Florelle descendait l'escalier en colimaçon qui serpentait le long de la roche. Elle jouait avec une pomme entre ses mains et arriva aux prison du château. Après avoir signé le registre, elle se rendit accompagnée du geôlier dans le troisième couloir puis à la huitième cellule à gauche, celle de Cléan de Raev. L'intendant en chef des prisons ouvrit la porte de la cellule et, en la reconnaissant, le mercenaire ricana.
— Qu'est-ce que je disais ! Je savais que tu reviendrais me voir !
Le renard-garou albinos se releva et consentit à être attaché pour qu'il ne puisse s'enfuir bien que la porte soit ouverte. Florelle découvrit l'intérieur de la cellule noire, une paillasse assez propre, un plateau vide et un seau que l'intendant embarqua pour éviter d'être incommodé par l'odeur. Il revint en offrant un tabouret sur lequel Florelle s'assit et il disparut. La sorcière prit place et lança la pomme au prisonnier qui, une fois rattrapée, croqua dedans.
— La date de ton procès a été fixée pour dans un mois.
L'Obsidienne sortit de son dos un parchemin et le tendit à Cléan.
— C'est quoi ?
— Le recensement de tes crimes, la mise en accusation et les différents droits que tu possèdes comme celui d'avoir une défense. Ce genre de blabla.
Le mercenaire s'exclama.
— Je n'ai pas besoin de me défendre, je suis coupable ! Je mourrai sur la potence et je l'aurai mérité.
Florelle secoua la tête, désabusée. Personne ne savait qu'elle était venue voir Cléan, même pas Lance, mais elle avait rêvé de lui, alors elle voulait le connaître davantage et pourquoi pas, participer à la justice d'Eel.
— Est-ce que tu sais ce que je suis et quelle particularité je possède ?
Il répondit par la négative et la jeune femme poursuivit.
— Je suis une sorcière et j'ai le don de voir aussi bien l'avenir que de me plonger dans le passé.
— Un sorcière ! Waouh, j'en ai rencontré une fois
Florelle, intriguée, le laissa raconter l'histoire d'une vieille sorcière tatouée qu'il devait tuer, mission payée par un village apeuré de sa présence. L'histoire ne dit pas s'il l'avait exécutée ou non..
— En tout cas, une sorcière dans la garde d'Eel... on aura tout vu, se moqua-t-il encore.
— J'ai compris en plusieurs fois que tu n'étais pas aussi coupable que tu ne le prétends.
Soudainement, le regard du renard se fit plus rougeoyant et Florelle comprit, pour la première fois, la dangerosité de cet homme.
— Sparo Orkedis était aussi impliqué dans le trafic d'opium sauf qu'il est mort et que tu en a porté seul la responsabilité.
Cléan restait silencieux toujours à la fixer durement, comme pour la sonder, savoir si elle savait.
— C'était lui le traître, c'était lui qui a mené votre groupe dans un piège. Tu l'as découvert à la dernière seconde et tu savais que c'était lui. Pourtant, tu n'as rien dit, pourquoi ?
— Cela n'aurait rien changé, mon ami était mort et je n'ai rien pu faire pour le ramener parmi nous.
— Mais pourquoi fuir alors ? En faisant cela, c'était sûr qu'Eel te considérerait comme traître.
Cléan ferma les yeux et croisa les bras sur sa poitrine. Il ne voulait plus dire un mot et les questions de Florelle restèrent sans réponse. La sorcière quitta la cellule mais savait qu'elle reviendrait régulièrement. Cléan de Raev n'était pas le criminel, ni le meurtrier qu'on lui avait décrit.
▲▼▲
— Tu te trompes lourdement. Je suis un mercenaire et même si le début de l'histoire est inexacte, le reste est vrai. J'ai tué et volé pour de l'argent.
Florelle était redescendue le lendemain après-midi, cette fois avec des vêtements propres et avait repris ses questions.
— Pourquoi tu ne me racontes pas simplement ce qu'il s'est passé ?
— Et pourquoi tu es ici à m'interroger ? questionna-t-il en retour. C'est Lance qui te l'a demandé ? Est-ce que tu essaies de sauver une âme perdue ?
— Rien de tout ça, lui répondit-elle. J'essaie simplement de comprendre mes rêves.
— Qu'as-tu appris de plus ?
— Tu as rejoint un groupe avec d'autres mercenaires. Vous étiez une demi-douzaine et, pourtant, tu es seul à présent.
Le renard-garou resta silencieux puis finalement releva la tête, le regard froid, le visage figé dans un masque de pierre.
— Je ne répondrai pas à tes questions. Je ne veux plus que tu viennes.
— Est-ce que Madya aurait voulu ça ?
D'un bond, le prisonnier se releva de sa couche et se jeta sur Florelle. Son élan fut interrompu par la chaîne qui retenait son cou. La sorcière sursauta alors que le mercenaire n'était qu'à quelques centimètres de son visage, son regard rouge plus menaçant que jamais. Son visage s'était légèrement transformé vers un museau plus canin et des crocs plus pointus et menaçants. Elle avait imaginé cette réaction mais son coeur battait pourtant furieusement. Elle poursuivit :
— Elle faisait partie du groupe de mercenaires. Vous vous êtes mariés mais elle est décédée en couche, expliqua Florelle qui avait assisté impuissante à cette vision la nuit-même. C'est pour ça que tu as décidé d'être fait capturé ? C'est une forme de suicide ?
— Si j'avais su que tu serais aussi chiante, je t'aurais tuée en chemin. J'ai eu tellement d'occasions ! menaça-t-il, les oreilles dressées.
— Je suis désolée pour ta perte, mais tout ça est vrai. L'Étincelante doit en être informée.
— Il en est hors de question, je nierai !
Florelle soupira et quitta la cellule. Elle ne comprenait rien à Cléan, ni à ses motivations, ni à la façon dont il s'était retrouvé dans cette situation et surtout, pourquoi il taisait les événements dramatiques de sa vie. Elle se sentait frustrée car elle soupçonnait que son don, à travers les visions qu'il lui imposait chaque nuit, la poussait à l'aider mais elle se savait seule dans cette quête. Le principal intéressé ne semblait pas vouloir être aidé et elle se voyait mal exposer à Lance ses hypothèses, inflexible.
Après être passée au Bastion pour s'entraîner, elle alla manger au réfectoire puis retourna aux prisons. Cléan soupira d'exaspération lorsqu'il la vit encore et encore, bien qu'il l'ait priée de ne plus le faire.
— Tu ne lâches pas le morceau, hein...
— Je suis venue me faire pardonner, sourit-elle. L'intendant en chef des prisons accepte que tu puisses te décrasser. Depuis huit jours que tu es ici et c'est une infection.
Le mercenaire ricana et fut conduit sous bonne escorte jusqu'à une salle qui servait à la fois d'infirmerie et de salle de bain destinée aux prisonniers. Comme le reste des sous-sols, la pièce n'avait pas de fenêtre, ce n'était qu'une cave au plafond voûté, tout en pierre taillée, peinte à la chaux. La seule chose qui la distinguait des cellules étaient à la fois sa grande taille, les braseros pour réchauffer la pièce et, surtout, la baignoire en fer remplie d'une eau chaude.
— C'est bon pour vous ? Je reste derrière la porte et à la moindre alerte, vous crierez, d'accord ?
— Elle n'aura pas le temps de crier, croyez-moi.
Le visage du mercenaire, cynique, se fendit d'un sourire taquin mais la menace planait toujours au-dessus de la tête de la sorcière. Celle-ci leva les yeux au ciel et rassura l'intendant.
— Ça ira, merci.
Après un dernier grognement, le geôlier ferma la porte et la verrouilla derrière lui.
— Tu n'as pas peur que je te mange toute crue... ou pire ?
— Advienne que pourra, répondit-elle, fataliste. Si je meurs ou si je suis blessée, ce sera entièrement de ma faute mais j'aurais au moins le réconfort de me dire que tu vas avoir du mal à t'échapper et que, si tu souhaitais vraiment le faire, tu aurais déjà agi depuis longtemps.
Cléan la dévisagea d'un regard amusé puis il haussa les épaules en ricanant.
— Et donc, tu es là pour me surveiller. Tu es consciente que tu vas me voir en tenue d'Adam ? renchérit-il.
— Je sais à quoi ressemble un homme et je doute que tu échappes à la règle.
Florelle s'assit sur un tabouret à distance de Cléan, près d'un brasero rougeoyant. L'humidité de la pièce la faisait frissonner. Le mercenaire se déshabilla entièrement, en lui offrant la vue de son dos et la sorcière contenta de ne pas dévier son regard. Cléan lâcha un soupir d'aise, les bras ballant et ses cheveux détachés qui reposaient sur ses épaules constellées de cicatrices.
Florelle se perdit dans cette contemplation qui lui rappela Lance.
— Tu es songeuse, ça te donne envie de me rejoindre ? proposa-t-il, un sourcil haussé.
— Nous n'avons qu'une heure alors profite-en et parle moins.
— J'ai une idée à te soumettre. Chacun notre tour, nous posons une question à l'autre et nous sommes obligés d'y répondre.
— Je commence dans ce cas. Que s'est-il passé lors de votre dernière mission ? s'engouffra Florelle.
— Tu avais raison sur plusieurs points...
Sparo Orkedis était un myrmidon, un guerrier de Bandor, élevé dans une discipline les plus stricte, une très bonne recrue et un excellent ami. Avec Lance et Cléan, ils avaient fait les quatre cents coups mais le gardien s'était aussi forgé une solide réputation d'Obsidien, efficace et loyal. Sauf qu'il s'était blessé lors d'une mission et qu'un intendant lui avait conseillé de mélanger du lait de pavot au lait de moogliz pour atténuer la douleur. Or, la solution devint le problème lorsque la douleur disparut mais que la drogue resta. Cléan était le seul à connaître l'addiction de son ami qui n'en avait parlé à personne et surtout pas à Lance, de peur de se faire juger par son ami. Lorsque l'ordre de mission fut donné d'arrêter le marchand d'opium et de saisir la marchandise, Sparo avait paniqué à l'idée de ne plus être approvisionné. Alors il avait saboté la mission.
— Je ne pense pas qu'il avait prévu que ça tourne aussi mal, je ne l'ai compris que trop tard. Si seulement, j'avais pu comprendre plus tôt, j'aurais pu l'aider, j'aurais dû en parler à Lance mais j'ai préféré fuir et endosser la responsabilité. J'ai toujours été le vilain petit canard.
Cléan de Raev lâcha un gloussement d'autodérision et il remua dans l'eau pour s'asperger le visage et effacer la tristesse qui le marquait.
— A mon tour, reprit-il. Qu'y a-t-il entre toi et Lance ?
— Rien du tout !
— On avait dit de dire toute la vérité alors ne me mens pas ! râla le mercenaire.
— Je ne mens pas ! se défendit Florelle. On n'est pas en couple si c'est ce que tu imagines !
— Mais il y a bien un truc entre vous !
— C'est juste... qu'il m'a prise sous son aile, avoua la sorcière. Qu'as-tu fait en quittant la cité ?
Le prisonnier attrapa une éponge et commença à frotter la peau de ses bras tout en racontant la suite de son histoire.
— J'ai voulu travailler honnêtement mais je ne savais rien faire d'autre de mes dix doigts que de me battre. Et puis franchement, tu me vois en berger ou en meunier ?
Florelle sourit et répondit par la négative.
— Donc, j'ai vendu mon épée et j'ai commencé à recruter d'autres personnes comme moi qui n'avaient pas de but mais beaucoup de talents. Nous étions à une époque plus d'une dizaine de mercenaires mais entre ceux qui sont morts, qui ont décidé de tout quitté et ceux qui ne sont jamais revenus... La troupe a progressivement disparu. Il ne restait que Madya et moi.
La jeune femme était une druide exclue de son clan pour avoir pratiqué des interruptions de grossesses indésirées, crime ultime dans une culture qui vénérait la vie. Elle aurait pu appartenir à la garde d'Absinthe et avait voulu y entrer, si elle n'était pas tombée amoureuse de Cléan. Le destin, ce monstre ironique, avait interrompu sa vie alors qu'elle devait mettre au monde leur fille et aucune des deux n'avait survécu. L'histoire de Cléan de Raev s'était arrêtée à ce moment-là.
— Que ressens-tu pour Lance ? Et je veux la vérité.
Florelle détourna à nouveau le regard, le temps que le mercenaire sorte de l'eau et s'enveloppe dans un drap de bain. L'Obsidienne avait la gorge nouée. Elle n'avait jamais formulé à voix haute les sentiments qu'elle éprouvait pour son chef. Elle n'arrivait même pas à les définir.
— Je me sens en sécurité avec lui. Je sais que je peux lui confier ma vie et j'espère qu'il sait que je pourrais risquait ma vie pour lui.
La sorcière s'était perdue dans la contemplation des braises qui blanchissaient et s'effritaient sous la chaleur.
— J'admire sa force et son courage et je...
"Je l'adore, je l'aime ? Je me sens belle lorsqu'il me regarde. J'ai besoin de lui ? J'ai envie de lui ?"
Mais elle ne finit pas sa phrase sous le regard tendre du renard. Florelle reporta son attention sur lui, elle se sentait chamboulée par ses propres pensées et émotions.
— Pourquoi tu es là ? questionna-t-elle.
— Qu'est-ce que je peux faire à présent à part payer pour mes erreurs ? J'arrête de fuir.
— À quel prix ? Celui de ta vie ?
— Tu as déjà posé ta question, la nargua Cléan. Qu'est-ce que tu attends pour lui avouer tes sentiments ?
— Je n'ai pas envie que notre situation change, je ne veux pas gâcher notre amitié.
— Votre amitié est impossible. Si tu ne lui avoues pas, que feras-tu lorsqu'il trouvera quelqu'un d'autre ? N'éprouveras-tu pas de la jalousie ? Si tu lui avoues et qu'il te rejette, vous ne serez plus amis et, s'il accepte, votre amitié évoluera. Dans tous les cas de figure, votre amitié est intenable. A toi de voir vers quel chemin te diriger ?
— Et s'il me rejette, je perdrais tout.
— Il ne le fera pas. Je le connais et tu ne le laisses pas indifférent, je l'ai immédiatement remarqué.
Florelle, les joues empourprées, détourna le regard, un sourire adolescent aux lèvres mais une boule dans son ventre.
▲▼▲
Lance sentait la tension l'étreindre lorsqu'il descendit vers les sous-sol du château. Il cherchait Florelle, un peu comme toujours depuis deux semaine. Le chef la croisait rapidement à l'entraînement mais jamais beaucoup plus longtemps et elle disparaissait à nouveau. En interrogeant les autres Obsidiens, il apprit que la sorcière rendait régulièrement visite au prisonnier qu'ils avaient ramené depuis Eel. Les geôles étaient un lieu assez calme et frais, loin de la chaleur de l'arène du Bastion qui brûlait sous le soleil. Il salua l'intendant et avisa le registre de visites et compta le nombre de fois où Florelle était venue : une visite tous les jours, parfois plus.
Une pointe de colère naquit en lui, exacerbée par le rire de la sorcière qui résonnait entre les murs de la prison. Il rejoignit la cellule de Cléan et les surprit, lui et Florelle, en pleine conversation enjouée. Elle était sur le tabouret, assez proche du mercenaire qui, bien qu'attaché, pouvait toutefois la saisir et la menacer. En le voyant, la gardienne, prise sur le fait, se redressa et l'ambiance conviviale se glaça, sous le regard froid de Lance.
— Valkyon te cherche depuis une heure.
— D'accord, j'y vais tout de suite, se précipita-t-elle.
— Et après, tu viendras me voir dans mon bureau.
Florelle, qui s'était échappée dans le couloir, s'interrompit avant de reprendre sa route avec moins d'empressement.
Puis le chef reporta son attention sur Cléan qui s'amusait de la situation. A ses côtés, l'Obsidien remarqua une miche de pain qui pouvait dater de la veille, une veste chaude et un oreiller.
Puis il tourna les talons et quitta le prisonnier sans un mot.
— Lance, attends ! Il faut qu'on parle, lui lança Cléan dans son dos.
Mais le dragon ne se retourna pas.
▲▼▲
Florelle souffla un peu en se dirigeant vers le bureau de Lance. Elle avait la boule au ventre d'aller le voir. Après le regard qu'il lui avait lancé, elle avait blêmi, comme prise en faute d'avoir fait une bêtise. Or, elle n'avait rien fait de mal et elle était prête à se défendre. Elle toqua à la porte, attendit que le dragon l'autorise à entrer d'un "oui" tranchant. Elle pénétra dans sa pièce et attendit encore que Lance finisse d'écrire une lettre pour s'adresser à elle.
— Est-ce que Valkyon s'est plaint de mon travail ? Je ne pense pas avoir fait d'erreur dans mes missions.
— Tu n'es pas payée pour passer du temps dans les prisons. Cette mission est terminée et Cléan de Raev ne mérite plus que nous nous occupions de lui.
Le chef s'était levé pour faire face à Florelle à deux bons mètres d'écart avec, de surcroît, un regard qui marquait davantage encore la distance.
— Tu te trompes sur lui, il n'est pas l'homme que tu penses qu'il est devenu.
— Es-tu tombée amoureuse de lui ?
La sorcière marqua un temps d'arrêt et eut un geste de recul. Le visage de marbre de son supérieur suggérait qu'il ne plaisantait pas.
— Tu es stupide si tu penses ça, lança Florelle qui savait avoir dépassé les bornes.
— Je ne te permets pas ! lui répondit Lance un ton au-dessus. Ce prisonnier n'a pas de statut particulier, alors tu n'as pas à te rendre auprès de lui !
— Il n'est pas ici pour les bonnes raisons et j'essaie juste de comprendre pourquoi, continua-t-elle à se défendre.
— Tu pars en mission ce soir et dès à présent, Cléan de Raev n'est plus autorisé à recevoir des visites.
— Quoi ?
— C'est un ordre !
La sorcière sentait l'émotion étreindre sa gorge. La situation était d'une profonde injustice et, vu l'état du dragon, il semblait impossible à raisonner. Elle aurait voulu hurler qu'il n'était qu'un idiot avec sa rancoeur et sa jalousie mal placées mais elle préférait abandonner, au risque de craquer et de paraître encore plus ridicule.
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[Eldarya] [Lance]Le Sang des Sorcières
FantasyFlorelle est une sorcière sans pouvoir qui vit avec sa famille sur Terre. Les Blackhill constituent l'une des lignées de plus anciennes et puissantes d'Europe, et dont les légendes racontent la création du monde d'Eldarya. Entraînée par sa cousine...