découlaient semblaient insensées. Imaginer qu'un gardien soit impliqué dans la disparition d'un officier de la cité...

— Est-ce que tu as eu une vision de ton côté ? interrogea Lance.
— Non mais c'est peut-être mieux ainsi. Si quelque chose de grave lui était arrivé, je l'aurais sûrement vu.

Lance ne répondit pas, se contentant de porter à nouveau son attention sur la carte, il désigna les falaises au sud de la cité.

— On va envoyer des hommes là-bas, décréta-t-il. Je te laisse t'en charger.

Florelle ne répondit pas, hochant simplement la tête. En l'absence de Valkyon, elle assurait l'intérim de seconde de l'Obsidienne. Durant les derniers jours, la garde d'Ombre avait accepté d'aider leurs collègues à rechercher le dragon mais à présent, ils avaient d'autres missions à mener à bien. La vie de la cité continuait. L'Absinthe se penchait sur les raisons de l'échec de l'incantation et l'Étincelante se chargeait de protéger et surveiller la Flûte et la Ren-Feughuang.
D'ailleurs, la kitsune et la Phénix étaient parties en très petit comité au temple de Solemas à une heure d'Eel pour prier ensemble le Créateur et les aider à sauver le cristal. Ce que Florelle trouvait étrange était qu'aucun gardien n'avait été invité, même à les protéger. Il n'y avait que Zifu, Ezarel, Miiko et Hua.
La sorcière sentait que les rangs se resserraient entre les quatre Faeries et elle ne savait pas pourquoi mais il lui semblait que quelque chose se tramait dans le dos de tout le monde. Etait-ce en lien avec l'échec de leur tentative, la disparition de Valkyon ou d'autre chose ? Il y avait du mouvement dans l'ombre, des choses cachées que Florelle sentait nuisibles à Eel. L'équilibre du monde était fragile.

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Après une nouvelle journée de recherches infructueuses sur les falaises au sud de la cité, les Obsidiens s'étaient réunis au Bastion. L'humeur était maussade, les regards vides et les sourires absents. Les gardiens commençaient à fatiguer des recherches et à désespérer de retrouver leur second. Chacun allait de sa supposition. Aurait-il quitté la garde par amour, des dettes de jeux, un crime à cacher ? Non, rien de tout cela ne ressemblait à Valkyon qui était au dessus de tout soupçon.

— Bon, débuta Lance. Nous avons plusieurs missions à accomplir et nous ne faillirons pas à ce devoir. Mais nous ne pouvons pas non plus abandonner les recherche de Valkyon alors une équipe restera mobilisée.
— On pourrait peut-être désigner un nouveau second en attendant, proposa Wila, la sirène guerrière.
— Non. Ça fait seulement trois jours qu'il a disparu, ce n'est pas suffisant pour le remplacer !

Lance avait rejeté l'idée avec véhémence. Personne ne broncha. Tous les gardiens baissèrent la tête en pensant à la même chose : le chef était obsédé par la disparition de son frère et ils avaient peur qu'il se perde dans cette quête. Pourtant, personne n'avoua ces pensées à voix haute. Après tout, le chef avait raison, ça ne faisait que trois jours.

Redevenu calme, Lance délégua les missions de la journée et des jours suivants. Une plainte interrompit soudainement ses explications. Derrière les autres, Florelle grogna de douleur en se tenant la tête à deux mains. Ses collègues s'écartèrent d'elle alors qu'elle flanchait contre la table. Lance reconnut les signes d'une prémonition et se précipita vers elle pour la retenir au moment où elle s'effondrait au sol. La sorcière ouvrit grand les yeux qui irradiait d'une vive lumière mauve et son visage agare gémissait une vaine supplique. Des larmes roulèrent sur ses joue et d'un dernier cri étranglé dans sa gorge, Florelle porta les mains à son cou, se débattant des bras de son chef de garde. Les autres gardiens assistaient à la scène avec horreur et se sentaient impuissants de ne rien pouvoir faire. Certains avaient déjà vu, ce phénomène, pour les plus nouveaux comme Lizy ou Bronn, c'était la première fois.

Puis la sorcière ne bougea plus, les yeux fermés. Sa vision venait de s'achever mais elle restait inerte dans les bras du dragon comme morte. Après de longues secondes de silence et de flottement, Florelle se redressa précipitamment et avala de grandes bouffées d'air frais d'un air paniqué. Ses mains tremblantes serrèrent son cou et ses pleurs redoublèrent. Elle prit conscience de son environnement, que à quoi elle avait assisté n'était qu'une vision atroce, une projection de ce que quelqu'un autre d'autre avait réellement vécu.
Reconnaissant les bras de Lance qui l'entourait, elle s'effondra contre lui, bouleversée.

— Je suis désolée, sanglota-t-elle d'une voix brisée.

Ces quelques mots venaient confirmer ce que le chef craignait le plus depuis ces trois derniers jours. Sans un mot, il resserra son étreinte contre Florelle, partageant sa peine.

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La garde d'Eel avait prié tous les habitants de tous les villages de fouiller les abords de leur commune, la totalité du territoire devait être inspectée. Cette fois, les autres gardes abandonnèrent leurs tâches en cours pour tenter de retrouver Valkyon le plus tôt possible après la vision relatant sa mort supposée. Le petit comité composé d'Hua, de Miiko, de Zifu et d'Ezarel était revenu en urgence de leur retraite spirituelle pour organiser des recherches étendues. Lance gardait un infime espoir que Florelle ait eu accès à une vision future et non passée ou présente. Il espérait, infiniment, que son frère soit encore en vie et, qu'avec tout ce qui avait été organisé, qu'ils le retrouvent avant le moment fatidique. Mais si la sorcière avait vu sa mort avec tant de clairvoyance et tant de force, c'était sûrement -mais pas forcément- trop tard.

Le lendemain, un villageois de Peyos situé à la lisière de la forêt de Skur, signala la présence d'un mort se rendant à son champ. Un groupe de gardiens fut envoyé sur place et ils ramenèrent le corps à la cité. Prévenu dans la foulée, Lance quitta le Bastion à l'annonce de la nouvelle et se rendit à la salle des portes. Il vit la silhouette dissimulée par un drap et les liens enserraient ses chevilles, ses genoux, sa taille et son cou. A cet endroit, le draps était encore taché de sang marron.

— Amenez-le à Eweleïn, commanda Miiko aux gardiens qui transportaient le corps.

Le chef des Obsidiens secouait déjà la tête quand Miiko s'approcha de lui, un geste apaisant de la main.

— Je peux me charger de l'identifier, tu n'es pas obligé.

Lance posa un regard confus sur la kitsune. Y lisant de la pitié, le dragon se ressaisit et refusa catégoriquement. Il balaya la cantonade du regard, les gardiens et les intendants présents parmi eux, certains baissèrent la tête, d'autres la détournaient.

Le dragon serra la mâchoire et contint ses émotions. Digne, il rejoignit l'infirmerie d'un pas lent et contrôlé, tentant de maîtriser les émotions violentes qui envahissaient son coeur. Les gardiens venaient de déposer le brancard sur un lit et quittèrent la pièce comme s'ils venaient d'y être chassés rudement. Lance ne pouvait détacher son regard du corps enveloppé et il restait encore un infime espoir. Près de lui, Eweleïn tenait une pince et coupa les liens qui maintenait le linceul.
Elle voulut demander à l'Obsidien s'il était prêt mais son regard glacial qui restait fixé sur la victime l'en dissuada. L'elfe déballa le drap et elle-même sentit la peine la saisir en voyant des touffes de cheveux argentés émerger. Elle découvrit le visage de Valkyon, jusqu'à l'encolure. Une entaille profonde et nette traçait un trait rouge au milieu de son cou, d'une oreille à l'autre. Il était mort égorgé, exécuté.
Les stigmates d'une rivière de sang tachaient ses vêtements et sa peau blafarde. La bouche entrouverte était submergée de sang séché. Ses yeux ambrés mi-cos fixaient le néant, la mort.
Eweleïn recula d'un pas mais Lance attrapa le drap et tira encore dessus d'un geste sec, il découvrit la poitrine de son frère. Le plastron était ouvert sur un trou béant au milieu de la poitrine. Intriguée, Eweleïn s'approcha et tâta la blessure, ses doigts s'enfoncèrent dans les chairs et, horrifiée, elle retira précipitamment sa main.

— Son coeur, il n'est plus là...
— On lui a pris son coeur ?

La voix de Lance n'était qu'un souffle faible, trahissant son affliction et l'horreur qui menaçait de le submerger.

— Je vais voir si les gardiens auraient vu des traces sur place...

Eweleïn rejoignit rapidement la sortie. C'était trop pour elle, elle avait besoin d'air. A l'extérieur de l'infirmerie, elle s'appuya contre la porte et respira profondément, les lèvres tremblantes d'émotions.

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La découverte du corps de Valkyon avait ému toute la garde. La rumeur fondée qu'il avait été assassiné restait incompréhensible et la raison pour laquelle on lui avait prélevé son coeur demeurait un mystère aux yeux de tous.
Le conseil s'était réuni le lendemain et Lance s'y était rendu, accompagné de Florelle, comme seconde par interim des Obsidiens. Dans la salle, les gardiens présentèrent leurs condoléances au dragon qui les accepta malgré la froideur et le détachement dont il faisait preuve. Exceptionnellement, Huang Hua et Zifu assistèrent au conseil comme consultants, avec l'autorisation de Miiko. La Flûte de Hamelin, par contre, avait rejoint le Temple de l'Oiseau de Feu pour par sécurité. Elle craignait plus d'être à Eel que dans les plaintes inaccessibles du Sizhe.

— Les funérailles de Valkyon auront lieux dans trois jours, expliqua Leiftan d'un ton bas et monocorde. Il est possible de se recueillir sur sa dépouille dans la crypte au premier sous-sol du château.
— Savons-nous qui a fait ça ? questionna Nevra.
— Des barbares sûrement, se révolta Ezarel du tac au tac. Arracher un coeur. Seuls des animaux sont capables d'une telle abomination !
— En réalité, nous avons peut-être une idée, avoua Miiko à demi-mot.
— Je te demande pardon ?

Les yeux de Lance, qui ne fixaient alors que le vide s'éveillèrent à cette déclaration. Ils lancèrent des flammes à la kitsune, suivies de près par la voix de l'Obsidien qui s'éleva dans la salle, teintée d'une colère sourde.

— Pourquoi ne suis-je informé que maintenant ?
— Au vu de la mutilation et de plusieurs signalements faits récemment, nous venons de faire le rapprochement, reprit Miiko hésitante. Nous pensons que ce seraient des sorcières, venues pour se venger.
— Pardon ?! s'exclama Florelle spontanément sous le coup de l'étonnement.

Leiftan leva les mains en signe d'apaisement et reprit à l'intention de tout le monde :

— Avant la venue de la Flûte, des habitants à la bordure de la forêt de Skur ont rapporté la présence d'un groupe de femmes, expliqua-t-il. Il y a une résurgence de sorcières à Eldarya et elles harcèlent à nouveau les territoires en paix.
— Sous prétexte que c'étaient des femmes isolées, vous en avez tiré le fait qu'elles étaient des sorcières et donc une menace ? s'exclama la faelienne.
— C'étaient réellement des sorcières, elles nous ont attaqués quand nous avons décidé de les neutraliser, contrattaqua Janaz.
— Les neutraliser ! Donc vous les avez tuées ?

La harpie ne prit pas la peine de répondre et détourna le regard.

— Je suis désolée si cette hypothèse ne te satisfait pas Florelle, mais il faut croire que d'autres sorcières sont venues se venger sur Valkyon pour cet incident...

C'était Hua qui venait d'intervenir alors qu'elle était restée silencieuse depuis le début de l'entretien.

— Cela ne me surprend pas, ce genre de créature est capable d'infliger un tel traitement à un homme ! renchérit Ezarel, la voix teintée de haine.

Quoi qu'elle puisse dire ou argumenter, les sorcières étaient accusées et coupables.

— Il faut lancer des hommes sur le territoire d'Eel pour les trouver et les éliminer une bonne fois pour toute, exigea Zifu, habituellement muet.

Cette annonce résonna comme une nouvelle chasse aux sorcières. Ils étaient tellement et profondément persuadés que les sorcières étaient maléfiques qu'ils ne cherchaient même pas un autre coupable. Elle voulut chercher le soutien de Lance mais celui-ci était plongé dans ses pensées...

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Le corps du guerrier avait été lavé et revêtu de son armure et accompagné de sa lame, comme une fidèle amie toujours présente, même dans l'au-delà. Il était tard et Florelle était seule dans la crypte où le corps de son second reposait en paix, paré pour recevoir les visites de ses amis et collègues. La sorcière avait volontairement attendu d'être seule pour lui rendre hommage et le questionner. Elle savait comment il était mort, avait ressenti sa peur, son désespoir et le néant. Elle avait senti la lame courir sur sa gorge, son sang affluer de ses carotides, qui inondait sa bouche, l'empêchait de respirer, de crier. Rien que d'y penser, Florelle avait à nouveau le goût métallique dans la bouche et la chaleur du liquide qui coulait sur elle.
A présent, son visage semblait serein, sa plaie était dissimulée par le col de son armure, ses cheveux brossés, le sang nettoyé.

Florelle ne savait pas qui avait bien pu faire une chose pareille mais elle ne pensait pas que des sorcières auraient pu agir ainsi. Arracher un coeur n'avait jamais fait partie des pratiques de sorcellerie, même dans les temps sombres du Moyen- ge.

Elle ferma les yeux et se plongea à nouveau sur les évenements dont elle avait été témoin. Valkyon avait, sur le visage, un cache qui n'avait été retiré qu'à la toute fin. Il n'avait jamais vu le visage de son meurtrier, juste sa main, une main d'homme dont le poignet découvert faisait apparaître des serpents tatoués à l'encre noire. Puis le guerrier était tombé au sol et la dernière image était un tapis de cailloux sur un sol dur et froid. Rien qui ne lui permettait de trouver des indices sur le lieu du crime ou sur son auteur à part ce dessin sur le poignet.

Un présence silencieuse vint troubler son recueillement. C'était Altè. La jeune ondine était l'une des personnes les plus attachées à Valkyon. En réalité, elle l'aimait comme son grand amour même si elle pensait que Valkyon lui, ne l'aimait pas autant qu'elle. Florelle en doutait, après tout, leur histoire avait duré plus de huit années.

La sorcière prit sa collègue dans ses bras. Elles n'étaient pas forcément proches mais Florelle savait sa peine sincère et elle voulait lui montrer son soutien. La sorcière sentit une douleur fleurir dans son bas-ventre et se détacha d'Altè qui reniflait, émue.

— Tu as vu comment il est mort, est-ce qu'il a souffert ? questionna l'Absinthe d'une voix maîtrisée.
— Ça a été très rapide, la rassura Florelle.

Altè hocha la tête et s'approcha du cercueil et prit la main froide de Valkyon et lui chuchota quelques mots. Florelle préféra les laisser seuls durant ce moment d'adieux intimes.

Elle rejoignit le Bastion pour tenter de se reposer un peu, mentalement et physiquement. Rarement elle s'était retrouvée confrontée à ce tiraillement. D'un côté, ele ne voulait pas croire que des sorcières aient pu tuer Valkyon, mais d'un autre, elle ne savait pas qui aurait intérêt à le faire. Elle aurait bien voulu découvrir la vérité mais elle se trouvait seule dans cette croisade.
Les couloirs étaient vides, mais il était tard. Elle rejoignit sa chambre individuelle et sut que Lance était assis sur son lit avant d'ouvrir la porte.

— Tu me fuis ? questionna le chef alors qu'elle pénétrait dans la pièce.
— Non.

Florelle était fâchée contre son chef de garde, sans réellement savoir pourquoi. Elle voulait être seule.
La sorcière dépassa le lit, surprise de l'odeur d'hydromel qui se dégageait de son compagnon et se débarrassa de ses affaires.

— Tu n'étais pas présente à la veillée... constata Lance.
— J'ai été voir Valkyon dans la crypte plus tard. J'ai essayé de me souvenir de c que j'ai vu...
— Et ?
— Valkyon n'est pas mort des mains d'une femme.

Lance lâcha un soupir las et se leva pour lui faire face.

— Tu dois arrêter de croire que toutes les sorcières sont blanches comme neige... tenta-t-il.
— Comment pourrais-je le savoir, puisque je suis la seule ? J'en ai jamais croisé une en cinq ans. Soit elles sont mortes, soit, elle vivent cachées de terreur...

Lance s'approcha de Florelle, saisit ses épaules et la força à le regarder droit dans les yeux.

— Écoute, tu veux prouver que les sorcières ne sont pas impliquées là dedans et je veux trouver le meurtrier de mon frère. Alors enquêtons ensemble pour découvrir la vérité, d'accord ?

Florelle ne pouvait quitter son regard bleu glacial qui la figeait sur place. Si elle pouvait bien faire confiance à quelqu'un à l'intérieur de la garde, ça ne pouvait être que lui.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant