Chapitre Vingt-Neuf- Les pions de la Négociation

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— Je ne vois pas en quoi cela est un problème, débuta Orèl, le chef de l'Aubépine. Je considère cela comme une provocation qui justifie davantage que nous les attaquions.
— Vous ne comprenez pas, ils ont pris mes frères en otage ! s'exclama Huang Hua. Nous ne pouvons rien faire contre eux, si ce n'est négocier !

Orèl leva les yeux au ciel. Les elfes n'avaient que très peu de considération pour les autres espèces d'Eldarya et même les Phénix, qui pourtant avaient l'extraordinaire capacité à renaître, ne trouvaient pas grâce à leurs yeux.

— Malheureusement, nous n'avons pas de certitude que les cendres sont toujours intactes, reprit l'elfe. Ils auraient très bien pu les détruire, comme une vengeance. Après tout, c'est bien de cela qu'il s'agit ? Reconstruire Cierna, pour se venger ?

Nevra voulut les défendre mais s'en garda, il ne devait rien faire pour trahir ses positions. Quelles étaient-elles, ses positions d'ailleurs ? Il n'était ni du côté d'Eel, ni du côté de Cierna, mais il savait que Miiko, Ezarel et Hua avaient commandité la mort de Valkyon et il pensait vraiment que Cierna et Eel pouvaient cohabiter en paix.
Leiftan, lui, osa prendre la parole pour défendre ses anciens camarades.

— Il me semblerait, en connaissant Lance et Florelle, que ce n'était pas un acte de guerre mais plutôt une stratégie pour justement vous forcer à négocier.
— Vous prétendez les connaître jeune homme, mais ce sont des traîtres ! déclara le général kitsune.

La discussion tournait en boucle, animée de débats stériles. Le conseil ne semblait pas se mettre d'accord sur la bonne décision à prendre. Le Général Hojô proposait d'infiltrer Cierna pour voler à nouveau les cendres, Huang Hua ne voulait prendre aucun risque et Orèl parlait toujours de guerre. Dans son coin, Nevra, les bras croisés, ne participait pas à la décision. Il savait d'avance que son avis n'aurait que peu d'intérêt face aux grands stratèges que comptait le conseil. Son avis d'ailleurs était de foutre la paix à Cierna, et cela bien sûr, il n'en était pas question.

Jamon déboula dans la salle du cristal quelques instants plus tard. L'orque, par sa taille imposante, sa masse musculaire et ses défenses proéminentes, fit taire tout le monde. Il tenait en main message scellé de cire noire que tous devinèrent provenir de Cierna. Il le tendit à Miiko qui le déplia, laissant tous les Faeries présents en haleine.
La kitsune le lut mais mit encore quelques secondes avant d'en révéler le contenu qui n'était pourtant pas un mystère.

— Ils veulent négocier.

De multiples réactions résonnèrent, Hua s'exprima favorablement face à cette demande, Orèl secoua la tête, proclamant l'erreur d'accepter et le général kitsune réfléchissait déjà à la stratégie à mettre en place durant ces pourparlers.
La missive relança le débat plus vivement et le conseil discuta encore pendant près de trois heures.
Lorsqu'ils furent autorisés à quitter la salle du cristal, Nevra fut soulagé, il avait faim et l'esprit saturé. Un peu avant d'entrer dans le réfectoire, il fut saisi par le bras et pris à partie par Janaz au fin fond de la réserve alimentaire.

— Comptes-tu te précipiter à Cierna pour faire part à tes amis de nos discussions ? insinua-t-elle avec mépris.

Le regard jaune de sa cheffe était furieux, elle n'était pas dupe de son double jeu, même s'il ne cherchait pas réellement à le cacher. Il était le seul à avoir réussi à pénétrer dans le château de Cierna par deux fois et il y était resté pendant plusieurs minutes. Sans compter qu'il avait toujours été proche de Lance et de Florelle lorsqu'ils appartenaient à la garde d'Eel. Cela aurait pu paraître louche à celui ou celle qui s'arrêtait quelques instants sur ces détails.

— Tu mets ta vie en danger en jouant à ce jeu ! le prévint-elle ensuite.
— Je ne joue à rien du tout ! s'énerva Nevra. Lance et Florelle sont mes amis, ils ne veulent que leur liberté pour eux et pour les sorcières aussi.
— Tu es en train de trahir Eel pour eux !
— Non, je ne veux que le bien d'Eel et je ne vois pas pourquoi je devrais choisir l'un plutôt que l'autre alors que les deux cités peuvent vivre sereinement.

Janaz secoua la tête, coincée entre sa loyauté pour la garde et la protection de son second.

— Tu restes à Eel à partir de maintenant, tu n'interviendras plus lors des missions de reconnaissance, ordonna-t-elle. Tu dois choisir le bon camp !

La harpie voulut clore la conversation mais Nevra n'en avait pas terminé, il la retint par le bras.

— Je suis censé choisir Eel alors que tout le monde a comploté pour assassiner Valkyon ? C'était peut-être l'idée des autres mais tu étais au courant, tu les as laissés faire, sans compter les sorcières capturées conduites à l'abattoir par tes soins pour servir comme ingrédients pour la création d'un nouveau cristal !

Au même moment, un groupe de gardiens passa pour rejoindre les cuisines et tourna la tête vers les deux officiers qui se disputaient dans un coin. D'un regard, Janaz l'obligea à baisser d'un ton mais le vampire en voulait à sa cheffe qu'il avait toujours considérée droite et juste. Il s'était visiblement trompé et cela le blessait énormément.

— Nous n'avons pas eu le choix ! C'était la seule option qu'il nous restait pour sauver le cristal ! Nous devions essayer, sacrifier une vie pour en sauver des centaines de milliers d'autres.
— Ça, c'est ce que tu te dis pour te voiler la face ! l'accusa le vampire. Vous avez tué un gardien et c'est tout ce qui compte.

Janaz se tut et son second vit pour la première fois le doute s'immiscer dans ses iris jaunes. Il lui lança un dernier regard noir chargé de rancune avant de quitter la salle.

Nevra n'avait plus faim, il monta les escaliers et se dirigea vers sa chambre. Son coeur battait vite, il craignait que son secret soit éventé et qu'à chaque détour d'un couloir, Jamon ne l'attende pour l'arrêter. Pourtant, il croisa Miiko, Leiftan et tous l'ignorèrent. Si Janaz avait décidé de révéler son double jeu, il serait sûrement déjà derrière les barreaux. Cependant, il devait rester sur ses gardes et préparer sa propre extraction au cas où la situation lui échappait.

▲▼▲

— Tu me promets de faire attention, d'accord ?
— Ne t'inquiète pas, l'Obsidienne surveille les lieux depuis deux jours et au moindre problème, on décampe.

Lance rassurait Florelle alors qu'il était sur le point de rejoindre la délégation envoyée par Eel pour entamer les négociations.

— Tu es sûr que c'est la bonne solution ? questionna encore la sorcière dont la voix trahissait son inquiétude. Tu imagines s'ils en profitent pour... je ne sais pas, te capturer ?
— Il faut que nous gagnions du temps, la rassura-t-il. C'est le seul moyen.
— Et ça va aller, je serai là ! renchérit Mélina en haussant les épaules d'un geste de confiance.
— C'est peut-être ça qui m'inquiète le plus... la taquina sa cousine.

La sorcière métamorphe lui tira la langue avant de se transformer en owlett. Après un dernier baiser, Lance monta sur le dos de l'animal qui décolla d'un saut puissant. Le lieu où se dérouleraient les négociations avait été choisi deux jours plus tôt mais l'information n'avait été communiquée à Eel que la veille au soir et éviter ainsi qu'ils ne puissent mettre de place un guet-apens.

Lance et l'Obsidienne avaient l'expérience de ce genre de situation mais Florelle restait très inquiète. Elle savait qu'Eel n'avait plus rien à perdre et qu'ils feraient tout pour les anéantir. La jeune femme resta encore de longues secondes le nez en l'air bien que Mélina et Lance ne soient plus en vue et, finalement, elle se reprit et traversa le château.

A l'extérieur, plusieurs Faeries s'occupaient du potager. Grâce à Yola, une jeune sorcière à la main très verte, les légumes poussaient rapidement et donnaient un rendement impressionnant de nourriture. Aidée par d'autres Faeries, ils étaient en train de bêcher un terrain pour y faire pousser un verger.
Des paysans des villages alentours avaient migré dans la citadelle et s'occupaient d'élever vaches, poules et moutons pour nourrir tout le monde.
Forgerons, menuisiers, tailleurs de pierres travaillaient d'arrache-pied pour réparer les portes, les murs du château et des maisons bordant le centre de la citadelle, aidés par toutes les Faeries présents : golems, faunes, centaures et quelques loups-garous. Les femmes, dont des sorcières, s'occupaient de tisser la laine, faire des couchages en paille, réaménager les pièces pour plus de confort. Lamia avait remis une partie des douches en état, la grande cuisine était à nouveau fonctionnelle.
Le château commençait à prendre forme mais il y avait encore beaucoup de travail à fournir pour que cela ressemble vraiment à quelque chose.

Florelle espérait que tout irait plus vite avec un nouveau cristal plus fort. Elle sentait déjà depuis quelques jours que le déclin du cristal d'Eel s'accélerait fortement.
Fallait-il encore pouvoir concevoir une réplique plus puissante et plus durable...

La sorcière descendit l'escalier qui menait sous terre. Le château était immense, constitué de milliers de salles, chambres, pièces en tout genre et le sous-sol était tout aussi vaste que la face visible et tous les jours, Florelle découvrait de nouveaux couloirs ou recoins à explorer. Au sous-sol, un globe lumineux sur deux fonctionnait, ce qui donnait au labyrinthe, un air très lugubre. Ça sentait l'humidité et l'humus de la terre qui avaient recouvert la cité pendant des siècles.

Dans l'une des salles du niveau inférieur, l'une des plus enfouies et la seule constamment surveillée par deux Obsidiens, Brunehilde, Altè et quelques autres sorcières, épluchaient les grimoires de haute sorcellerie appartenant anciennement à Ezarel. Elles prenaient des notes, sautaient d'un livre à l'autre et confrontaient leurs idées. Partout, la pièce était couverte de rouleaux et de feuilles volantes griffonnées.

— Alors ? s'enquit Florelle en pénétrant dans la pièce.
— Nous avançons, doucement mais nous avançons, lui répondit Brunehilde.

Les sorcières étaient parties du même postulat que Florelle et Mélina lorsqu'elles avaient ouvert le portail pour venir à Eldarya. Mais la recette pour créer un grand cristal n'était pas aussi facilement décodable. Parmi la trentaine d'ouvrages récupérés, il fallait trouver les indices, suivre les éléments, les confronter et éliminer ceux qui menaient à une fausse piste. Seules les initiés seraient capables d'extraire et de mettre en place ce savoir ancestral.

— Nous avons déjà une ébauche de heptacle, expliqua Altè qui se relevait difficilement pour lui montrer. Mais j'ai l'impression qu'il nous manque des éléments...
— Il y a un morceau qui doit être élaboré par nous-même, comme lors de l'ouverture du portail...

La gardienne se détourna de ses amies et caressa la surface rugueuse du coeur carboné du dragon qui patientait, observait les sorcières. Elle sentait l'émotion l'envahir.

— Faites au mieux, je m'occupe du reste, conclut-elle en quittant rapidement la pièce avant que sa voix ne trahisse son émoi.

La sorcière s'enferma un peu plus loin dans une autre salle et, le dos contre la porte, elle força sa respiration à reprendre un rythme régulier. Une nouvelle crise de panique menaçait de la gagner et ce devant un public qui risquait d'en être témoin.
Qu'avait-elle fait ? Qu'est-ce qui lui était passé par la tête de vouloir rebâtir Cierna, de provoquer Eel et de créer un nouveau cristal ? Que devait-elle prouver ?
Elle réussit à se maîtriser après de longues minutes mais ses larmes coulèrent tout de même sur ses joues. Pour la première fois depuis son arrivée à Eldarya, elle avait peur. Sauf que cette fois, elle avait entraîné une centaine de personnes avec elle.

Certes, depuis le début, elle se savait guidée par le destin et tout s'était parfaitement déroulé, jusqu'ici. Mais voilà, elle se sentait abandonnée et aveugle, et ses visions qui se raréfiaient ne l'aider. Ils avançaient dans le noir, sans savoir quelle décision prendre.
Outre quelques intuitions lors du cambriolage du Temple de l'Oiseau de Feu, sa dernière et vraie vision avait été le dragon qui, dans ses rêves, l'avait conduite jusqu'à lui et jusqu'à Cierna. Elle n'avait rien vu depuis, bien qu'elle essayait de toute ses forces de provoquer son don, quitte à se faire mal au crâne.

C'était pourtant maintenant qu'elle en avait le plus besoin !
Personne autour d'elle n'était au courant de sa privation de pouvoir, pas même Lance. Elle craignait de répandre la panique au sein de leur communauté, alors qu'elle était considérée comme leur leader, justement grâce à ce pouvoir. Quelle était sa place alors que celui-ci avait disparu ? Pourquoi se privait-il à elle ?

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Les négociations se tenaient près du lac d'Elin, lui-même à équidistance de Cierna et d'Eel. Le lieu était paisible, agréable et Lance espérait que l'atmosphère dégagée par le paysage soit favorable à l'entente entre les deux cités. Il avait l'estomac noué et la nuit précédente l'avait privé de repos gratifiant. La première rencontre serait décisive et il ignorait à qui il allait avoir affaire.

Les conditions que Cierna avaient imposées semblaient respectées : pas plus de dix hommes encadrant un binôme qui mènerait la discussion. Libres étaient les membres dudit binôme qui pouvait également varier d'un jour à l'autre.
Le but était de se rencontrer tous les deux jours pour trouver un accord de paix entre les deux cités, chacune prête alors à faire des compromis.
Cela, ce n'était qu'un prétexte, Lance devait gagner un maximum de jours aux sorcières de Cierna pour qu'elles aient le temps de mettre en place de sortilège de création du cristal.
Eel, de son côté, voulait peut-être positionner ses cartes dans le but d'une éventuelle attaque. C'était tout sauf des négociations, une mascarade de négociations.

L'Obsidienne avait déjà repéré les lieux depuis plusieurs jours et y avait disposé une vaste tente de toile bleue qui abritait une table et des chaises. Il ne fallait rien de plus. Lance constata que les négociateurs d'Eel étaient déjà présents et il avait hâte de découvrir qui lui ferait face.
A côté de la tente, Mélina se posa, reprit forme humaine et se vêtit d'une robe tendue par Lance. La cousine de Florelle faisait un peu sauvageonne avec cette simple robe, pieds nus, les cheveux en bataille et son cache-oeil bricolé mais c'était une sorcière au don incroyable. De plus, et bien qu'elle ne soit pas spécialement brillante, elle avait une personnalité forte, une bonne répartie et toujours un sourire provocateur aux lèvres.

Enfin, Lance et Mélina pénétrèrent dans l'abri de toile.
Gêné par l'obscurité soudaine qui tranchait avec la vive lumière du jour, le gardien mit une seconde avec d'identifier Huang Hua et Nasuke Hojô, chef de la garde d'Emeraude et père de Miiko. La première semblait agitée, le second était concentré, à l'instar du dragon.

— Merci d'avoir accepté de nous rencontrer, débuta Lance en désignant les sièges.
— Nous n'avons pas vraiment eu le choix ! s'exclama une Hua tourmentée.
— Vous devez être Lance Valent, le chef de l'ex-garde d'Obsidienne, ignora le kitsune. Et vous êtes mademoiselle ?
— Je suis Mélina Blackhill, se vanta la concernée. Et vous vous trompez, Lance est et restera le chef de l'Obsidienne. Il est prévu que Cierna possède ses propres gardes, vous savez.

Lance se félicita de la présence de la jeune femme, de sa spontanéité et de son franc-parler. Cet air bravache qui lui allait si bien pouvait remettre tout le monde à sa place, même un grand homme comme le général Hojô.

— Où sont mes frères ? s'enquit Hua par la suite. Vous avez éparpillé les cendres dans une rivière ?
— Non, nous les avons simplement gardés pour vous forcer à nous écouter et peut-être que nous vous les restituerons en signe de bonne foi lorsque nous aurons trouvé et signé un accord.
— Très bien, alors que voulez-vous ? questionna Hojô qui voulait entrer dans le vif du sujet.
— Pour commencer, une promesse selon laquelle vous vous engagez à ne pas attaquer Cierna durant cette phase de négociation, débuta Lance. Puis des cessations de terres agricoles qui appartenaient auparavant à Cierna avant qu'Eel ne se les octroie.
— Le territoire que vous mentionnez est immense... Eel ne peut pas s'en passer pour nourrir les habitants de la cité et du territoire.
— Pour l'instant, nous ne souhaitons récupérer que la forêt de Skur dans sa totalité et les villages qui la bordent, jusqu'au fleuve d'Ognar.

Sur ce, Lance sortit une carte rapportée par ses soins et indiqua la frontière naturelle qu'il avait évoquée. Le général fut convaincu de la surface raisonnable que cela représentait.

— Nous souhaitons également des artisans, des commerçants et des verriers que vous laisserez quitter librement Eel pour venir nous rejoindre pour bâtir la cité.
— Quels arguments avez-vous pour inciter des Faeries à s'installer à Cierna ? se moqua Hua. Il n'y a rien sur place.
— Tu as raison, mais les premiers arrivés pourront choisir leurs habitations, les plus grandes et confortables et il n'y aura aucune taxe de prélever durant les deux prochaines années.

Le dragon exposa alors une série de mesures fiscales dans le but de relancer l'économie de la cité. Suivit alors une liste d'une douzaine de requêtes que Lance détailla, chacune ayant été mûrement réfléchie et jugée raisonnable au point où ni Hojô ni Hua ne trouvèrent à redire.

— Ça fait beaucoup d'exigences alors que nous ne souhaitions que, de notre côté, la restitution des reliques.
— Pas la Flûte de Hamelin, elle appartient aux sorcières.
— Mais les Phénix ont veillé sur elle depuis quatre siècles ! Avons-nous au moins des preuves que les cendres soient intactes ?
— Nous vous en fournirons la preuve si vous le souhaitez.

La proposition eut pour effet de faire taire la jeune femme.

— Nous allons faire part de vos demandes au Conseil d'Eel.
— Alors je vous attends ici dans deux jours.

Les hommes hochèrent la tête et la première séance de négociation prit fin.

▲▼▲

Au retour des négociations qui s'étaient relativement bien déroulées selon lui, Lance chercha Florelle pour lui conter l'entrevue. Sauf que la sorcière était introuvable et cela l'inquiétait. Il n'avait pas le temps, il devait réfléchir à la suite des mesures à prendre et pas à jouer à cache-cache. Ses pas le menèrent à la Salle du Dôme mais elle était vide, comme leur dortoir, les cuisines ou les jardins. En redescendant vers les niveaux inférieurs et vers la salle de travail autour de l'élaboration du cristal, il remarqua que l'un des cristaux lumineux dans un couloir abandonné était allumé. Il suivit les quelques globes survivants et déboucha sur l'une des rares portes encore debout et qui était entrouverte. La pièce était nue, à l'exception d'une sorte de moitié de colonne renversée dans un coin, et Florelle accroupie devant ce vestige, caressant la pierre de sa main.

— Je te cherche depuis une éternité ! s'exclama Lance, une once d'énervement dans la voix. Il faut que nous discutions avec les autres des prochaines négociations, prévoir les points qu'ils vont eux aussi tenter de discuter...

La déclaration de Lance ne reçut aucun retour de la part de Florelle. La jeune femme resta muette, le regard perdu dans la contemplation des symboles gravés sur la colonne effondrée. Inquiet, Lance s'approcha de la jeune femme et se pencha au dessus d'elle.

— Florelle ? Qu'est-ce que tu as trouvé ? demanda-t-il en désignant le bloc de pierre qui jonchait le sol.
— Il faudra demander aux golems de le mettre dans la salle du Dôme. Il s'agit du socle originel du premier grand cristal.
— Quoi ?
— Le Cristal a été créé par Millaryne, alors il était ici à Cierna et Eel a réussi à le voler, expliqua la sorcière. Mais je pense que cela peut nous aider à compléter l'incantation.
— Vraiment ? Allons directement prévenir les autres !

Lance était enthousiaste mais toujours pressé par le poids des négociations qui pesait sur ses épaules. De son côté, Florelle semblait encore plus abattue que jamais. Le regard bas, elle se releva et renifla en secouant la tête, dissimulant ses sanglots naissants par ses cheveux blonds qui tombaient devant son visage. Inquiet, le chef de l'Obsidienne posa ses mains sur ses joues pour relever son regard vers lui.

— Je... j'ai peur Lance, lança-t-elle finalement. J'ai peur parce que je ne sais pas si on va réussir...
— Qu'est-ce que tu racontes ? Ça va marcher ! Tu l'as vu, n'est-ce pas ?

La sorcière rabaissa ses paupières desquelles perlèrent plusieurs larmes. Son regard gris n'était qu'un lac d'angoisse et elle secoua faiblement la tête.

— J'ai vu le coeur du dragon, j'ai su ce qu'il fallait en faire mais je n'ai pas vu que nous allions réussir ou échouer. Et j'ai beau me concentrer de toutes mes forces, rien ne me vient. C'est comme si j'avais perdu mon pouvoir et j'ignore si nous avons fait le bon choix.

Lance resta muet un instant face à cette confidence qui pouvait tout changer. Il sentait la peur remonter en lui, il n'avait jamais été confronté à une situation aussi angoissante que celle de l'avenir inconnu auquel il faisait face. Il préférait ne pas céder à la panique et raisonner en gardant son sang-froid.

— De toute façon, le grand cristal se meurt, il faut en créer un autre et qui mieux que vous, les sorcières et même... Les Blackhill pour y arriver ? Ton aïeule, Millaryne a réussi alors pourquoi pas vous... l'encouragea-t-il.

Lance avait entouré Florelle de ses bras, apportant sa chaleur rassurante et des mots réconfortants bien qu'ils sonnaient faux et pleins d'appréhension.

— Non, je ne serai jamais à la hauteur de Millaryne, nous avons perdu tellement de savoir, et à la première erreur, nous pourrions priver le monde de Maana. Tu imagines un peu la catastrophe ? Des centaines de milliers de Faeries vont mourir à petit feu. L'absence de magie les privera de leur essence vitale qui se raréfiera et Eldarya serait définitivement privée de vie. Et j'en serai la seule responsable.

Le dragon s'était tu, il imaginait bien le scénario catastrophe de la fin du monde, il le sous-estimait peut-être même. Certes le Cristal d'Eel était en train de mourir à petit feu mais au moins, il maintenait un certain équilibre. Si la tentative de créer un nouveau cristal échouait, l'équilibre serait rompu et sonnerait la fin de la vie sur cette terre. Lui aussi avait peur. Cela faisait très longtemps qu'il n'avait pas ressenti cette peur qui remuer les entrailles. Il avait beau géré les négociations, commander les défenses de la citadelle, il ne maîtrisait pas grand chose finalement. Il ne lui restait que la conviction qu'il fallait avancer et ne pas abandonner tout ce qu'ils avaient déjà bâti.

— Écoute-moi, le destin t'a offert un pouvoir fantastique et c'est lui aussi qui t'a guidé jusqu'à Eldarya, jusqu'à Cierna et finalement jusqu'au coeur de ce dragon. S'il t'a montré tout ça, c'était pour un dessein plus vaste encore. Nous allons réussir parce que c'est aussi notre dernier espoir.

Il prit Florelle par les épaules et la força à le regarder dans les yeux. La peur n'y avait pas disparu mais il put discerner une infime lueur d'espoir. Le couple prit encore quelques instants pour eux lorsqu'ils entendirent les cris de Lamia. La jumelle paniquée aboyait leur prénom dans les couloirs isolés du château.

— Que se passe-t-il ? questionna Florelle que l'angoisse avait à nouveau saisi.
— Vous devez venir voir ça !

Lamia repartit en courant vers le rez-de-chaussée du château et plus précisément vers la salle de soin investie par la soigneuse de la citadelle. Le couple d'Obsidiens déboula dans la pièce et découvrit Gizel qui portait dans ses bras un bébé qui chouinait. Au sol l'une des deux urnes contenant les cendres des Ren-Fenghaung était brisée et Lance comprit alors que le Phénix venait de renaître de ses cendres. Gizel contemplait d'un regard aimant le bébé qu'elle berçait, son petit doigt caressant les lèvres du nourrisson qui le tétait par réflexe.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant